L’Empire Québecor: histoire et influences

28 mars 2025 - Par - Catégorie : culture Médias Politique

Pierre Karl Péladeau lors de son acquisition des Alouettes de Montréal. Mention photo : The Montreal Gazette.

Par Eve Bernier, Baptiste Bouchard et Sebastian Herrera-Ramirez

Peu importe l’état du monde des communications québécoises, Québecor est un acteur majeur depuis 1965. Plus que jamais, les médias traditionnels sont menacés, faute de plusieurs facteurs au tournant du siècle. L’entreprise est au centre de l’imaginaire des Québécois et Québécoises. Par ses multiples entreprises, la société fondée par Pierre Péladeau, à évoluer dans toutes les sphères de la société québécoise. De la musique, aux livres, en passant par l’information et le journalisme. Par la suite, Pierre Karl Péladeau succède à son père et amène l’empire dans la nouvelle économie. Le monde médiatique change au tournant du 21e siècle, le numérique prend une place grandissante, le traitement de l’information change et les habitudes des Québécois par rapport aux nouvelles changent tout autant. Québecor a été critiqué à plusieurs reprises et avec raison. Péladeau père pouvait avoir un esprit revanchard et son fils a quelquefois suivi dans cette lignée. Cependant, il est aussi vrai de dire que les deux ont répondu présents lorsqu’il était question d’aider les médias québécois. Quoiqu’elle reste une entreprise privée, il serait inadéquat d’omettre la participation du gouvernement québécois dans l’histoire et certaines acquisitions du groupe Québecor. Vous lirez ici l’histoire d’un géant québécois.


Les débuts avec Pierre Péladeau 
La légende a été répétée mainte fois, le jeune Pierre Péladeau emprunte 1 500 $ à sa mère pour acheter, dans les années 50, le Journal Rosemont1. Entrevoyant la libération des mœurs du Québec de la Révolution tranquille, il lança un concours de beauté nommé la Miss Rosemont. Un concours qui lui permettra de doubler sa mise initiale2. Les acquisitions subséquentes des journaux Nouvelles et Potins et Échos-Vedettes s’inscrivent dans la volonté de M. Péladeau de faire du « journalisme jaune ». Un type de journalisme qui se caractérise par le sensationnalisme et une prédominance du fait divers. Le « journalisme jaune » a été popularisé par Hearts et Pulitzer aux États-Unis. Ainsi, M. Péladeau place déjà les assises qui caractériseront l’empire Québecor dans les années qui suivront.


Par exemple, au sein de Nouvelles et Potins, il est question de laisser une place grandissante aux chroniqueurs pour perturber la conscience du peuple dit moribond3. Cet hebdomadaire, qui, contrairement aux autres journaux détenus par M. Péladeau, couvre l’actualité nationale plutôt que locale, ne perdait aucune occasion pour vilipender les politiciens, artistes ou autres personnalités. Dans une volonté anticonformiste, l’hebdo publie une section dénommée « les Caves de la semaine » où maintes personnalités goûtent aux sermons des chroniqueurs4. Sans trop le savoir, M. Péladeau se forge, pour lui et ses médias, une réputation irrévérencieuse et sensationnaliste.


Cette réputation, et plus globalement celle des journaux jaunes, desquels font partie Nouvelles et Potins, va rapidement attirer l’attention d’organisations religieuses. Religion qui, faut-il le rappeler, avait une importance capitale dans la société québécoise des années 1950. Ce sont plus particulièrement les Ligues du Sacré-Cœur qui cherchaient à bannir ces « journaux de Satan ». Le maire Jean Drapeau, lui aussi, mettait la main à la pâte pour ralentir leur publication. Voyant du potentiel sur la scène de l’actualité québécoise et pour se concentrer sur celle-ci, Pierre Péladeau vend ses journaux de quartier et affirme donc ses ambitions de croissance5.


Au sein de cet empire, il y a le Journal de Montréal, premier quotidien de M. Péladeau et figure encore centrale de ce qui allait devenir Québecor. En 1964, ses débuts sont déjà marqués par un événement caractéristique. Un lockout à La Presse ouvre une porte inestimable pour le patriarche de la famille Péladeau, qui lance ce nouveau quotidien en un délai très court, en se reposant sur les piliers du divertissement et du spectacle6.

Pierre Péladeau, patriarche de la famille Péladeau. Mention photo : Armand Trottier, Archives La Presse.


À ses débuts, le Journal de Montréal souhaite s’inscrire comme un compétiteur de La Presse, qui était alors le plus grand quotidien francophone en Amérique. Toujours avec l’aspect caractéristique des publications de Péladeau, le journal est publié à 15 h comme l’était habituellement son rival. Pour pouvoir s’implanter de manière sérieuse, M. Péladeau veut que son nouveau projet soit plus qu’un « journal à potins ». Pour ce faire, il joue d’un stratagème astucieux afin d’obtenir les actualités issues des agences de presse qui ne lui étaient autrement pas distribuées ; il engage des pigistes travaillant aux stations de radio CKAC et CKVL pour recevoir les informations du jour7.


Pierre Péladeau fonde l’entreprise Québecor le 8 janvier 1965, soit peu de temps après le retour en kiosque de La Presse, pour regrouper ses propriétés d’affaires sous une même égide. Ce regroupement permet de faciliter l’administration de tous les journaux et d’investir les profits réalisés par les différents hebdomadaires à vocation artistique dans le Journal de Montréal, qui n’était plus profitable depuis l’arrêt de la grève chez son compétiteur. Ses titrages ont fortement baissé, passant de près de 100 000 exemplaires vendus par jour à 10 000. M. Péladeau et sa rédaction ayant sous-estimé la difficulté de compétitionner avec un journal mieux établi, mieux financé et avec des effectifs plus nombreux, tout en restant dans le même créneau de publication. Durant les sept années qui suivent le retour de La Presse, le Journal de Montréal ne réussit pas à atteindre le seuil des profits et doit donc être tenu à flots par les recettes des autres journaux de la compagnie8.


L’établissement d’une concentration verticale
Alors propriétaire des moyens d’édition et d’impression, M. Péladeau décide de fonder son propre réseau de distribution de Messageries Dynamiques9. Ainsi se dessine une forme d’intégration verticale, soit le fait de détenir la production de plusieurs phases d’un même produit médiatique10. Il ne lui manque que le contrôle de la production du papier, ce qu’il réussira à faire plusieurs années plus tard avec l’acquisition de la papetière Donohue en 1987.


Acquisition de la papetière Donohue
Dans une volonté de vouloir augmenter le tirage de ses journaux, Pierre Péladeau voit, dans l’achat de la papetière Donohue, une opportunité intéressante. C’est le début de l’aventure de Québecor dans le monde du papier. L’intention derrière cette acquisition par Pierre Péladeau et son associé Robert Maxwell était de « garder le contrôle sur le produit final »11. Cette acquisition ne s’est pas faite sans l’aide du gouvernement libéral de l’époque. Le gouvernement de Robert Bourassa, qui détenait 56 % de la papetière, cherchait à privatiser la compagnie, mais souhaite la céder à une compagnie québécoise12. Le 18 février 1987, le gouvernement Bourassa accepte l’offre de 320 millions de dollars du consortium formé de Péladeau et Maxwell pour devenir propriétaire de la papetière Donohue13. Québecor devient alors propriétaire de leurs moyens de production. La papetière est finalement revendue à Abitibi-Consolidated en 2000.


Québecor, premier imprimeur mondial
Une fois bien établi dans le domaine de l’édition et de la publication de journaux et de magazines au Québec et au Canada, Pierre Péladeau s’est vu diriger ses ambitions d’expansion vers l’imprimerie. Malgré l’influence représentée, l’édition des journaux ne permettait alors de générer que 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise.


Québecor s’implante sérieusement dans le milieu de l’impression aux États-Unis en 1990 avec l’achat de Maxwell Graphics pour 510 millions de dollars, dont 115 millions étaient issus d’une contribution de la Caisse de dépôt et placement du Québec. En 1992, la division Imprimerie Québecor fait son entrée en bourse, ce qui facilite son implantation à l’international. La compagnie s’affirme ensuite outre-Atlantique avec l’acquisition des imprimeurs français Fécomme et Jean-Didier, ce second était alors le plus gros imprimeur du pays avec des titres prestigieux comme Paris Match, Le Figaro et L’Express. Ce qui certifie Québecor comme le géant de l’imprimerie, c’est l’acquisition de son rival World Color Press en 1999. La transaction est d’une valeur de 2,7 milliards de dollars et devient la plus importante de l’histoire du secteur. Pour marquer cette croissance importante, Imprimerie Québecor devient Quebecor World, le premier imprimeur commercial au monde14. Québecor décide alors de retirer le e accent aigu pour montrer ses ambitions internationales15.


La montée en bourse de l’action de Quebecor cause une euphorie au sein de l’entreprise. Celle-ci décide alors d’acheter le média torontois Sun Media pour 983 millions de dollars16. D’ailleurs, Sun Media avait des parts majoritaires du portail internet Canoë qui était le site de recherche le plus populaire du Canada anglophone. L’importance de l’entrée de cet acquis au sein de Québecor a été un des éléments qui a fait s’accélérer son virage multimédia17. À la suite de l’achat du groupe médiatique ontarien Osprey Media en 2007, Quebecor World devient le plus grand éditeur de journaux au Canada18. Cependant, en 2008, le marché de l’impression vit une crise et n’est plus ce qu’elle était auparavant. Quebecor World était à ce moment-là encore propriétaire de plusieurs imprimeries. La valeur de ses actions chute sous la barre des uns dollar et, en janvier 2008, l’entreprise se place sous la loi sur la faillite et l’insolvabilité au Canada et aux États-Unis19. C’est la fin de Quebecor World et le retour à Québecor avec son accent aigu.


Acquisition de Vidéotron
La compagnie de câblodistribution Vidéotron était déjà un fleuron québécois avant sa vente au groupe Québecor. Appartenant à la famille Chagnon, la compagnie était déjà établie dans la région de Montréal et de Gatineau. Déjà elle était épaulée par la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui l’a aidé à essuyer des pertes financières à maintes reprises20. L’entreprise cherche à ne pas se faire écraser par Bell, alors elle accepte une offre d’achat de Rogers Communications21. La Caisse de dépôt détenait, depuis 1971, 30 % des parts de Vidéotron, ce qui lui accordait un premier droit de refus sur toute offre de ventes qui pourraient subvenir22. Ainsi, lorsque la Caisse prend connaissance des pourparlers entre Rogers et André Chagnon, alors à la tête de Vidéotron, elle décide de ne pas appuyer cette vente. La raison ? La Caisse ne veut pas perdre une compagnie québécoise au profit d’un géant ontarien. La saga du rachat de Provigo par Loblaws est encore fraîche dans la mémoire de la Caisse23.


Pour la Caisse, s’il n’était pas en mesure d’empêcher la vente de Vidéotron, l’essentiel était que TVA reste au Québec. Rogers était alors réticent de ne pas avoir TVA d’incluse dans l’accord. La saga juridico-légale de la transaction dure environ cinq mois et se termine par l’achat de Vidéotron par Québecor et la Caisse de dépôt et placement du Québec. Québecor 1, 035 milliards de dollars comptants et la Caisse met, pour sa part, 2,2 milliards de dollars comptants24. C’est, à ce moment, le plus gros investissement dans une entreprise privée de la part de la Caisse. La part de Québecor s’élève à 54,7 % et à 45,3 % pour la Caisse. Québecor crée la nouvelle entité de Québecor Media pour officialiser son entrée dans la nouvelle économie. Un nouveau modèle d’affaires est né, la convergence de l’informatique, des médias et des télécommunications. Québecor devient un leader médiatique au Québec. L’entreprise compte maintenant avec l’accès à internet, la câblodistribution, les portails web (Canoë, par exemple), les quotidiens et le contenu télévisuel25.


Investissements en culture
En plus des journaux, revues, de la télévision avec TVA, de la téléphonie cellulaire et de la connexion au réseau internet et télévisuelle avec Vidéotron, l’empire Québecor s’est aussi démarqué en mettant un pied dans la distribution, production et organisation de contenu culturel.
D’abord, en 1995, Québecor devient actionnaire majoritaire d’Archambault, une entreprise de distribution de disques, de livres et d’instruments de musique26. Québecor se départit de ces magasins 20 ans plus tard, au profit de la chaîne de librairie Renaud-Bray.


Pour l’édition de livres, Québecor détient 18 maisons d’édition partagées sous les groupes ; Homme qui contient les Éditions de l’Homme, Petit Homme et Édition la Semaine notamment. Groupe Librex, qui contient entre autres les éditions Stanké, Trécarré et Libre expression et Groupe Ville Marie littérature, qui est reconnue pour Les éditions du Journal. Pour l’édition de manuels scolaires, Québecor détient aussi Les éditions CEC27.


En musique, l’empire médiatique couvre la production de disques avec Musicor disques, qui produit des artistes populaires comme Lara Fabian, Corneille, Kaïn et Marie-Ève Janvier. La distribution se fait avec Distribution Select, qui réunit plus de 600 maisons de disques et signe des ententes avec les plateformes de diffusion numériques les plus importantes28.
Québecor est aussi présent dans le milieu de la production cinématographique. En 2014, le groupe achète Vision Globale, la plus grosse entreprise de production et de location de matériel cinéma et télé au Canada, lors d’une enchère avec le groupe américain Clearlake Capital. Vision Globale avait obtenu les studios MELS, Cité du cinéma en 201229. Studios derrière la production de grands films américains, comme Arrival, The aviator, Catch me if you can, ou encore d’émissions de variétés québécoises, comme La Voix ou Star Académie30.


Québecor s’inscrit dans le domaine de l’organisation et gestion d’événements de grande envergure quand il prend la tête de Gestev, le groupe fondé en 1992 derrière le Festival Cigale, le marathon Je cours QC et le célèbre Igloofest.

PKP visiblement attristé. Mention Photo : Courrier Frontenac.


Arrivée de l’agence QMI
L’agence de presse du groupe Québecor est une décision qui transforme la manière d’entrevoir l’information et son traitement. C’est une étape clé dans la convergence des produits au sein de l’empire Québecor. Cette agence lui permet de publier des textes dans différents produits de l’entreprise. Sa création n’est pas sans controverse. Le 22 avril 2007, Québecor décrète un lock-out au Journal de Québec. PKP est accusé, par le syndicat des journalistes du JDQ, lors du lockout, d’utiliser des méthodes qui constituent un viol de la loi antibriseurs de grève31. Notamment, en créant l’agence QMI, qui embauche des gens qui se font passer pour des journalistes de chez Canoë32. L’agence QMI est une réponse directe à la volonté de restructurer la compagnie dans une perspective de concentrer le capital sous le même toit. Un avantage qui plaît à PKP. Dans la théorie capitaliste, la concentration du capital et, par le fait même, la concentration des différents secteurs de productions permettent une viabilité des médias33. C’est un chemin qu’entreprend naturellement Québecor.

Québecor se retire du Conseil de presse
Le 30 juin 2010, une décision qui choque le monde des médias québécois se produit, Québecor se retire du Conseil de presse du Québec34. Le retrait de l’entreprise signifie aussi qu’il ne financera plus sa cotisation à l’organisme. Sa cotisation était alors chiffrée à 45 000 $ et son retrait fait que 40 % de l’information qui est consommée au Québec échappera aux décisions du tribunal journalistique35. La raison du retrait, selon PKP, est due aux décisions défavorables du conseil sur le JDM et le JDQ, qu’il juge injustes. Au passage, il critique fortement la décision du Conseil de vouloir porter un jugement sur les informations relayées dans les blogues.


Lors de notre entrevue avec l’ex-directeur de l’Information à Radio-Canada, Alain Saulnier, la décision de Québecor de se retirer du Conseil de presse s’inscrivait dans la critique que les médias avaient envers cet organisme, selon lui. Il n’était pas la formule idéale, manquait de jurisprudence. Bref, ce n’était pas un outil idéal à ce moment-là, probablement à cause d’un manque de financement, selon l’ancien journaliste.


Symboliquement, pour M. Saulnier, une telle décision laisse un précédent. « La symbolique, c’est qu’on ne veut pas, nous, être redevables sur le plan éthique à quelque autorité que ce soit, à quelque tribunal au-dessus de la mêlée qui peut intervenir sur nous », ajoute M. Saulnier.

Types et définition de concentration

Au Québec et plus largement au Canada, le phénomène de la concentration des médias ne désigne pas seulement que la présence importante de Québecor au sein du paysage médiatique. Dans un marché défini, une concentration de la propriété désigne le fait que « l’ensemble des entreprises appartient à seulement quelques groupes »36. Ainsi, les principaux acteurs de la concentration des médias au Québec sont le groupe Québecor de la famille Péladeau, duquel nous avons déjà détaillé les nombreuses acquisitions, et le groupe Power Corporation de la famille Desmarais, qui a longtemps détenu La Presse et les différents quotidiens régionaux qui font dorénavant partie des Coops de l’information. Le Soleil, Le Nouvelliste, etc. À eux deux, ces groupes ont longtemps possédé la quasi-totalité de la presse écrite québécoise.

Le groupe Québecor est un cas intéressant, parce qu’il correspond à une grande partie des termes employés pour définir des situations de concentration. D’abord, il constitue une concentration horizontale, puisqu’il possède plusieurs médias du même genre, notamment des journaux37. Pour ce qui est de la concentration verticale, elle a déjà été expliquée plus tôt dans ce document, lorsqu’il était question de l’acquisition de la papetière Donohue. Elle consiste en un groupe ou une entreprise qui domine plusieurs phases d’un processus de production38. Le groupe fait aussi figure de concentration croisée ou mixte, puisqu’il possède des activités dans au moins deux secteurs médiatiques39, par exemple, la télévision et les journaux. Ensuite, la définition la plus imposante, celle de l’intégration multisectorielle, plus connue sous le nom de conglomérat. Dans ce cas, Québecor doit détenir des médias ainsi que des compagnies qui œuvrent dans un autre domaine, soit au choix : les télécommunications avec Vidéotron, la distribution de journaux avec Messageries Dynamiques ou les loisirs avec le Groupe Archambault, etc.

Pierre Karl Péladeau, successeur et fils de Pierre Péladeau. Mention photo : Jacques Boissinot, Archives La Presse Canadienne.

Avantages de la concentration

Les avantages souvent décriés pour une concentration de capital et de produits culturels sont les économies d’échelle et la convergence de tous les services connexes (Ressource humaine, service de paie, l’organigramme administratif, etc.) sous un même toit. Les dirigeants de Québecor affirment qu’une telle concentration permet de pérenniser les sources de revenu et de leurs activités, de concentrer les efforts de l’entreprise sur la recherche et l’enquête journalistique40. Un portefeuille diversifié dans les produits médiatiques permet aussi d’atteindre un nombre élevé de citoyens-consommateurs41.

Dans le cas de Québecor, l’acquisition et la fusion de différents moyens de productions et de produits culturels au sein de son entreprise renforcent sa présence dans l’imaginaire québécois. « L’entreprise peut désormais diffuser des contenus — informationnels et culturels — et faire valoir certaines de ses marques sur un grand nombre de plateformes. »42. Pour Michel Therrien, producteur des émissions à vos affaires, La TVA 22 h, entre autres, la centralisation du groupe Québecor rend le tout plus efficace : « plutôt que de produire 15 fois du contenu, on fait un contenu qu’on diffuse sur 15 plateformes ». Ainsi, on remarque que plusieurs chroniqueurs du JDM peuvent aussi apparaître à LCN ou à QUB radio. Si le contenu est écoulé sur toutes les plateformes, il en va de soi pour les chroniqueurs.

Ainsi, le commentariat politique et social et l’opinion prennent une place grandissante sur la bande FM QUB radio et sur la chaîne spécialisée LCN. Pourquoi une telle place au commentariat et à l’opinion ? Pour Michel Therrien la réponse est simple : « L’opinion génère de la nouvelle. ».

Un bon exemple de l’autopromotion et de la déclinaison du produit sur toutes les plateformes de Québecor est l’émission de variété Star Académie. Si elle est, avant tout, présentée en variété le dimanche, un produit connexe (la quotidienne) est présenté en semaine. Déjà deux déclinaisons du même produisent. Ensuite, la couverture de l’émission est assurée par les deux grands quotidiens de Québecor (JDM et JDQ), par le magazine 7 jours, qui produit des articles et des capsules vidéos dans son magazine et ses plateformes sur les réseaux sociaux respectivement. La plateforme web TVA + permet de rattraper le contenu manqué au cours de la semaine. La vente et la production de produits dérivés sont bien sûr prises en charge par une société interne. L’autopromotion est au cœur de la stratégie interne de l’entreprise.

Désavantages de la concentration

Les médias jouent un rôle important dans la démocratie, celui d’informer les citoyens et de faciliter la rencontre de différentes idées et opinions. Dans le cas d’une concentration médiatique, l’objectif est dirigé par des intérêts de rentabilité économique et il s’éloigne donc de son but premier dans la société démocratique. Le rapport final d’un Comité conseil sur les effets de la concentration des médias au Québec, dirigé en 2003 par Armande St-Jean, Ph. D. exprime bien la matérialisation de ce principe : « plus un média est sujet à des objectifs de profits, plus les pratiques journalistiques professionnelles tendront à être remplacées par un “journalisme de marché”. Les annonceurs ne recherchent en effet pas un journalisme de haute qualité, mais un journalisme “de la qualité requise pour rejoindre le public ciblé”. L’objectif du journalisme de marché n’est pas d’informer, mais de satisfaire les consommateurs visés. »43

Lorsque plusieurs médias sont sous l’égide d’une même compagnie, ils pourront plus facilement mettre de l’avant du contenu qui se rapproche de sa ligne éditoriale. Ainsi, on peut voir des répercussions sur la variété des opinions exprimées, sur le type de contenu mis de l’avant et des thèmes abordés, sur le type d’analyse qui sera faite d’un sujet particulier, etc44.

Lock-out au Journal de Montréal en 2009. Mention photo : Ryan Remiorz, Archives La Presse Canadienne.

La fin du 20e siècle: l’ère du numérique qui a tout fait basculer

L’empire de Québecor subit une onde de choc en 1999. Ce géant de l’imprimerie à l’échelle mondiale a perdu son fondateur, Pierre Péladeau, comme mentionné plus haut. Son fils, Pierre-Karl Péladeau, a ensuite repris les rênes. Le problème: Quebecor était à l’aube d’une révolution numérique inégalée et il n’était pas prêt.

Alors une des actrices principales dans le monde de l’imprimerie, la santé générale de la compagnie était à son comble. Québecor avait une bonne santé financière, surtout à la suite de l’acquisition de l’importante imprimerie américaine World Color Press, qui a d’ailleurs motivé l’adoption du nouveau nom Quebecor World.

Cependant, toutes les pratiques avec lesquelles l’entreprise québécoise avait fait fortune allaient être révolutionnées à jamais. La presse écrite, la télévision, la radio, les publicités: de la manière de consommer le contenu, à la manière de le produire, la compagnie médiatique qu’était Quebecor a dû se réinventer (comme tous les médias du monde d’ailleurs).

 L’arrivée des GAFAM

En 1999, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a décidé de se pencher vers l’essor du monde numérique. Il a donc ouvert les valves, permettant aux grandes entreprises américaines de s’installer au Canada, sans condition ni restrictions45. Véritable cheval de Troie, les compagnies comme YouTube, Netflix, Facebook, puis Twitter (maintenant X) et Amazon sont venus coloniser numériquement le Canada. 

Alain Saulnier, ancien directeur de l’information à Radio-Canada et auteur de plusieurs essais, a fait part, lors d’une entrevue pour ce projet, que cet éclatement dans le monde des communications était prévisible. Il a ajouté que Quebecor, comme tous les autres grands médias qui œuvrent dans le milieu depuis longtemps, n’a pas adopté les mesures nécessaires afin de se préparer au virage. D’ailleurs, il considère que, de 1999 à 2023, des mesures concrètes auraient dû être mises en place par le gouvernement et le CRTC afin de protéger l’intégrité et l’indépendance numérique du Québec. Pourtant, rien n’a été fait avant la loi C-11 sur la radiodiffusion en 2023.

Avant, la situation était différente. À l’époque où TVA était la plus grosse chaîne télévisée d’information, suivie de Radio-Canada et d’autres petites chaînes, la culture de la télévision était tellement ancrée dans les mœurs de la société québécoise que personne ne croyait qu’un jour, ce mode de communication serait révolu, ainsi que tous les autres de l’époque.

« On s’énervait parce que Québecor contrôlait TVA, contrôlait Vidéotron, contrôlait le Journal de Montréal, le Journal de Québec. On avait raison aussi, et on a encore raison de s’inquiéter de cet immense pouvoir que détient PKP », explique l’ancien directeur de l’information. La concentration des médias n’est toutefois pas une préoccupation née d’hier. Il met l’accent sur ce qui est pour lui le réel danger: les géants numériques américains.  « Tous les médias se sont trouvés tout à coup confrontés avec une situation où ils allaient être marginalisés complètement », dit M Saulnier.

Avec la montée en popularité de Google et de Facebook, Québecor a perdu 80 %46 de ses revenus provenant des publicités numériques. Par exemple, à la place de faire un cahier dans Le Journal de Montréal, les compagnies se tournaient vers ces géants américains qui leur offraient une bien meilleure visibilité pour bien moins cher. De cette manière, le modèle d’affaires qui s’appuyait sur le revenu publicitaire ne fonctionnait plus comme avant. 

« En une décennie, les dépenses en publicité au Canada sont passées de 12 milliards de dollars à près de 20 milliards. Or, les médias traditionnels n’ont pas du tout profité de cette croissance fulgurante », mentionne le journaliste Étienne Paré dans un article pour Le Devoir. Dans ce même article, il explique que c’est plutôt le contraire: le ¾ des annonceurs ont quitté les médias traditionnels pour aller vers Facebook et Google.

Alain Saulnier ajoute à ces statistiques que « l’odieux », c’est que les montants dépensés dans de la publicité peuvent être déduits des rapports d’impôt de la compagnie. Donc, par exemple: Ameublement Tanguay débourse 200 000$ pour une campagne de pub qui offre 20% sur les achats pendant la semaine de Pâques. Les conseillers en marketing proposeront à cette compagnie de faire la publicité sur TikTok et Instagram, pour rejoindre les jeunes qui veulent se meubler à faible coût. « Il va pouvoir bénéficier de 35 % de réduction de déduction fiscale s’il fait de la publicité, même si sa publicité est destinée à des plateformes étrangères, il peut quand même bénéficier de rabais. Il n’y a pas aucune loi qui enlève ça », déplore M Saulnier.

Un autre élément clé dans le tournant dans l’économie de l’entreprise, c’est la dégringolade boursière du secteur des nouvelles technologies qui a causé une dévaluation importante de Québecor Media47. On parle d’une dévaluation de 40% sur le placement de la Caisse de dépôt et placement du Québec dans Québecor Media48. L’industrie des télécommunications chute de 46% sur le Nasdaq49.  Une chute que Québecor n’a pas su prévoir. Elle suit un moment charnière dans la formation de l’empire: l’achat de Vidéotron.

Québecor contre attaque…ou du moins essaie

Voyant bien que le Journal de Montréal et le Journal de Québec ne faisaient plus autant d’argent, allant de même pour TVA, Québecor a dû faire volte-face. La nouvelle acquisition, Vidéotron, était le nouveau cheval de bataille. Avec la montée de l’hyperconnectivité, tous les ménages québécois se munissent désormais d’un réseau wifi. Ils devaient donc passer par un fournisseur, là où Vidéotron entrait en jeu50.

En entrevue, Alain Saulnier explique que, bien qu’aujourd’hui Vidéotron ne rapporte plus autant qu’avant, il n’en est pas moins que cette filiale reste importante dans les profits de l’entreprise. En compétition avec Bell et Rogers, par exemple, Vidéotron se place comme intermédiaire. Aussi, il essaie de se réinventer comme il peut afin de faire concurrence à Amazon Prime, Crave, et Netflix avec des offres comme Illico+. Plusieurs millions de dollars ont été injectés dans la numérisation et la modernisation du contenu51

M Saulnier a également soulevé un point majeur dans la réponse de Québecor face aux GAFAM: la convergence. « Ils ont développé leur propre modèle. Ils ont réduit leur personnel », explique-t-il. L’entreprise a donc centralisé tous ses effectifs sous un seul toit, permettant ainsi à un individu de faire plusieurs types de journalisme, par exemple. « Tout le monde est utilisé au maximum », selon Alain Saulnier.

De la convergence est né le vedettariat. Cette idée de présenter les mêmes personnalités pour en faire des icônes dans tous les médias de Québecor. Voici donc l’explication de l’ancien journaliste concernant ce sujet particulier: « [le vedettariat]fait partie de la stratégie. Quand tu as quelqu’un que tu mets sur toutes les plateformes, il est évident qu’il va être plus connu que quelqu’un qui n’est pas sur toutes les plateformes. Richard Martineau est devenu une vedette parce que, non seulement, il écrivait dans le journal de Montréal, mais aussi, il était animateur à LCN à l’époque. Il s’est promené un peu partout. Mais après ça, Québecor puis PKP ont décidé de rapatrier tout le monde en disant qu’ils ne travaillaient plus ailleurs. C’est comme ça que tout le monde circule dans ce cube ou ce cercle fermé des entreprises de Québécois. C’est ça qu’on pourrait dire que le modèle d’affaires d’aujourd’hui se base [en partie]sur la surutilisation des mêmes personnalités. En plus, c’est que le discours de droite les a aussi contaminés.»

En bref, les revenus publicitaires ont nettement diminué, tout comme les effectifs. Pour survivre, Québecor a dû se réinventer et a misé sur la convergence des différentes parties de la compagnie, ce qui implique que les employés sont plus polyvalents à travers les différentes branches de Québecor.

Sources : Statistique Canada, Industries de la télédiffusion (jusqu’en 2009), puis CRTC, Relevés statistiques et financiers — Télévision traditionnelle, Services facultatifs et sur demande et Services de télévision payante, à la carte, VSD et d’émissions spécialisées. Ces dernières données excluent les résultats de CPAC, Météomédia, Télétoon, Illico sur demande et Vu! qui sont considérés comme des services bilingues.

Les dangers qui nous guettent

L’invasion des GAFAM est extrêmement inquiétante, selon plusieurs experts. Pour Alain Saulnier, le Canada est devenu le 51e État des États-Unis depuis qu’ils se sont installés au pays de manière numérique: « La souveraineté numérique du Canada, on l’a perdue, elle appartient aux Américains. Si, demain matin, il y avait une invasion pour envahir le Canada, le gouvernement serait pris pour utiliser Facebook et puis le réseau X pour dire “aux armes citoyens.” Ça ne marche pas, donc. » 

Depuis leur arrivée, les médias traditionnels québécois ont de la difficulté à survivre, ce qui représente un risque pour notre démocratie, explique Alain Saulnier. « Nous sommes désormais confrontés à une crise médiatique sans précédent, dans laquelle des conflits politiques inattendus surgissent. Jamais on n’aurait pensé que nos alliés de toujours allaient nous revenir en pleine gueule, c’est très inquiétant », se désole-t-il. 

Le monopole de la sphère médiatique par les Américains est une menace imminente pour l’indépendance du Canada, selon lui. Toujours est-il que le gouvernement ne semble pas prendre action, par peur ou par stratégie? 

Dans ses livres, M Saulnier présente deux pistes de solutions. La première étant de redéfinir le rôle des médias traditionnels, comme les journaux. Offrir du meilleur contenu, plus exclusif, du journalisme de meilleure qualité, une manière nouvelle de présenter l’information. La deuxième est d’établir une nouvelle forme de propriété des médias. Il donne en exemple Le Devoir, qui tente tant bien que mal de survivre. 

Bien sûr, il croit que, dans un monde idéal, le Canada devrait s’affranchir complètement des É-U, mais il reste conscient que ce n’est pas réaliste à l’heure où nous sommes rendus. 

  1. Pierre DUBUC, PKP dans tous ses états, Montréal, Les éditions du Renouveau québécois, 2015, p. 18. ↩︎
  2. P. DUBUC, ibid., p. 18. 
    ↩︎
  3. Jean CÔTÉ, Le vrai visage de Pierre Péladeau, Montréal, Stanké, 2003, p. 52-53. ↩︎
  4. J CÔTÉ, ibid., p. 52-53.
    ↩︎
  5. BRAULT, Julien. Péladeau, une histoire de vengeance, d’argent et de journaux, Montréal, Québec Amérique, (2008), p. 63-64. ↩︎
  6. P. DUBUC, op. cit., p. 19. ↩︎
  7. BRAULT. J, op. cit., p. 79. ↩︎
  8. BRAULT. J, ibid., p. 80-84. ↩︎
  9. BRAULT. J, ibid., p. 82.
    ↩︎
  10. PILON, Alain et PAQUETTE, Martine. Sociologie des médias du Québec ; de la presse écrite à internet, Montréal, Fides éducation, (2014), p. 177. ↩︎
  11. BRAULT. J, ibid., p. 148. 
    ↩︎
  12.  BAnQ numérique, « Acquisition par Québecor de la papetière Donohue », BAnQ numérique, https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/evenements/ldt-1087, (page consultée le 27 mars 2025). ↩︎
  13. Yvon LABERGE, « Donohue passe aux mains de Quebecor », La presse, 1987-02-19, Collections de BAnQ, (page consultée le 27 mars 2025). ↩︎
  14. BRAULT. J, op. cit., p. 152-155. ↩︎
  15. P. DUBUC, op. cit., p. 17. ↩︎
  16. P. DUBUC, ibid., p. 21-22. ↩︎
  17. BRAULT. J, op. cit., p. 227. ↩︎
  18. P. DUBUC, ibid., p. 22.
    ↩︎
  19. P. DUBUC, ibid., p. 22. ↩︎
  20. Mario PELLETIER, La Caisse dans tous ses états, Montréal, Carte blanche, 2009, p. 270.
    ↩︎
  21. P. DUBUC, op. cit., p. 25 ↩︎
  22. M. PELLETIER, op. cit., p. 270. 
    ↩︎
  23. M. PELLETIER, Ibid., p. 269. ↩︎
  24. M. PELLETIER, Ibid., p. 282. ↩︎
  25. M. PELLETIER, Ibid., p. 280. ↩︎
  26. CLOUTIER. Mario. Archambault passe aux mains de Québecor, Le Devoir, (1995, 21 oct). p. 1C. ↩︎
  27. Site web de Québecor, section Activités sous section Livres. (Page consultée le 27 mars 2025) ↩︎
  28. Site web de Québecor, section Activités sous section Musique. (Page consultée le 27 mars 2025) ↩︎
  29. DÉCARIE, Jean-Philippe. Québecor acquiert Vision Globale, La Presse, (2014, 26 oct.). https://www.lapresse.ca/affaires/economie/quebec/201410/26/01-4812716-quebecor-acquiert-vision-globale.php#, (Page consultée le 27 mars 2025). ↩︎
  30. Site web de Québecor, section Activités sous section MELS. (Page consultée le 27 mars 2025). ↩︎
  31. P. DUBUC, op. cit., p. 40. ↩︎
  32. P. DUBUC, Ibid., p. 41. ↩︎
  33. RABOY, Marc. Les médias québécois : Presse, radio, télévision, inforoute, 2e édition, Québec, Gaëtan       Morin éditeur, 2000, p. 78-79.
    ↩︎
  34.  Stéphane BAILLARGEON, «Quebecor se retire du Conseil de presse », 30 juin 2010, Le Devoir, https://www.ledevoir.com/culture/medias/291785/quebecor-se-retire-du-conseil-de-presse, (Page consultée le 27 mars 2025). 
    ↩︎
  35. BAILLARGEON, loc. cit,.
    ↩︎
  36. PILON, Alain et PAQUETTE, Martine. Sociologie des médias du Québec ; de la presse écrite à internet, Montréal, Fides éducation, (2014), p. 175. ↩︎
  37. PILON, Alain et PAQUETTE, Martine, Ibid., p. 176. ↩︎
  38.  PILON, Alain et PAQUETTE, Martine, Ibid., p. 177. ↩︎
  39. PILON, Alain et PAQUETTE, Martine, Ibid., p. 177. ↩︎
  40. Renaud CARBASSE, « « Du solide et du concret » : concentration de la propriété et convergence journalistique au sein du groupe Quebecor Média », 6 janvier 2011, Canadian journal of communication, https://doi.org/10.22230/cjc.2010v35n4a2381, (page consultée le 27 mars 2025). ↩︎
  41. CARBASSE, loc. cit,. ↩︎
  42. CARBASSE, loc. cit,. ↩︎
  43. SAINT-JEAN, Armande . (2003, janvier). Les effets de la concentration des médias au Québec : problématique, recherche et consultations. (Tome 2) [Rapport du comité conseil]. Archives numériques BANQ. p. 22. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/42272?docref=lesSrU8uekEA57fNd1uPhA, (Page consultée le 27 mars 2025). ↩︎
  44. PILON, Alain et PAQUETTE, Martine, loc, cit., p. 186. ↩︎
  45. SAULNIER, Alain. Tenir tête aux gérants du web, Montréal, Écosociété, 2024, p.283 ↩︎
  46. HORCHANI, S. (2010b). ANALYSE DES MODÈLES D’AFFAIRES DES MÉDIAS TRADITIONNELS FACE à LA MULTIPLICATION DES PLATEFORMES ÉLECTRONIQUES: CAS QUEBECOR MEDIA INC. [MÉMOIRE, Service des bibliothèques]. In UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL. https://central.bac-lac.gc.ca/.item?id=TC-QMUQ-3743&op=pdf&app=Library&is_thesis=1&oclc_number=757476494 . ↩︎
  47. M, PELLETIER, op. cit., p. 282. ↩︎
  48. M, PELLETIER, Ibid., p. 290. ↩︎
  49. M, PELLETIER, Ibid., p. 291. ↩︎
  50. A, SAULNIER, op. Cit., p. 152. ↩︎
  51. Quebecor lance une opération numérisation. (2007, 8 mai). La Presse. https://www.lapresse.ca/affaires/economie/200901/06/01-678378-quebecor-lance-une-operation-numerisation.php, (Page consultée le 27 mars 2025). ↩︎

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Site web de Québecor, section Activités sous section MELS. (Page consultée le 27 mars 2025) https://www.quebecor.com/fr/nos-activites/mels 

TVA Sports : le gouffre financier

28 mars 2025 - Par - Catégorie : Médias

Une annonce caché de tous

 En 2011,  Québecor a décidé de créer sa propre chaîne spécialisée dans le sport. En plus d’être une boîte de production importante, le groupe TVA possédait. Dans les années précédentes, l’entreprise avait lancé une chaîne de nouvelles en continu pour venir faire concurrence au Réseau de l’information (RDI). Suite au succès connu par LCN,à ce moment-là, le marché francophone était dominé par une seule chaîne, soit le Réseau des sports (RDS).En plus de reportages sportifs, La chaîne voulait offrir des bulletins de sports, des émissions de débats et d’affaires publiques. Présentement, on peut voir des films et des documentaires se joindre à la programmation. N’ayant pas acquis les droits pour le hockey des Canadiens, le poste réussit toutefois à mettre la main sur ceux des Sénateurs d’Ottawa. Le public peut regarder le football de la RSEQ, le tennis de la coupe Davis et le Tournoi des maîtres.

L’empire médiatique y voyait donc une opportunité en or. L’ouverture d’une chaîne sportive du groupe Quebecor était un secret et ce même pour les employés.  Sébastien Goulet, qui travaillait à l’époque pour TVA l’a appris en lisant le journal de Montréal le matin même de la conférence de presse.

Sébastien Goulet dévoile comment il a appris la création de TVA Sport

Des débuts difficile

Les premières années pour la chaîne ont été relativement difficiles puisqu’ils devaient convaincre le public d’ajouter un autre canal spécialisé en sport a leur forfait télévisuel. Assez rapidement, les dirigeants ont réalisé les coûts astronomiques de la diffusion sportive en direct sur place.

Malgré la présence de Paul Rivard et Pascal Jobin a Toronto pour quelques rencontres des Raptors en NBA, les cote d’écoute ne sont pas au rendez-vous. Les Raptors connaissent des années difficiles sans atteindre les séries a cet époque et sont bien loin d’être la même équipe que celle qui remporte un championnat quelques années plus tard.

25 rencontres des Sénateurs d’Ottawa dans la Ligue nationale de hockey (LNH), les événements de la Ultimate Fighting Championship (UFC) Les rencontres de la Ligue des Champions de l’UEFA sont parmi les droits disponibles dès le départ pour la nouvelle chaîne sportive.

Les rencontre de l’Impact de Montréal (aujourd’hui CF Montréal) sont partiellement diffusé dès les début de l’équipe dans la Major League Soccer (MLS) en 2012 et la station diffuse des rencontres des Blue Jays de Toronto de la Major League Baseball (MLB).

jusqu’à l’arrivé de le LNH sur la chaîne, le record de cote d’écoute est détenu par la finale de la coupe Memorial à Shawinigan qui a battu l’évènement Red Bull où l’autrichien Felix Baumgartner qui a effectuer un saut en chute libre en provenance de l’espace qui détenait le record de la chaîne.

2014 une année marquante

En 2014 tout bascule pour TVA Sport. l’entente pour les droits de diffusion de la LNH se termine à la fin de la saison 2013-14. En novembre 2013, Rogers, propriétaire du réseau Sportsnet, annonce avoir fait l’acquisition des droits de la LNH dès la saison 2014-15. Un contrat de 12 ans pour 5,2 milliard de dollars.

TVA Sports qui entretient déjà des liens forts avec Rogers depuis la création de la chaîne en 2011 saute sur l’occasion d’aller chercher les droits francophones. 110 millions par année pour tous les matchs à l’exception de celle des Sénateurs d’Ottawa et la majorité des rencontres du Canadiens de Montréal.

Seules les rencontres du samedi soir seront diffusées sur TVA Sports et ainsi que toutes les rencontres des séries. TVA Sports détient donc toutes les rencontres de la LNH a l’exception de celles qui attire le plus d’auditeurs en semaine.

De plus, la chaîne a offert la couverture francophone des Jeux Olympiques de Sotchi. En 2014, Québecor signe des contrats avec deux analystes vedettes provenant de chaînes concurrentes. Il est question de Renaud Lavoie qui travaillait à RDS et de Louis Jean qui travaillait à Sportsnet.

Le 12 septembre 2014 marque la naissance de la chaîne TVA Sports 2. Trois ans plus tard, soit le 15 avril 2015, L’empire Québecor lance TVA Sports 3 qui est un canal qui existe seulement lors du premier mois des séries éliminatoires de la LNH.

Un paris risqué

2015 est l’année marquée par  l’achèvement du Centre Vidéotron qui devait accueillir le retour des Nordiques de Québec. Bien que les fonds publics aient servi à l’érection de l’amphithéâtre, Québecor Média réussit à mettre la main sur les droits de gestion de l’aréna.

Les bureaux de TVA déménagent à proximité du Centre Vidéotron. TVA Sports serait aux premières loges pour diffuser les matchs de hockey. En 2016, la LNH annonce que la 31e équipe de la ligue évoluera à Las Vegas. Il s’agit d’une autre prise contre la chaîne. L’aréna donne tout de même de la visibilité à TVA Sports.

2020, une année difficile

La situation financière de TVA Sports était difficile puisque selon Paul Rivard, la chaîne perdait jusqu’à 30 millions par année. Lorsque la pandémie de COVID-19 frappe, le média doit faire d’importantes coupures. À partir de ce moment, la chaîne coupe dans tout ce qui est nouvelles sportives, soit la salle de nouvelles et les bulletins d’informations. RDS qui n’a pas aboli les actualités sportives avait maintenant un net avantage.

Au début de la pandémie, TVA sport est la seule chaîne sportive francophone qui diffuse des évènements sportifs récents puisqu’ils ont les droits de la World Wrestling Entertainment (WWE) qui n’a jamais cessé de produire du contenu malgré les changements qui ont dû être apportés.

Une tentative vers la baladodiffusion

En 2021, TVA Sports lance plusieurs baladodiffusions dont notamment Sur la passerelle qui est  une émission au sujet de la LNH et des Canadiens de Montréal animée par Patrick Lalime et Félix Séguin. Au même moment, la chaîne a lancé La dose, Du champ gauche, Lavoie-Letang et Temps d’arrêt se joignent à XI MTL, Les anti-pods de la lutte qui sont déjà sur la plateforme. Le canal  diffusait déjà  la version balado de son talk-show sportif Jic.

que reste-t-il quatre ans plus tard? les rediffusion de Jic sont encore disponnible et les anti-pods de la lutte sont les seul survivant des podcast sportif de qub.


Les plateformes de diffusions en ligne menacent la télé traditionnelle

La quantité de plateformes de diffusions en continue  est de plus en plus grande et le sport n’en est pas à l’abri. Diffuseur du CF Montréal depuis les débuts en MLS, TVA Sport perd les droits de diffusion lorsque la ligue signe une entente avec Apple TV pour créer le MLS season pass dès la saison 2023.

Cette entente permet toutefois à quelques rencontres d’être diffusé à la télé. Chaque semaine, la rencontre d’une des trois équipes canadiennes de la ligue pourra être distribuée. TVA Sport décide de ne pas diffuser la MLS et laisse les droits à RDS. c’est ainsi que le trio composé de Vincent Destouches, Frederic Lord et Frédérique Guay.

Destouches et Lord deviennent le duo de description francophone officiel du CF Montréal sur Apple TV alors, Guay continue son travail a TVA notamment à l’animation du Québec matin mais, en 2023, annonce prendre une pause de sa vie professionnelle afin de consacrer plus de temps à sa vie personnel. Les trois font partie de l’équipe de diffusion de l’omnium Banque national disputé à Montréal chaque année.

La fin de l’année 2024 a été marquée par le départ d’un autre contenu vers les plateformes de diffusion en continu. Diffusée sur TVA Sport depuis octobre 2017, la lutte de la WWE RAW débarque sur Netflix. Le duo composé de Pat Laprade et Kevin Raphael qui anime le balado les antipodes de la lutte quitte la station mais deviennent les commentateurs officiel en français canadiens pour l’ensemble des évènements de la WWE disponible sur Netflix.

Les plateformes de diffusion en ligne sont de plus en plus importantes dans le sport. Dans le milieu du soccer, tout est disponible en ligne. Depuis sa saison inaugurale en 2019, la Canadian Premier League (CPL) est exclusivement sur la plateforme ONE Soccer qui diffuse également les rencontres de l’équipe nationale et celle du Championnat canadien. Six ans plus tard, une entente a été faite avec TSN pour diffuser des rencontres sur la chaîne sportive dès 2025. 

Voyant très le nombre d’abonnées au câble diminuer année après années, TVA Sport a lancé en 2019 TVA Sport direct, un service d’abonnement en ligne pour avoir accès au contenu de la station sans devoir passer par la télé traditionnelle. Quelques rencontres de la LNH sont présentées exclusivement sur la plateforme.

des membres importants

Paul Rivard

Arrivé dans l’aventure de TVA Sports avant même sa création, Paul Rivard a quitté en 2020 lorsque ses patrons lui ont proposé de continuer ou d’accepter une offre de départ.

En plus d’avoir été le chroniqueur sportif dans les premières années de Salut Bonjour, il a également été le premier animateur de la célèbre  émission 110%. Il a été mandaté par TVA pour bâtir la chaîne TVA Sport. Il a été descripteur pour le basketball de la NBA, il a été à la barre du bulletin de nouvelle sportive de la chaîne et a été le descripteur du Tennis en compagnie notamment de Valérie Tétreault et de marie-ève pelletier envers qui il ne tarie pas d’éloge. Après son départ en 2020, Paul Rivard rejoint la faculté de communication de l’UQAM en tant que chargé de cours pour le programme de journalisme. Il transmet son expérience de plus de 40 ans dans les médias aux aspirants journalistes.

Sébastien Goulet

Remplaçant officiel de Michel Lacroix en tant qu’annonceur maison du Canadiens de Montréal depuis 2002, Sébastien Goulet à également participé à de nombreux jeux olympiques en tant qu’annonceur francophone. Employé chez TVA avant même l’annonce de la création de la filiale sportive de Québecor, il démontre clairement son intérêt de rejoindre l’équipe d’analystes dès les débuts de la chaîne. C’est ainsi qu’il occupe plusieurs postes derrière la caméra. Lorsque la station obtient les droits de la LHJMQ, il envoie un pilote  pour la description des rencontres, lui qui a déjà occupé le rôle à la radio. Après des essais fructueux, il force la main de ses patrons qui lui offrent officiellement la couverture de la LHJMQ en compagnie de Alain Chainey qui vient tout juste de quitter son poste de recruteur en chef des Ducks d’Anaheim. Naturellement, lorsque les droits de la LNH ont été acquis par TVA Sport, il intègre l’équipe de diffusion. En plus du hockey, il décrit le Tennis et à l’occasion le Soccer lui qui est également l’annonceur maison remplaçant du CF Montréal. Lorsque Félix Séguin a dû s’absenter plus tôt en mars, c’est à lui que TVA Sport a fait appel pour le remplacer au côté de Patrick Lalime. Sans être une tête d’affiche mis de l’avant par la station, il a su s’illustrer par son talent d’orateur et gagner le cœur du public.

Mais que pense nos 2 intervenants sur les autres membres importants de la stations? Valérie Tétreault et marie-ève pelletier ont été les premiers noms a sortir de la bouche des 2 piliers de la stations qui ont travailler avec ces anciennes joueuse de tennis professionnel. Le regretté Yvons Pedneault

Enrico Ciccone 

Enrico Ciccone est un joueur de hockey professionnel canadien évoluant au poste de défenseur. En 2001, à la fin de sa carrière de hockeyeur, il devient analyste.Lors de la diffusion des rencontres des sénateurs d’ottawa par TVA Sport, il est entre le banc des deux équipes pour participer à la couverture. Par la suite, il se lance en politique pour le Parti libéral du Québec. Il occupe ce poste depuis le premier octobre 2018.

Valérie Tétreault 

Aux yeux de Paul Rivard, l’ancienne 112e  raquette mondiale est une des révélations majeures de la station. En 2010, une blessure la tient à l’écart des terrains après 2  présences consécutives au 1er tour en grand chelem, elle annonce sa retraite des terrains lorsqu’elle est à peine âgée de 22 ans. Trois mois après avoir annoncé sa retraite,elle devient directrice, communication et relation média pour Tennis Canada qui est basé à Montréal. Un peu plus d’un an après, elle est engagée chez TVA Sports en tant qu’analyste pour le tennis. C’est en compagnie de Paul Rivard que Tetrault fait ses débuts dans les médias et impressionne l’animateur expérimenté. *extrait paul*. Elle occupera la double fonction à l’analyse et à la direction des communications de Tennis Canada jusqu’en 2022 où elle devient directrice de l’Omnium Banque Nationale, le tournoi le plus prestigieux au Canada, en remplacement d’ Eugène Lapierre nouvellement retraité. Elle quitte alors TVA Sports afin de se concentrer pleinement sur son nouveau poste.

Jean-Charles Lajoie

Jean-Charles Lajoie a travaillé comme présentateur de nouvelles des sports à TVA à Sherbrooke. Après avoir remporté le concours Sports académie, il devient animateur de radio sur les ondes de CKAC. Il travaille pour Cogeco à l’animation d’émissions sportives comme Bonsoir les sportifs. Après avoir été animateur en remplacement de plusieurs émissions, le 14 janvier 2019 Lajoie obtient sa propre émission d’actualités sportives. l’émission est toujours en ondes en date de mars 2025.

Une équipe hockey solide

Il est difficile de nommer un seul membre de l’équipe d’analystes de TVA Sports qui se démarque. Depuis 2014,la chaîne est le détenteur exclusif francophone des droits de la LNH. Patrick Lalime et Félix Séguin étaient tous les deux  à la description de la LNH pour RDS. Renaud Lavoie qui était “insider” pour le même média les a également rejoint tout comme Michel Bergeron. Louis Jean, un québécois qui travaille pour Sportsnet en anglais se fait également offrir la chance de travailler en français a tva sport. José Theodore, Michel Bergeron, Alain chainey, alexandre picard, alexandre daigle, Mike Bossy et Yvon Pedneault sont parmi les têtes d’affiche qui ont contribué à la diffusion du hockey de la Ligue Nationale depuis 2014.

conflits avec Bell et Cogeco

Dès sa création en 2011, TVA Sports entre en conflit avec ses principaux concurrents soit Bell et Cogeco. Ces derniers refusent de rendre disponible le nouvel investissement de l’empire Péladeau à leurs clients. La dispute durera environ un mois, après quoi Cogeco a annoncé la distribution de la chaîne pour un an.

Le 22 novembre, le groupe TVA et Bell annoncent un accord. Bell diffusera maintenant TVA Sports et en échange, Vidéotron offrira RDS2 à ses clients. La trêve entre les deux câblodistributeurs durera seulement quelques années.

En 2019, au moment des séries éliminatoires de la LNH, Québecor menace les clients de Bell de couper le signal de la chaîne sportive. On pouvait voir un message à l’écran indiquant que « Pour ne rien manquer des séries, communiquez avec Cogeco, Rogers, Shaw, Telus, Vidéotron ou votre distributeur local.» L’entreprise accuse Bell de vouloir pénaliser ses clients et de les «retenir en  otage.»

Un bilan financier difficile

Depuis sa création en 2011, TVA Sports n’a jamais connu de bilan positif. Selon le journaliste à la retraite Paul Rivard et pionnier de la station. Dans un article de La Presse en juillet 2024, on estime les pertes de TVA Sports à 242 millions depuis sa création.

Les droits de diffusion de la LNH coûtent à la station 110 millions par année. Toutefois, la chaîne câblée ne réussit pas à rentabiliser son investissement. Malheureusement, lors de la période de 2004 à 2014, le Tricolore  a raté  les séries a seulement deux reprises.

Depuis l’arrivée des droits à TVA Sport, la sainte flanelle a raté à six reprises le bal printanier en étant même sauver lors de la saison 2019-20 en participant aux séries grâce au tournois qualificatif mis en place par la LNH en raison de la fin abrupte de la saison.

À l’exception de la finale de la coupe Stanley en 2021, les partisans du bleu-blanc-rouge ont eu peut de raison de s’exciter en séries. Alors que l’équipe semble se diriger vers la bonne direction, le contrat pour les droits de la LNH est presque terminé. Des rencontres sont déjà disputées sur Amazon Prime le lundi et il y aura une guerre entre la télé et les plateformes de diffusion en ligne pour obtenir les droits. TVA Sport pourrait perdre les droits de la LNH au moment où le Canadiens de Montréal, qui permet d’avoir les plus grande cote d’écoute de la station en séries, auront finalement une équipe compétitive.

Pour tenter de diminuer les pertes, la chaîne inclut une tonne de commandite lors des rencontres. Alors qu’à une époque les temps morts dans le jeu étaient meublés par de l’analyse, on retrouve désormais de courtes publicités. un bandeau avec un commanditaire est au-dessus du pointage et change de commanditaire à chaque période, tous les segments dans la rencontre sont commandités. Les reprises Vidéotron, les avantages numériques présentés par Napa pièce d’auto et Uber Eats au moment d’aller a la pause ne sont que quelques exemples parmi une abondance de publicité pour tenter d’éponger les pertes.

Un avenir incertain

Sébastien Goulet nous a confié lors d’une conversation hors micro qu’il restait positif face à l’avenir du média. Si M.Goulet nous a fait preuve d’optimisme, Paul Rivard craint que les jours de TVA Sports soient comptés. Selon l’ancien analyste, on peut s’attendre à une fermeture d’ici la fin 2026.

Mais comment les chaînes de sport peuvent-elles réussir à combattre les plateformes de streaming? Il est possiblement déjà trop tard mais une alliance entre TVA Sport et RDS pour faire la promotion des contenu disponible sur les chaînes compétitrice pourrait être bénéfique pour tous les partis

Le Journal de Montréal : Jalons historiques d’un géant de la presse

27 mars 2025 - Par - Catégorie : International

Entre son rôle clé au sein de l’empire médiatique Québecor, ses changements éditoriaux, ses adaptations technologiques et son conflit de travail de deux ans – le plus long de l’histoire de la presse écrite au Canada – le Journal de Montréal a certainement marqué le paysage médiatique québécois. Depuis sa fondation en 1964 jusqu’à aujourd’hui, il s’est imposé comme pilier incontournable du journalisme populaire au Québec.


Par Perlina Rossi-Brown, Laetitia Marey, Benjamin Brassard et Antoine Lafontaine-Mesa

Son évolution, de sa création à aujourd’hui, reflète les changements sociaux, technologiques et culturels de notre Belle Province. Grâce à une stratégie que certains qualifieraient d’audacieuse et des innovations qui ont marqué les médias québécois, le quotidien a su s’adapter aux défis des différentes époques et fidéliser une large base de lecteurs.

La fondation et son contexte

Profitant du conflit de travail qui touchait La Presse au début des années soixante, Pierre Péladeau fonde le JDM, qui va rapidement s’établir sur le marché des journaux québécois (surtout montréalais) en s’inspirant de tabloïds anglais et en mettant l’accent sur les sujets populaires, les faits divers et les sports, ce qui touche un lectorat plus large et plus varié.

Crédit photo: 50 ans d’histoire : le Journal de Montréal, 1964-2014, 46 pages.

Dès son lancement, le JDM connaît, grâce au vide médiatique temporaire laissé par La Presse, un tirage plus que satisfaisant. Cependant, avec la résolution du conflit de son concurrent en 1965, le quotidien a dû redoubler d’efforts pour conserver sa base de lecteur. Dans ce contexte, Péladeau a alors misé sur une optimisation des processus d’impression et une diversification de ses contenus pour renforcer l’attractivité du quotidien.

Avancées technologiques et diversification éditoriale

L’une des premières décisions stratégiques prises par le JDM est l’adoption du procédé d’impression « offset », une technologie qui se voulait innovante à l’époque, surtout en Amérique du Nord (https://www.quebecor.com/fr/la-societe/notre-histoire). Ce choix a permis non seulement une meilleure qualité d’impression, mais aussi une réduction des coûts de production et une diffusion plus rapide. Grâce à cette avancée significative, le quotidien a grandement renforcé son attractivité en plus de sa position concurrentielle.

À la même époque, le contenu éditorial du journal a subi une vague de changement. Le quotidien élargit sa ligne éditoriale en abordant des sujets de société, tout en intégrant des chroniques humoristiques, politiques et sportives. Les journalistes, durant cette période, possédaient une grande liberté éditoriale et pouvaient critiquer la droite comme la gauche sans problème.

C’est aussi à la même époque Entre son rôle clé au sein de l’empire médiatique Québecor, ses changements éditoriaux, ses adaptations technologiques et son conflit de travail de deux ans – le plus long de l’histoire de la presse écrite au Canada – le Journal de Montréal a certainement marqué le paysage médiatique québécois. Depuis sa fondation en 1964 jusqu’à aujourd’hui, il s’est imposé comme pilier incontournable du journalisme populaire au Québec. 

Son évolution, de saque le quotidien adopte la fameuse règle des quatre « s » (sang, sport, sexe et spectacle). Le JDM, qui détenait déjà un budget conséquent à l’époque, compensait cette règle quelque peu sensationnaliste par une couverture médiatique rigoureuse et sérieuse.

La création d’une édition du dimanche a également marqué une étape importante dans le développement du journal, témoignant de l’ambition du JDM d’occuper une place centrale dans l’univers médiatique québécois. En parallèle, Péladeau lance le Journal de Québec en 1967, consolidant l’expansion de l’empire Québecor.

Pendant cette période, la culture populaire a occupé une place de plus en plus importante dans les pages du journal. On y retrouvait des reportages sur divers sujets qui suscitent des émotions, comme la musique, la télévision et le cinéma, ce qui plaît à un public jeune et dynamique. La diversification des sujets et de reportages a grandement contribué à solidifier sa base de lecteurs.

Affirmation et montée en puissance 

Entre 1972 et 1985, le JDM a renforcé son influence en recrutant des journalistes et chroniqueurs de renom, comme Bertrand Raymond ou encore Norman Girard, ce qui lui a permis d’élargir encore plus sa base de fidèle lecteur et d’accroître son influence sur l’opinion publique québécoise. 

C’est à cette époque que l’audace éditoriale est devenue la marque de commerce du JDM qui n’hésitait jamais à aborder des sujets qui faisaient « jaser ». 

Cette période fut également marquée par la montée en puissance du groupe Québecor, la société fondée par Pierre Péladeau, qui a investi massivement dans l’édition et les communications. (https://www.quebecor.com/fr/la-societe/notre-histoire) Cette expansion a conféré au quotidien une stabilité économique lui permettant de poursuivre son développement.

En parallèle, toujours entre 1972 et 1985, le quotidien a développé de nouvelles rubriques plus adaptées aux réalités contemporaines du Québec : affaires économiques, nouvelles internationales et enjeux politiques. L’accent était spécialement mis sur des formats plus interactifs, tels que les sondages et les lettres des lecteurs, leur offrant ainsi une tribune pour s’exprimer sur les enjeux de l’époque.

Changements et controverses 

À partir de 1985, le journal a entrepris une diversification importante de son contenu en intégrant des chroniques spécialisées et en collaborant avec des figures connues et appréciées du grand public. La figure qui incarne bien ce changement est Solange Harvey, qui a pris en charge la rubrique du « courrier du cœur » après le décès de la figure importante, Réjeanne Desrameaux. La chronique « Le courrier de Solange » a sans doute contribué à fidéliser un lectorat attaché aux conseils et témoignages personnels.

Cependant, la période en 1985 et 1990 a aussi été marquée par des critiques croissantes à l’encontre du quotidien. Certains observateurs dénoncent déjà à l’époque son penchant pour le sensationnalisme et son approche parfois jugée trop populiste. Malgré ces controverses, le journal a réussi à conserver une audience fidèle et a continué d’occuper une place importante dans le paysage médiatique québécois.

L’arrivée de Pierre Karl Péladeau aux rênes du JDM 

Lors de la fondation du Journal de Montréal, les conditions de travail au Journal de Montréal étaient assez difficiles. Or, à l’époque, Pierre Péladeau avait conclu un accord avec les employés du média, explique Richard Bousquet, journaliste au Journal de Montréal de 2001 à 2009 : si le JDM devenait le quotidien le plus lu au Québec, les employés bénéficieraient alors des meilleures conditions de travail et des meilleurs salaires dans le paysage médiatique québécois. Et, c’est effectivement ce qui est arrivé sous la direction de M. Péladeau.

« Cela n’a jamais plu à son fils, parce que lui, dans le fond, il a travaillé aussi au Journal de Montréal, mais dans des conditions moins bonnes. Le père était un peu plus dur avec ses enfants qu’avec ses employés », affirme M. Bousquet. 

Après la mort de son père en 1997, Pierre Karl Péladeau prend la direction de Québecor en 1999. Dès lors, le journal a pris des positions politiques plus marquées à droite et a adopté une ligne antisyndicale, rapporte Martin Leclerc, ancien journaliste du JDM et président du syndicat du média. 

De plus, les décisions éditoriales ont commencé à être influencées par les objectifs commerciaux de la société, ce qui a entraîné des cas de censure et d’autocensure. M. Leclerc cite l’exemple marquant du congédiement de Bernard Brisset, rédacteur en chef à l’époque, qui avait refusé de donner une couverture excessive à Star Académie au début des années 2000.

L’acquisition de Vidéotron et TVA par Québecor 

Après les acquisitions de Sun Media en 1998, puis de Vidéotron en 2000, le fils du fondateur a commencé à s’intéresser davantage aux médias, dont le Journal de Montréal. En achetant Vidéotron, Québecor a fait passer le réseau TVA dans son giron. Pierre Karl Péladeau a introduit ainsi le concept de la convergence «comme un moyen de financer la production de contenus qu’un petit marché comme celui du Québec ne pourrait se permettre autrement». Toutefois, pour approuver l’acquisition de TVA, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a imposé plusieurs conditions à Québecor. ​

D’après Richard Bousquet, la première condition réclamait que Québecor conserve son adhésion à la Presse canadienne. Or, l’entreprise quittera cette agence en 2009, lors de la création de l’agence QMI (Québecor Media inc). 

La deuxième condition était que Québecor devait garantir l’étanchéité entre les salles de rédaction de TVA et du Journal de Montréal, préservant ainsi l’indépendance éditoriale de chaque entité.​ Cependant, cette clause sera brisée lors de la création de l’agence QMI, qui permettra aux différents médias d’information de Québecor de partager leurs contenus et de les diffuser.

Enfin, la troisième demande posée par le CRTC était l’engagement des médias de Québecor au Conseil de presse du Québec (CPQ). « Jusque-là, le Journal de Montréal n’avait jamais adhéré au conseil de presse, parce que le financement du conseil de presse se fait selon les tirages des journaux, mais comme le Journal de Montréal avait le plus grand tirage, le père Péladeau disait à l’époque que ce n’était pas des conditions équitables », explique M. Bousquet. 

Quelques années plus tard, en juin 2010, les médias de Québecor, y compris le Journal de Montréal, finiront par quitter le Conseil de presse du Québec (CPQ). S’en suivra un conflit de plus de 10 ans entre l’entreprise et le CPQ. Québecor demandait que les plaintes concernant ses médias, reçues par le CPQ, ne soient plus prises en compte et réclamait plus de 400 000 $ en dommages pour atteinte à sa réputation. Cependant, en février 2023, la Cour supérieure a rejeté la requête de la société, concluant que le CPQ avait le droit de traiter ces plaintes malgré le retrait de Québecor de l’organisme. (https://www.lapresse.ca/affaires/medias/2023-02-17/cour-superieure-du-quebec/le-journal-de-montreal-et-tva-perdent-face-au-conseil-de-presse.php).  ​

Les années 2000: L’essor des investigations 

Le Journal de Montréal est reconnu pour les reportages exclusifs et les infiltrations de son équipe d’enquête, qui ont connu un essor durant les années 2000. La plus célèbre enquête du média demeure celle faite en 2003 dans la secte de Raël : la journaliste Brigitte McCann et la photographe Chantal Poirier du Journal de Montréal se sont infiltrées dans les réunions de la secte de Claude Vorilhon, durant 9 mois. Cette investigation vaudra au Journal de Montréal son tout premier prix Judith-Jasmin.

Selon le Journal de Montréal, ce reportage a révélé plusieurs informations qui ont éloigné du Québec les adeptes raëliens et mis en évidence les abus sexuels dont étaient victimes certaines femmes au sein de la secte. L’enquête a également mis en lumière l’imposture de Clonaid, une organisation de la secte qui affirmait à tort avoir orchestré la naissance du premier bébé cloné de l’humanité.

Mme McCann est restée une figure emblématique du journalisme d’investigation au sein du groupe Québecor jusqu’à sa retraite du Journal de Montréal en 2008. Elle a notamment mené une enquête intitulée Vos enfants sont traqués sur Internet en 2007, en collaboration avec deux collègues du Journal de Montréal. Ce reportage, qui révèle des aspects troublants de la cyberpédophilie et l’importance de la vigilance parentale concernant l’utilisation d’Internet par les enfants, lui vaudra un deuxième prix Judith-Jasmin pour l’enquête de l’année au Québec (le troisième de l’histoire du Journal de Montréal). 

Un autre pionnier du journalisme d’enquête qui a évolué au sein du Journal de Montréal est Michel Auger. Il était reconnu pour sa couverture des conflits entre les bandes de motards au Québec, comme les Hells Angels. ​Le 13 septembre 2000, M. Auger a été victime d’une tentative d’assassinat en pleine rue de Montréal. Un assaillant lui a tiré six balles dans le dos. Malgré ses blessures, Michel Auger a survécu et s’est rétabli. Bien que les soupçons se soient portés sur des membres des groupes criminels qu’il suivait, aucun assaillant n’a été officiellement identifié ou arrêté. 

Dès lors, M. Auger est devenu un symbole de la liberté de la presse et de la résilience face aux menaces contre les journalistes. « L’ensemble des journalistes de tous les médias ont manifesté dans les rues de Montréal suite à cet événement», se souvient Richard Bousquet. 

Suite à cela, des pressions publiques et médiatiques sur le gouvernement ont entraîné l’instauration de lois antigang plus sévères. Ces mesures plus strictes contre le crime organisé ont même mené à l’arrestation de Maurice «Mom» Boucher, chef des Hells Angels, ainsi qu’à l’affaiblissement de son organisation.

Bref, le Journal de Montréal a sensibilisé le public québécois à des enjeux de taille à travers bon nombre de reportages et d’infiltrations chocs à travers le temps. Il continue de le faire de nos jours, comme en témoigne sa nouvelle enquête menée au cœur du plus grand cartel mexicain, publiée en février 2025.

Le Journal de Montréal avant la crise 

Au milieu des années 2000, le Journal de Montréal était l’un des quotidiens les plus lus au Québec, avec une présence marquante dans la presse populaire. Cependant, des tensions internes commençaient à apparaître en raison des restructurations menées par Québecor, qui possédait le journal depuis 1987.

L’achat de Vidéotron et du Groupe TVA par Québecor en 2001 accentuera, dans un futur proche, la convergence des médias. En effet, selon Richard Bousquet, ce phénomène est réellement apparu vers 2004, alors qu’il travaillait aux pages Arts et Spectacles du Journal de Montréal, souvent en tant que chef de pupitre. « On avait la section de musique, la section de théâtre, la section de cinéma, etc., les plus importantes de tous les médias au Québec », s’exclame-t-il. 

Le Journal de Montréal était de plus en plus utilisé comme un outil de promotion pour les productions de TVA avec des émissions comme Star Académie ou Occupation Double, ce qui a suscité des critiques tant chez les journalistes que dans le public. D’après M. Bousquet, la convergence n’empêchait pas les journalistes d’avoir une grande marge de manœuvre et beaucoup d’espace pour traiter de culture. Cela dit, l’équipe de rédaction du Journal de Montréal estimait que « la priorité était quand même mise sur ces émissions de télévision en termes des premières pages et en termes du nombre de pages. »

Plusieurs employés ont donc dénoncé une perte de rigueur journalistique au profit du marketing interne de Québecor. Certains journalistes ont exprimé leur frustration face à cette situation, affirmant que la couverture médiatique des émissions de télé-réalité prenait une place disproportionnée par rapport aux sujets d’actualité plus sérieux. Cette orientation a également divisé le lectorat : certains y voyaient une modernisation du journal, tandis que d’autres regrettaient un contenu moins axé sur l’information indépendante, avec une couverture surdimensionnée des émissions de TVA.

Par ailleurs, le journal poursuivait son modèle éditorial basé sur les « 4 S » : sport, sexe, sang et spectacle. Cette approche sensationnaliste lui assurait un large lectorat, mais renforçait également son image de média populiste. Malgré cela, il conservait une certaine diversité de contenu, incluant des chroniques politiques et économiques respectées. De plus, la direction imposait des mesures pour réduire les coûts, augmentant la précarité de l’emploi dans la salle de rédaction. Le recours à des pigistes s’est intensifié, et plusieurs journalistes d’expérience ont vu leurs rôles diminuer au profit d’un contenu plus rapide et moins coûteux à produire. Cette situation a créé un climat de tension entre les journalistes et la direction, préfigurant le conflit majeur qui allait éclater en 2009.

Témoignage de Martin Leclerc : une transformation inquiétante

L’ex-journaliste Martin Leclerc offre un regard critique sur cette période. Il décrit un média qui, autrefois un lieu de débat et d’expression libre, est progressivement devenu un instrument de convergence médiatique sous la gouverne d’une nouvelle ligne éditoriale : « Il y avait un réel esprit de camaraderie et de solidarité au Journal de Montréal, mais ce sentiment est parti avec le changement de ligne éditoriale. Les pressions pour couvrir uniquement certains sujets se sont intensifiées et nous n’avions plus du tout la même liberté qu’à l’époque », explique-t-il.

Le lock-out de 2009-2011 

Le 24 janvier 2009, Québecor déclenche un lock-out mettant à pied 253 employés du Journal de Montréal. L’entreprise cherchait à imposer une nouvelle convention collective favorisant davantage de pigistes et de contenu externe au détriment des journalistes permanents.

Face à cette situation, les journalistes en lock-out décident de lancer leur propre média en ligne : Rue Frontenac. Rapidement, le site connaît un succès notable, atteignant des milliers de lecteurs quotidiens et proposant un journalisme d’enquête de qualité : « Nous avons prouvé que les lecteurs québécois avaient soif d’un journalisme indépendant et rigoureux », explique Richard Bousquet, ancien journaliste au Journal de Montréal et coordinateur de Rue Frontenac. Ce nouveau média a également attiré l’attention des journaux à l’international, démontrant la capacité des journalistes en lock-out à maintenir une couverture pertinente malgré l’absence de soutien institutionnel. Ce site devient rapidement une référence en journalisme d’enquête et de reportages approfondis. Selon Richard Bousquet, les journalistes ont retrouvé une liberté éditoriale qu’ils n’avaient plus au sein du Journal de Montréal : « Pour la première fois en des années, nous pouvions décider nous-mêmes des sujets à traiter sans aucune pression extérieure. Cela a été un vent de fraîcheur », affirme-t-il.

En parallèle, Québecor a commencé à réorganiser la production du journal en utilisant des agences de presse et en centralisant la production des contenus via l’agence QMI. Cette restructuration a permis au Journal de Montréal de continuer à être publié malgré l’absence de sa salle de rédaction, mais avec un contenu largement remanié et une réduction notable de la couverture locale et d’enquête.

Le lock-out a duré plus de deux ans, se terminant le 26 février 2011 après des négociations tendues entre Québecor et le syndicat des employés.  Il s’agit du plus long conflit de travail dans l’histoire de la presse écrite au Canada. (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1148841/site-rue-frontenac-journal-montreal-lock-out-quebecor-archive) L’accord final a entériné la mise en place d’un modèle de production de contenu plus centralisé, intégrant pleinement l’agence QMI. Seuls 40 postes de journalistes ont été conservés sur les 150 existants avant le conflit, et plusieurs journalistes en lock-out ont refusé de réintégrer le journal, dénonçant une perte d’indépendance éditoriale. De plus, l’entente a entraîné, éventuellement, la « fermeture » du site Rue Frontenac, puisque le site a perdu la majorité de son personnel en avril 2011, peu après le règlement du conflit : « En mai, le journal en ligne s’était placé sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, espérant en arriver à une entente avec un nouvel employeur ». (https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/quebec/evenements/23968) En juillet 2011, les 45 employés restants quittent Rue Frontenac et retirent leurs textes et articles du site après une mésentente avec le nouvel employeur, Marcel Boisvert.

Témoignage de Richard Bousquet : les coulisses du lock-out et ses conséquences

Richard Bousquet, ancien chef de pupitre, explique que le lock-out a été un tournant crucial orchestré par Québecor pour casser la structure syndicale du journal : « Québecor ne voulait plus d’un journal indépendant. Ils voulaient une machine bien huilée, qui produisait du contenu rapidement et efficacement, sans avoir à négocier avec des journalistes trop exigeants », affirme-t-il.

Selon lui, cette stratégie a permis à Québecor d’intégrer pleinement l’agence QMI et de modifier la manière dont l’information était produite, en mettant l’accent sur le volume et la rapidité plutôt que sur la profondeur et la rigueur : « L’objectif n’était plus d’informer le public, mais de générer du contenu au moindre coût », ajoute-t-il.

Post lock-out 

Dans les années suivant le lock-out, le Journal de Montréal s’est restructuré en mettant l’accent sur le numérique et la convergence avec TVA et l’agence QMI. Le journal a également renforcé sa présence en ligne en adoptant un modèle d’abonnement pour certains contenus, suivant l’exemple de La Presse+ et d’autres médias numériques. Toutefois, le Journal de Montréal a maintenu une forte présence dans sa version papier, s’appuyant sur un lectorat fidèle.

Dans le cadre de cette transition, l’agence QMI a joué un rôle clé en fournissant du contenu centralisé pour plusieurs plateformes du groupe Québecor. Cette intégration a permis une production d’articles plus rapide, mais a aussi suscité des critiques sur l’uniformisation des nouvelles et la perte de diversité dans la couverture médiatique. Certains journalistes ont dénoncé une diminution des ressources consacrées aux reportages d’enquête, remplacés par du contenu plus léger et du journalisme d’opinion.

En parallèle, le Journal de Montréal a lancé plusieurs initiatives numériques pour s’adapter aux nouvelles habitudes des lecteurs. En 2014, une version numérique optimisée a été développée, accompagnée d’une application mobile pour permettre un accès facilité aux articles en ligne. Le journal a également investi dans des formats multimédias, tels que les vidéos et les infographies, dans le but d’élargir son audience.

Par ailleurs, la section opinion du journal a pris plus d’importance, donnant une place accrue aux chroniqueurs et aux éditorialistes aux tendances plus marquées. Ce virage a contribué à l’image de plus en plus polarisée du journal, qui a été critiqué pour ses positions conservatrices sur certaines questions sociales et politiques. Certains lecteurs y voyaient une évolution nécessaire pour conserver un lectorat engagé, tandis que d’autres regrettaient une dérive vers un journalisme plus partisan.

Répercussions du lock-out sur le contenu éditorial

L’un des impacts majeurs du lock-out a été la restructuration de la ligne éditoriale du journal. L’ancien modèle, qui comprenait une plus grande diversité de voix et d’opinions, a progressivement laissé place à un contenu plus uniformisé et aligné sur les priorités de Québecor. Plusieurs s’accordent à dire que cette nouvelle approche a réduit l’indépendance des journalistes et la qualité du journalisme d’enquête.

Cette période a aussi vu une réduction significative du nombre de journalistes d’expérience au sein de la rédaction. Plusieurs ont quitté le Journal de Montréal pour rejoindre d’autres médias ou se reconvertir dans des secteurs connexes, laissant place à une nouvelle génération de journalistes opérant dans un contexte de précarité plus accrue et sous une pression constante pour produire du contenu à un rythme accéléré.

Le Journal de Montréal aujourd’hui 

Depuis 2017, le journal a consolidé sa présence en ligne tout en continuant à susciter des débats sur son orientation éditoriale. Par exemple, sa couverture de la pandémie de COVID-19 a été critiquée pour son ton parfois alarmiste, tandis que certains observateurs ont salué son engagement à dénoncer les lacunes du système de santé québécois. De plus, sa ligne éditoriale sur des enjeux comme l’immigration et la gestion gouvernementale a provoqué des réactions contrastées, certains dénonçant une approche populiste, tandis que d’autres y voyaient une voix nécessaire contre le consensus médiatique dominant. Plusieurs critiques pointent son virage conservateur et sensationnaliste, notamment dans sa couverture des questions politiques et sociales. En 2021, le Journal de Montréal et le Journal de Québec ont publié une première page qui a créé une vague de critiques de toute part après avoir illustré l’arrivée du variant indien au Canada avec une photo du premier ministre Justin Trudeau en tenue traditionnelle indienne. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont réagi avec consternation : certains croyant à une blague, tandis que d’autres ont dénoncé des amalgames contribuant à des idées reçues et le racisme envers certaines communautés ethniques. « Même s’il y a 200 plaintes, Québecor reste toujours indifférent aux décisions du Conseil de presse », avait lancé Marc-François Bernier, professeur titulaire au Département de communication de l’Université d’Ottawa et journaliste pendant près de 20 ans.

L’essor du numérique a poussé le Journal de Montréal à intégrer de nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle et les algorithmes de recommandation de contenu. Le journal a également mis en place des stratégies de marketing agressives pour capter un lectorat plus jeune sur les réseaux sociaux. Le recours à l’intelligence artificielle et à des pigistes internationaux pour produire du contenu économique a également suscité des interrogations sur la qualité de l’information diffusée. Certains analystes estiment que cette évolution a affaibli la rigueur journalistique du quotidien, au profit d’une logique de rentabilité immédiate.

Conclusion

Le Journal de Montréal a connu des mutations profondes depuis sa création en 1967, passant d’un journal populaire, mais diversifié à un outil central de l’empire Québecor. Le changement éditorial en 1997 ou même le lock-out de 2009-2011 ont marqué une rupture définitive, et, aujourd’hui, son avenir repose sur sa capacité à s’adapter aux réalités du numérique tout en conservant sa place dans l’espace médiatique québécois.

Dans un contexte où les habitudes de consommation de l’information évoluent rapidement, le journal devra relever plusieurs défis majeurs. L’essor des plateformes numériques et des médias sociaux oblige le Journal de Montréal à innover pour capter un lectorat plus jeune, tout en maintenant son audience traditionnelle attachée à l’édition papier. La diversification des formats, notamment la vidéo courte et les balados, pourrait jouer un rôle clé dans cette adaptation.

Par ailleurs, la crédibilité du journal est régulièrement mise à l’épreuve, notamment en raison de son orientation éditoriale perçue par certains comme trop partisane. Il lui faudra trouver un équilibre entre engagement éditorial et rigueur journalistique pour conserver la confiance du public. De plus, la montée de l’intelligence artificielle dans la production de contenu soulève des questions sur l’avenir du métier de journaliste et la qualité de l’information diffusée.

Enfin, le défi financier demeure crucial : avec la baisse des revenus publicitaires traditionnels, le journal devra explorer de nouveaux modèles économiques, comme les abonnements numériques et les partenariats stratégiques. Son avenir dépendra de sa capacité à concilier rentabilité et indépendance journalistique dans un paysage médiatique en pleine transformation.

Crédit photo: 50 ans d’histoire : le Journal de Montréal, 1964-2014, 46 pages.

Myra Cree, pionnière du journalisme féminin québécois 

27 mars 2025 - Par - Catégorie : culture

Première femme à avoir présenté le Téléjournal de Radio-Canada, féministe engagée et animatrice de radio passionnée, Myra Cree s’est forgé une place dans l’histoire du journalisme québécois. Vingt ans après son décès, elle continue d’être un exemple de courage et de succès.

Par Constance Pomerleau, Maïka Thomson, Romy Clermont et Mélody Deveau

Myra Cree, pionnière du journalisme québécois, particulièrement en radio. Crédit photo : Indspire

Ayant marqué les esprits avec sa présence à la télévision et à la radio, Myra Cree est une pionnière du journalisme féminin au Québec. Ses débuts à Radio-Canada, en 1973, en tant qu’animatrice radio puis à la télévision l’ont menée loin dans sa carrière. Elle a, entre autres, été la première femme à animer le téléjournal. Elle a également couvert des événements et a animé plusieurs émissions à succès. Son expérience lui a valu plusieurs prix et nominations, mais surtout, beaucoup de reconnaissance dans le milieu.

Le parcours de Myra Cree en est un qui mérite d’être découvert. Elle était une femme engagée, notamment dans le milieu autochtone et féministe, en plus d’être assumée dans ses valeurs et dans ses convictions concernant la religion et son homosexualité.

Ses racines

Née le 28 janvier 1937 dans la réserve autochtone d’Oka-Kanesatake, Myra Cree est la fille unique d’Ernest Cree et de Georgiana Johnson. D’origine mohawk, elle est issue d’une lignée de grands chefs, incluant donc son père et son grand-père, Timothy Arirhon. 

Myra Cree a vécu son enfance dans un environnement trilingue. Sa première langue était l’anglais et seulement quelques rudiments du mohawk lui ont été transmis. C’est plus tard, lorsqu’elle étudie chez les sœurs de la congrégation de Notre-Dame, qu’elle apprend le français. C’est à partir de ce moment qu’elle développe son amour pour la langue française, langue qui deviendra plus tard son outil de travail, son « beau souci », comme elle le disait elle-même.

En 1963, Myra Cree épouse Jacques Bernier, un avocat, et ils ont quatre enfants ensemble dans les années 60 : Myra, Jacques, Martin et Isabelle. En 1969, Myra et Jacques sont victimes d’un accident de voiture, et ce dernier y perd la vie. À l’époque, Myra n’avait que 32 ans et devait élever quatre enfants seule. Elle retourne à Oka en 1970 et achète une maison avec Solange Gagnon, une journaliste scientifique qui sera sa conjointe pour les 36 prochaines années.

Les débuts d’une carrière récompensée

Après avoir passé deux années en enseignement, elle décide de se tourner vers le journalisme radiophonique en 1960. Elle fait ses débuts à la radio CKRS-Jonquière puis se lance à la télévision sur la chaîne de Sherbrooke, CHLT-TV. Cependant, la carrière dont le public se souviendra débute en 1973, l’année marquant son arrivée à Radio-Canada. Elle occupe à ce moment le poste d’animatrice radio.

Myra Cree se tourne ensuite vers la télévision, où elle participe à l’émission quotidienne d’informations Actualités 24 et au Téléjournal de Radio-Canada. De plus, elle devient la première femme attitrée à la lecture de ce bulletin de nouvelles, marquant un grand pas pour la place de la femme en journalisme télévisé. 

« Elle avait plusieurs cordes à son arc. Elle va devenir la [première] tête d’antenne pour Radio-Canada, pour les nouvelles télévisées et, éventuellement, elle va même faire une émission sur la culture religieuse », atteste Maude Bouchard-Dupont, une journaliste qui a dressé un portrait de Myra Cree pour le Musée des mémoires montréalaises. 

La journaliste poursuit sa carrière de façon polyvalente. Elle communique les résultats fragmentaires du scrutin en compagnie de Joël Le Bigot lors de la soirée des élections du 8 juillet 1974, elle anime l’émission d’information religieuse Second regard de 1978 à 1984 et elle partage le moment marquant d’avoir animé la couverture nationale de la visite du pape Jean-Paul II au Canada en compagnie de Gilles-Claude Thériault.

Entre-temps, elle gagne également des prix, notamment deux importants. En 1981, le prix Judith-Jasmin de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) lui est décerné pour l’émission radiophonique spéciale Choisir l’espérance. La journaliste porte également le titre de chevalière de l’Ordre national de Québec en 1995, un prix rendant hommage aux personnes d’exception soit par leurs créations, idées ou valeurs. C’est la plus haute distinction donnée par le gouvernement du Québec.

Malgré sa polyvalence, c’est à la radio qu’elle sort du lot. « C’est vraiment à la radio qu’elle va prendre ses ailes. Elle a animé la radio de nuit et les gens vont se souvenir d’elle, surtout pour ça », explique Maude Bouchard-Dupont. « Il pouvait y avoir trois personnes dans une salle, quand elle se mettait au micro, c’était une soirée de gala », ajoute son collègue de Terres en vues André Dudemaine.

L’impact de la crise d’Oka

L’agrandissement du territoire de Kanesatake avec les années. Crédit photo : Journal de Montréal
 

La Crise d’Oka où la Résistance de Kanesatake s’est déroulée au cours de l’été 1990 sur le territoire Mohawk de la collectivité de Kanesatake. Elle opposait les manifestants mohawks à la Sûreté du Québec (SQ), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et l’Armée canadienne.

Les origines de la Crise d’Oka ou la Résistance de Kanesatake remontent à 1961, lorsqu’un terrain de golf est aménagé sur la pinède de Kanesatake, malgré l’opposition des Mohawks. En 1990, soit 29 ans plus tard, Jean Ouellette, le maire d’Oka annonce l’agrandissement du terrain de golf et la construction d’un complexe de maisons sur la pinède et sur le cimetière ancestral mohawk, sans consulter la bande de Kanesatake.

Afin d’empêcher le projet, les Mohawks de Kanesatake, de Kahnawake et d’Akwesasne construisent une barricade routière pour empêcher l’accès à la pinède et au cimetière. Les Mohawks de Kahnawake bloquent le pont Mercier en signe de soutien. Les manifestants ignorent deux injonctions ordonnant la levée des barrages routiers. 

Le 11 juillet 1990, la SQ intervient et tente de s’emparer de la barricade utilisant des bombes lacrymogènes dans la foule de manifestants mohawks. Cependant, le vent envoie les gaz dans leur direction. Au cours de cet affrontement, le caporal Marcel Lemay perd la vie dans une fusillade. À ce jour, la SQ ne sait pas quel camp est responsable de la mort du caporal.

À la suite de cet incident, la GRC se joint à la SQ, mais les forces de l’ordre n’ont pas de succès à faire lever le barrage. Le 20 août 1990, l’Opération salon de l’armée canadienne remplace les policiers à la barricade de Kanesatake et au pont Mercier.

Onze jours plus tard, il reste seulement 40 manifestants mohawks au barrage routier de Kanesatake. L’armée démantèle alors la barricade. Le 24 septembre 1990, le premier ministre canadien, Brian Mulroney, promet de réaliser certaines demandes de militants mohawks, sans spécifier lesquelles. À la suite de cette annonce, la Crise d’Oka se termine le 26 septembre 1990.

Un soldat de l’armée canadienne faisant face à un manifestant mohawk. Cette photo a fait polémique lors de la crise. Crédit photo : Radio-Canada

La Crise d’Oka est un événement qui a bouleversé le quotidien de Myra Cree. « Elle avait été, évidemment, ébranlée et choquée par la crise d’Oka et surtout comment les Mohawks et sa communauté ont été impactées par ces événements-là. », raconte André Dudemaine. Il ajoute qu’il était important pour elle de rétablir les faits et les ponts en utilisant le dialogue sans abdiquer la souveraineté mohawk. 

« Je croyais certaines cicatrices de mon enfance bien refermées, mais les “maudites sauvagesses” de mes années d’école me sont montées à la gorge », témoigne-t-elle lors d’une entrevue avec le journaliste Gilles-Claude Thériault à Second regard, à titre d’invitée cette fois.

L’événement lui rappelait les insultes portées sur elle lorsqu’elle était plus jeune en raison de ses origines autochtones. « À ce moment [les personnes autochtones] se faisaient traiter de tous les noms par les agents de la Sûreté du Québec. Ça, oui, elle en a beaucoup souffert. Mais elle avait une telle aura autour d’elle que les gens la respectaient, même sans la connaître », atteste André Dudemaine.

C’est pour cela qu’elle s’investit dans la crise en fondant le Mouvement pour la justice et pour la paix à Oka-Kanesatake, son lieu de naissance. Elle crée celui-ci afin de poser une négociation entre « ses concitoyens, frères et sœurs », car elle ne reconnaissait plus ceux-ci.

Une trace de l’engagement de Myra Cree pendant la Crise d’Oka. Crédit photo : Article de La Presse publié le 7 août 1990

Une femme engagée et affirmée

En 1990, Myra Cree affirme ouvertement son homosexualité en entrevue à La Presse. Ayant eu auparavant quatre enfants avec son mari décédé dans un accident de voiture, elle passe le reste de sa vie avec sa compagne Solange et ses enfants. Avouer sa sexualité au grand public était un geste rare pour les personnalités publiques de l’époque, surtout pour les personnes LGBTQ+. 

« Je pense qu’elle a ouvert des portes à beaucoup d’égards, notamment parce qu’elle était lesbienne. Elle avait fait son coming-out dans les années 1990, ce qui était quand même assez revendicateur à l’époque. C’était quelque chose qu’on ne faisait pas tant que ça à cette période-là. », atteste Maude Bouchard-Dupont.

Myra Cree était non seulement une femme affirmée, mais également engagée. Militante depuis toujours dans le milieu culturel autochtone, elle participe à plusieurs livres et séries télévisées promouvant ces valeurs, notamment À la recherche des Iroquoiens, Le calumet sacré et Les langues autochtones du Québec. Elle s’engage aussi dans le mouvement de la Fédération des femmes du Québec. 

 Myra Cree était également une iconoclaste connue. Bien qu’elle animait l’émission Second Regard, elle se montrait critique envers la religion. Elle n’hésitait pas à défendre discrètement ses valeurs laïques, féministes et d’égalité. Ses propos heurtaient parfois le clergé catholique. Notamment, alors qu’elle couvre la visite du pape Jean-Paul II en 1984, elle refuse de l’appeler « sa sainteté » ou « saint-siège », elle l’appelle plutôt Jean-Paul II et même Carole. Le 19 septembre 1984, après que le pape ait fait une apparition avec la gouverneure générale de l’époque, Jeanne Sauvé, Myra Cree répond à leur propos sur les ondes de Second Regard : « Si je ne craignais de me faire taxer d’irrespect, je dirais qu’ils forment un bien beau couple ». À la suite de ce commentaire, elle est suspendue de l’émission Second Regard pendant un mois, sans salaire. 

Myra Cree à Second Regard en 1981. Crédit photo : Archives de Radio-Canada/Jean-Pierre Karsenty

La radio, un coup de foudre

En 1986, la réalisatrice Henriette Talbot offre à Myra Cree d’animer, L’humeur vagabonde une émission de radio musicale estivale, diffusée sur les ondes AM de Radio-Canada. À la fin de l’été 1986, L’humeur vagabonde perd son nom pour devenir De toutes les couleurs, une émission présentant des airs musicaux d’autour du globe. Elle animera cette émission pendant deux saisons.

C’est à la radio que le public découvre une autre face de Myra Cree, celle d’une femme drôle, chaleureuse et honnête. Elle surprend ses auditeurs avec un sens de l’humour qu’elle ne laissait jamais transparaître lorsqu’elle animait le Téléjournal.

« C’était vraiment un humour profondément réjouissant parce que c’était intelligent », partageait son collègue André Dudemaine. 

 Pour la journaliste devenue animatrice, la radio a été une opportunité de montrer, sans honte, sa véritable personnalité. « Je crois que tu fais de la radio telle que tu es, on ne s’invente pas un personnage », avait-elle annoncé en 1991 lors d’une entrevue au micro de l’émission En direct, animée par sa collègue Christiane Charette. 

 De 1987 à 1994, elle anime l’émission L’embarquement pour si tard, diffusée sur la chaîne culturelle de minuit à 3 heures. Rempli de commentaires humoristiques et honnêtes, Myra Cree se bâtit un public fidèle. Malgré son aise à s’adresser à un public, elle se décrivait comme une personne timide et casanière qui aimait les passe-temps plus calmes. Pour elle, être animatrice de radio lui correspondait parfaitement puisqu’elle pouvait combiner ses deux passions : causer et être assise.

En 1995, L’embarquement pour si tard prend le nom de L’embarquement. Myra Cree, Marie-Claude Sénéchal et Yves Bergeron animeront ensemble cette émission à vocation culturelle, diffusée en semaine à 16 h, jusqu’en 1998. Pendant ses trois ans au micro de L’embarquement, l’animatrice se démarque par ses commentaires intelligents sur l’actualité culturelle.

De 1999 à 2002, année de sa retraite, elle anime l’émission Cree et chuchotements. Sur cette émission, elle aborde parfois, mais fièrement, le sujet de son héritage mohawk. « Nous avons été et nous le serons toujours. Il n’est pas interdit de partager avec l’autre », a-t-elle déclaré à l’émission le 11 juin 2001.

Myra Cree a fait une carrière d’animatrice de radio de 1986 à 2002. Crédits : Radio-Canada

Terre en vues

Vers 1991, peu après la Crise d’Oka, Myra Cree devient membre du conseil d’administration de Terres en vues, société pour la diffusion de la culture. Fondée en 1990 par André Dudemaine, Daniel Corvec et Pierre Thibeault, cette organisation a pour mission d’« arrimer la renaissance artistique et culturelle des premiers peuples au dynamisme culturel d’une grande métropole dans une perspective de développement durable basée sur l’amitié entre les peuples, la diversité des sources d’expressions comme richesse collective à partager et la reconnaissance de la spécificité des Premières Nations », selon le site WEB de l’organisation.

Terres en vues est responsable de l’organisation du festival Présence autochtone, un festival ayant lieu annuellement à Montréal. Celui-ci sert de découverte de films, de musique, de poésie, d’art visuel produits par des personnes autochtones. Myra Cree en faisait la promotion sur son émission Cree et chuchotements.

La bibliothèque Myra-Cree, située à Oka, est nommée en son honneur grâce à son implication dans la culture et la langue française. Crédit photo : Constance Pomerleau

Féministe et fière de l’être

Non seulement impliqué dans le militantisme pour les autochtones, Myra Cree est aussi une figure se battant pour la cause féminine. Elle se joint notamment à la Fédération des femmes du Québec (FFQ) en 1991.

Cette fédération a été fondée en 1966 par Thérèse Casgrain, une réformatrice, féministe et politicienne québécoise, lors du congrès de fondation à Montréal. Encore à ce jour, le principal but de la FFQ est de lutter pour le droit des femmes. Myra Cree les rejoint dans le but de lutter pour l’égalité salariale entre les genres. 

Au cours des années 1990 à 1992, le Canada traverse une récession économique importante marquée par une inflation majeure. En 1990, le taux de chômage du pays était de 8,1 %. En 1993, il a augmenté jusqu’à 11,4 %, soit une augmentation de 3,3 %. Au Québec, 20 % des ménages vivent dans la pauvreté. Cette récession a notamment eu de fortes répercussions sur les femmes de l’époque, principalement sur les mères monoparentales qui devaient subvenir aux besoins de leurs familles. Les femmes s’allient et marchent vers Québec pour faire savoir leurs revendications.

Myra Cree participe à la Marche Du pain et des roses, la marche des femmes contre la pauvreté qui s’étend sur 200 km et dure 10 jours. Cette marche organisée par Françoise David, la présidente de la FFQ à ce moment, avait été inspirée de la Marche pour les droits civiques de 1963 aux États-Unis. 800 femmes québécoises en provenance de Montréal, Longueuil et Rivière-du-Loup ont marché 20 km par jour dans la direction de Québec, là où il y a eu un rassemblement à l’Assemblée nationale le 4 juin 1995. 

Les femmes qui marchent pendant la Marche Du pain et des roses. Crédit photo :Jacques Grenier, Archives du Devoir.

Myra Cree donne un discours le 2 juin 1995 lors de cette marche historique. 

« La ronde des femmes ou la fronde des femmes ? Au gouvernement de choisir! » avait-elle déclaré d’un ton provocateur lors de celui-ci et qui a été préservé dans les archives de Radio-Canada. Il a été utilisé dans le reportage intitulé Pensée et engagement de Myra Cree

Cet événement historique a accordé de nombreuses revendications à ses femmes qui ont marché. Elles ont obtenu : « une hausse du salaire minimum, des logements communautaires, une loi sur l’équité salariale [etc.] »

Étant la première femme à animer le téléjournal de Radio-Canada, Myra Cree a pavé le chemin pour un grand nombre de femmes après elle. 

 « Avoir une figure féminine, pour les jeunes femmes qui regardent ça, c’est une possibilité miraculeuse. […] Si les femmes sont mises de l’avant, ça va donner l’envie à d’autres femmes d’essayer de l’imiter, c’est certain », avait partagé Maude Bouchard-Dupont. 

Une figure remarquable et mémorable

Myra Cree reste pendant 20 ans à Radio-Canada et devient une figure pionnière pour la télévision de cette chaîne. Se sentant à sa place dans ce domaine, elle détient une expérience de plus de 25 ans en radio et en télévision.

« Elle a toujours défendu la création et les artistes, car, pour elle, c’était quelque chose d’important. Elle avait un boulot formidable qu’elle faisait de manière admirable et, dans ce bain de culture et d’érudition, elle était comme un poisson dans l’eau, donc très heureuse », témoigne André Dudemaine.

Le 13 octobre 2005, Myra Cree s’éteint en raison d’un cancer du poumon. Elle perd la vie à Oka en compagnie de ses proches. À ce jour, elle est la seule femme autochtone à détenir une rue nommée en sa mémoire à Montréal.

La rue Myra-Cree, située dans le quartier de Saint-Justin à Montréal. Crédit photo : Maïka Thomson

« Elle est pour moi l’incarnation du service public. Elle est pour moi un exemple qu’on devrait toujours suivre », exprime l’ancienne collègue et meilleure amie de Myra Cree, Monique Giroux, sur le balado Aujourd’hui l’histoire animé par Maxime Coutié. Libre, honnête et dotée d’un sens de l’humour unique, elle n’a jamais cessé de faire la promotion de l’égalité, peu importe ce que les autres en pensaient. Malgré son absence, Myra Cree continue d’être une inspiration pour plusieurs.

Lise Bissonnette : une femme de lettres et d’actions

27 mars 2025 - Par - Catégorie : Médias Politique Société

Par Marion Gagnon-Loiselle, Heidi Leuenberger, Agathe Nogues et Félix Rousseau-Giguère

Lise Bissonnette, en pleine discussion. Crédit : Marion Gagnon-Loiselle

Lise Bissonnette est une figure de proue du journalisme québécois et de la société québécoise, en son sens plus large. Elle a été journaliste au journal Le Devoir et l’a dirigé pendant plusieurs années avant d’entreprendre la construction de la Grande Bibliothèque à Montréal. Ce texte se veut une rétrospective somme toute chronologique de sa carrière et de ses débuts, dans le but de mettre en lumière son parcours complet et passionné. 

Lise Bissonnette est née le 13 décembre 1945, en Abitibi-Témiscamingue. Sixième d’une famille de sept, Lise Bissonnette prend goût à l’écriture et la lecture dès son plus jeune âge. À l’époque où la Seconde Guerre mondiale tirait à sa fin, la religion au Québec était très présente.  La grande journaliste est née dans une période de reconstruction où tous les domaines sont stimulés, comme l’innovation technique, la créativité, et la diffusion au grand public.  Son enfance à Rouyn-Noranda lui fait croire qu’elle est inférieure aux élites plus cultivées. 

La religion

En 1960, la religion prend encore une grande place au sein de la société. Lise Bissonnette allait au pensionnat, qui était « une niaiserie fondamentale », selon elle. Les évêques avaient la responsabilité de 1500 commissions scolaires, puisque le ministère de l’Éducation au Québec n’existait pas. Chaque établissement définissait les contenus pédagogiques nécessaires pour l’obtention du diplôme. Se départir de la communauté religieuse a été « facile » pour la future journaliste, à l’âge de quinze ans elle s’est dit « c’est fini, je ne veux plus aller à la messe ». Elle soutient qu’il n’y avait rien de révolutionnaire de ses actions, comme la société poussait vers la laïcité de l’État.  « La société change et nous, on arrive juste au moment où ça se produit. Au moment où on finit notre adolescence, pouf, toute l’époque s’ouvre», raconte-t-elle.

La cathédrale Saint-Joseph en 1956. Crédit photo : BAnQ, Rouyn-Noranda, f=Fonds J.-Hermann Bolduc. 

Le Parchemin

Le patron de l’école normale avait décidé qu’il fallait un « petit journal étudiant à l’école ». L’école normale Saint-Joseph était tenue par les Soeurs grises de la Croix d’Ottawa. Ce journal « plutôt littéraire » prenait forme sur des pages d’imprimantes où, Mme Bissonnette a écrit son premier article sur un disque de Jacques Brel. À la fin de ses études, la directrice du journal passe le flambeau à Lise. « J’avais 15 ans quand j’ai dirigé mon premier journal, le Parchemin et la Presse étudiante nationale. ».  Elle s’associe à la presse étudiante, qui s’appelait « la Corporation des Escoliers Griffonneurs », soulève-t-elle.

Afin de s’améliorer dans le domaine, elle faisait des cours d’été enseignés par des journalistes du Devoir et La Presse. Les ateliers d’écriture lui ont permis de développer son talent et de gagner de la confiance. « C’est là que ça a mal tourné », exprime Mme Bissonnette, en pensant au numéro spécial qu’elle avait fait.

Après le changement des règles disciplinaires dans son établissement scolaire, elle a publié un article « avant et après ». Ses collègues et elle critiquent le système fermé et déclarent le besoin de changement. Les sœurs ont suggéré qu’elle soit transférée à Montréal, loin de sa terre natale, parce qu’elles considéraient cette révolte comme inacceptable. Lise Bissonnette sortait des normes religieuses dès son plus jeune âge à l’aide du milieu des mouvements étudiants peu traditionnels. 

Le rapport Parent

Pendant la Révolution tranquille, un rapport de plus de 1500 pages vise à réviser les techniques d’enseignement et d’installer une uniformité. Il propose la mise en place d’un système d’éducation intégré de la maternelle jusqu’à l’université ainsi que la création d’un ministère de l’Éducation. Dans les années 1960, l’État prend l’éducation en charge et l’Église perd son pouvoir.  

« Les étudiants en éducation apprennent la pédagogie la plus autoritaire qu’il soit. Vous n’avez pas idée », s’indigne Mme Bissonnette en expliquant « les niaiseries » qu’ils apprenaient afin de devenir des enseignants. Dans son école, les sœurs redoutaient la prise d’État. Lise Bissonnette, rebelle de cœur, achète les premiers tomes du rapport et les apporte à l’école normale : « j’en parlais à tout le monde tout le temps. Pour eux, le fait que je me promenais avec ces documents-là, ça a fait partie du fait que la classe supérieure a appelé ma mère en disant, il faut qu’elle s’en aille ». Elle a donc continué son parcours au baccalauréat à l’Université de Montréal et était plongée dans les changements du système scolaire.

Les membres du rapport parent en 1961. Crédit photo : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.


L’université

Pour bien des familles et des enfants issus de milieux pauvres, l’université représente autre chose que l’éducation. C’est un moyen de prouver l’accès à la richesse intellectuelle.  « On est tous des transfuges de classe », déclare Lise en expliquant que l’entrée à l’université, de nos jours, est différente, contrairement à l’importance qu’on y accordait dans les années 60. « L’une des plus belles journées de ma vie, ça a été ma collation des grades de mon doctorat en 2019. » confie Mme Bissonnette. Selon elle, les générations d’aujourd’hui idéalisent moins l’obtention du diplôme.

Le Quartier Latin

« Je suis rentrée au Québec, j’ai commencé à travailler à l’UQAM comme agent de recherche, de bureau de recherche institutionnel », se rappelle Mme Bissonnette. Après presque 4 ans à travailler pour l’UQAM, elle a appris qu’un « poste s’ouvrait de chroniqueur à l’éducation au Devoir ».

En 1974, les débats politiques étaient vifs : « Très rapidement, il m’a envoyée à Québec.  Et puis le poste s’est ouvert à Ottawa et personne ne voulait y aller » Maîtrisant bien l’anglais, Lise Bissonnette est devenue correspondante politique. « Je suis arrivée la veille de l’élection présidentielle. Tes journées passent, tu ne les vois pas. En plus, on est en plein cœur de la bataille politique. J’ai travaillé très fort, avec beaucoup d’intérêt »

« J’allais la nuit superviser le travail des typographes, etc. Puis je rentrais à mes cours le matin. C’était un vrai journal. Les gens l’attendaient, » explique-t-elle du journal Le Quartier latin. Le journal officiel des étudiants de l’Université de Montréal se situait sur la rue Saint-Denis dans le Quartier latin de Montréal. Ce journal est réputé pour ses prises de position et crée de vives réactions dans l’espace public. Lise Bissonnette défendait la gratuité scolaire, l’égalité des chances et la justice sociale.

Elle mentionne qu’elle avait découvert qu’elle « avait l’instinct » de signer des éditoriaux soutenu par une maîtrise de l’écriture dans son livre d’Entretiens, signé Pascale Ryan. 

Le Devoir

Lise Bissonnette a complété un baccalauréat à l’Université de Montréal dans la faculté des sciences de l’éducation (1965-1978)

Cela n’avait pas été un choix délibéré de sa part. « L’engagement financier de [ses] parents ne pouvait pas aller plus loin ». Elle n’a jamais eu le désir d’enseigner, mais son rêve était d’entrer à l’université. 

Déçue de l’enseignement qu’elle a reçu, elle est partie étudier à Strasbourg, en France. Sa thèse porte sur la naissance et l’essor des nouvelles universités, qui apparaissent en Europe et en Amérique sur un modèle très différent des institutions traditionnelles.

Elle suspend ses études afin de se consacrer à la coordination de la Famille des arts et de la Famille de la formation des maîtres. Elle participe à la création du premier bureau d’études institutionnelles de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Direction du Devoir

Après avoir travaillé comme journaliste au Devoir pendant de nombreuses années, Lise Bissonnette se fait offrir un poste de direction dans ce même journal par le conseil d’administration en 1990. Elle devient alors la première femme québécoise à la tête du journal. Si la nouvelle est fantastique et semble être l’accomplissement ultime de la carrière de Lise, elle ne s’en réjouit pas trop vite. À cette époque, Le Devoir est au bord de la faillite. Le journal fait face à des difficultés financières assez difficiles avec un déficit de 1,9 million de dollars. 

Lise Bissonnette à l’émission Montréal ce soir, le 12 juin 1990. Elle y explique qu’elle a hérité d’un journal menacé de toute part. Source : Archives de Radio-Canada

Lise Bissonnette confie d’ailleurs que c’est pour cette raison qu’elle a été mise à la tête du Devoir. Selon elle, le conseil d’administration, pensant que Le Devoir allait s’éteindre, a préféré que la chute de celui-ci se fasse avec une femme à sa tête.  « C’était l’esprit à l’époque », plaisante Lise Bissonnette en se souvenant de cette anecdote. Lise Bissonnette n’est pas une femme qui se fait marcher sur les pieds ou qui manque de caractère.  Refusant que Le Devoir s’éteigne sous son nom, celle-ci, très dédiée envers le journal, décide de se démener pour qu’il survive.

De grands changements

Elle met en place trois changements principaux afin d’y arriver : la recherche de financement massif, le déménagement des locaux au centre-ville de Montréal, et la refonte du contenu du journal. « J’étais dans le feu de l’action parce que le journal allait très mal, pas seulement financièrement. Il avait perdu son aura. Il n’était plus bon à l’éditorial. Il n’était plus bon en reportage », explique Lise Bissonnette. Elle s’attaque d’abord à la mise en page du journal. Selon elle, le journal n’était pas assez attractif : « Il était gris, il était plate ». Bien qu’elle garde ses principaux traits, elle relance le journal sous une nouvelle maquette. « Je voulais donner une espèce de choc aux gens de la rédaction. Pour qu’ils arrêtent de dire que, si on mettait des photos […] et que, si on refaisait le graphisme […] c’était superficiel », raconte l’ancienne directrice.

Unes du Devoir en 1940 et en 1995. Source : Archives du Devoir

Un nouveau logo, un style plus épuré, des photos, des titres accrocheurs : voilà ce qui sera la nouvelle marque de fabrique du Devoir. Journaliste au Devoir à cette époque-là, Kathleen Lévesque s’étonne encore de ce que son ancienne directrice a été capable de faire : « elle a donné un second souffle au journal. Et ça, c’est pas rien, […] et puis elle va réussir. […] [Elle va]  prendre son bâton de pèlerin, c’est le cas de le dire, puis elle va aller chercher, faire des partenariats financiers, pour soutenir, donc, la structure financière du devoir, revoir la structure éditoriale et le grand ménage graphique aussi du devoir ». Grâce à sa persévérance, elle arrive à relever le quotidien montréalais tout en maintenant son caractère unique et son indépendance éditoriale.

Une direction droite et juste 

Le Devoir sous Lise Bissonnette c’est aussi une direction avec de la rigueur et des principes. « Je savais qu’en entrant au devoir, il fallait nécessairement viser la rigueur. Alors, j’avais nécessairement toujours ça en tête », se remémore Kathleen Lévesque. Dotée d’une grande plume dont elle n’oublie jamais de manquer d’applicabilité, Mme Bissonnette inspire son équipe. « Je me souviens que je suis au Devoir et je me disais “ oh que j’ai des croûtes à manger” […] on avait le goût, on avait le goût, tout le monde, de faire un effort, de mettre l’épaule à la roue. Ça, c’est sûr ». Ben oui. Vraiment. J’en ai mangé des croûtes ». Pas du tout oppressée par son époque, Lise Bissonnette n’a jamais eu peur de défendre ce en quoi elle croyait.

Mme Lévesque se souvient du jour où Mme Bissonnette, sa directrice à l’époque, avait appris, par l’entremise de ses collègues, qu’elle recevait des propos obscènes de la part d’un homme du milieu politique. « J’ai été appelée dans le bureau de Mme Bissonnette dans l’heure qui suit et elle m’a demandé ma version des faits. J’ai raconté. J’avais mon magnéto avec moi. [j’ai dit] “ D’ailleurs, voulez-vous l’entendre?” Elle ne voulait pas entendre les insanités, sauf si j’acceptais qu’elle fasse un éditorial le lendemain pour mettre un terme à la carrière politique de cet homme », développe Kathleen Lévesque. Outre la défense de la condition des femmes dans le monde du journalisme, celle-ci défend aussi ses convictions politiques. Son passage au Devoir est marqué par le positionnement souverainiste de celui-ci. Au cours de son passage au quotidien montréalais, elle écrira un grand nombre d’éditoriaux en faveur du «Oui» qui resteront dans les archives.

Lise Bissonnette sur le plateau de l’émission spéciale La réponse pour la soirée référendaire du 20 mai 1980. Source : Archives de Radio-Canada.

« Mais je me souviens, quand on a vu le grand “non” qui était là, wow! On était impressionnés. Tu sais, ça prend une force intellectuelle hors norme pour oser, écrire le “non”. C’était un coup de génie, sur le plan intellectuel, sur le plan politique, sur le plan marketing aussi, évidemment. Le lendemain, Le Devoir s’est envolé comme des petits pains chauds, là, évidemment », explique-t-elle, en parlant d’un des éditoriaux de son ancienne directrice à propos des discussions entourant les accords de Charlottetown en 1992. 

La pionnière 

Tout au long de sa carrière journalistique, Lise Bissonnette s’est aventurée dans des sentiers peu parcourus par des femmes avant elle. Plusieurs nomment sa nomination à titre de directrice du Devoir – elle était la première femme au Québec, voire au Canada, à diriger un journal – comme étant son plus grand accomplissement en tant que pionnière du monde des médias. Cependant, son arrivée en 1975 comme journaliste politique et correspondante parlementaire « est plus un moment charnière que diriger le journal », mentionne-t-elle, le sourire en coin. 

À son arrivée sur la colline parlementaire à Québec, il n’y avait que deux autres femmes journalistes, note Mme Bissonnette. L’année suivante, en 1976, alors qu’elle est envoyée à Ottawa pour couvrir l’actualité politique, le constat est le même : sur un total d’environ 200 journalistes, elles étaient au plus trois femmes journalistes. L’expérience à la tribune de la presse à Ottawa ne fut pas des plus faciles pour Lise Bissonnette. 

« C’était un milieu encore plus macho qu’à Québec. C’était vraiment quelque chose. Quand tu ne connais pas grand monde – je connaissais seulement deux-trois personnes – tu te sens isolé », exprime-t-elle. 

Lise Bissonnette, en pleine discussion. Crédit : Marion Gagnon-Loiselle

Une vision unique du féminisme

Néanmoins, elle s’est démarquée et est sans contredit l’une des premières journalistes politiques au pays. À savoir si elle pense avoir eu un impact sur les générations de femmes journalistes qui l’ont suivie, Mme Bissonnette se montre plutôt distante. « Je ne me suis jamais vraiment posé la question », lance-t-elle. 

De l’extérieur, il pourrait être facile de l’identifier comme une figure féministe importante des médias québécois. C’est pourtant loin d’être ce qu’elle pense. « J’ai un rapport un peu délicat avec le mouvement féministe parce que pour moi, ça allait de soi . On peut me reprocher de ne pas m’être battue, de ne pas avoir été la plus féministe. Aussi, j’ai été une patronne et c’était assez mal vu. Les gens auraient voulu que je sois plus sur les barricades, mais je ne suis pas militante. Ce n’est pas dans mon caractère », poursuit-elle.

Une aura de rigueur 

En arrivant au Devoir en tant que journaliste sous la gouverne de Lise Bissonnette, Kathleen Lévesque savait qu’il fallait viser la rigueur. « Quand on ouvre les portes du Devoir, et que c’est Lise Bissonnette qui est là, et qui t’embauche, tu as le sentiment de… wow! J’ai été choisie pour travailler ici, j’étais très impressionnée », s’exclame-t-elle.

« En quoi j’ai vu le travail de Mme Bissonnette m’inspirer le plus, là, c’est vraiment sous la rigueur », poursuit-elle. Elle mentionne sa rigueur au travail et celle qu’elle attendait de la part de ses journalistes. 

Kathleen Lévesque. Crédit photo : Agathe Nogues

Mme Lévesque mentionne également les talents d’écrivaine de Lise Bissonnette comme une source intarissable d’inspiration. Ce que Lise Bissonnette écrivait, raconte–t-elle, « ça ne manquait absolument pas de profondeur. Et tout ça avec une plume agile, habile et avec le bon mot. On était d’accord ou on ne l’était pas. Ça, ce n’est pas grave. Mais par la force de sa plume, de la structure de sa pensée, la richesse et la façon de présenter son point de vue, tout ça faisait en sorte qu’on ne pouvait que l’admirer », déclare-t-elle.

L’influence de Lise Bissonnette sur elle-même et les femmes journalistes est indéniable, note Kathleen Lévesque. Selon elle, la grande dame du journalisme a prouvé aux gens que les femmes pouvaient être journalistes et gérer un journal. Le fait d’avoir dirigé Le Devoir avec autant de brio a également montré aux jeunes femmes qui visaient peut-être un poste similaire qu’elles pouvaient y arriver, croit-elle. 

« Elle ne s’est pas fondue dans le moule. Elle n’a jamais été ce qu’on pouvait s’attendre d’elle. C’est doublement inspirant. Il y a des façons de faire en journalisme, mais tu as le droit d’être champ gauche et elle l’a montré. Au-delà du fait qu’elle était une femme, elle était entière et entièrement dédiée à ce à quoi elle croyait. Ça a donné des résultats », conclut-elle. 

Les années BAnQ 

Lise Bissonnette a joué un rôle clé dans la transformation de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Son engagement a permis d’élargir la mission de l’institution en la positionnant comme un lieu central de diffusion du savoir. Sous sa direction, BAnQ n’a pas seulement été un centre de conservation, mais, dès sa création, un véritable acteur de la démocratisation du savoir. Son approche a non seulement favorisé une meilleure accessibilité aux ressources documentaires mais aussi un élargissement du public. 

Elle mentionne l’importance de rendre les archives et les bibliothèques plus accessibles au grand public. « S’ils peuvent se promener dans ça, ils vont avoir plus de possibilités d’avoir accès à la culture que ma génération. Et ça, pour moi, c’est une motivation », explique Mme Bissonnette.

Elle insiste sur la nécessité d’adopter des politiques novatrices pour attirer des usagers qui, auparavant, ne se sentiraient pas concernés par ces institutions. Son travail reflète sa  vision progressiste où la bibliothèque est devenue un lieu de vie et d’échanges plutôt qu’un simple entrepôt de documents.

La Grande Bibliothèque. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec

La préservation du patrimoine québécois

L’un des éléments centraux du travail de Lise Bissonnette a été la consolidation des missions d’archives et de bibliothèque au sein d’une même institution. En intégrant ces deux fonctions sous le patronage de BAnQ, elle a favorisé une meilleure coordination de la  conservation du patrimoine québécois. Cette fusion a permis de préserver des documents précieux, mais aussi d’en faciliter la consultation par les chercheurs et le grand public.

Mme Bissonnette a encouragé la numérisation des archives pour éviter leur dégradation et en faciliter l’accès aux chercheurs internationaux ou aux étudiants. La modernisation des outils de classification et de recherche documentaire permet de rendre les archives plus facilement exploitables. Son souci d’adapter les méthodes archivistiques aux nouvelles réalités technologiques rend les documents accessibles à distance. Cette initiative a permis une meilleure préservation des documents, mais aussi une démocratisation de leur consultation. Lise Bissonnette a contribué à faire rayonner le patrimoine québécois bien au-delà des frontières.

L’une des deux chambres de bois abrite l’espace principal où le public peut consulter les collections de la Grande Bibliothèque. Source : BAnQ

C’est en initiant des collaborations avec diverses institutions culturelles et académiques qu’elle a pu garantir une maximisation de l’utilisation des archives, ce qui favorise une partage du savoir aux générations futures. 

Lise Bissonnette a eu une influence majeure sur le milieu culturel québécois en élargissant le rôle des archives et des bibliothèques, les rendant essentielles à la diffusion du savoir. « Quand les gens disent “ Ah oui, mais vous êtes d’une culture…” Et en plus de ça, tout m’est arrivé par accident dans ma culture. Tout m’est arrivé par accident. La bibliothèque, c’est la preuve qu’on est capable d’empêcher que ça soit juste par accident », confie-t-elle. 

En valorisant le patrimoine créé à travers la BAnQ, elle a renforcé le lien entre le monde de la recherche et les bibliothèques.

Plusieurs programmes de collaboration entre la BAnQ et les universités québécoises, permettent, encore aujourd’hui, aux étudiants et aux chercheurs d’avoir un accès privilégié à des ressources documentaires essentielles. Cette synergie a facilité la production de nouvelles connaissances et renforcé le rôle de la BAnQ comme partenaire incontournable du monde académique.

Un modèle pour les institutions culturelles contemporaines

L’influence de Lise Bissonnette dépasse largement le cadre de la BAnQ et les archives nationales. Son approche a inspiré d’autres institutions culturelles au Québec et ailleurs dans la francophonie. Sa vision d’une bibliothèque dynamique intégrée à la vie sociale et culturelle a servi de modèle pour plusieurs autres organisations cherchant à moderniser leur approche. 

Quant à sa carrière journalistique, elle a tracé la route pour des générations de journalistes à venir et son style franc, champ-gauche et rigoureux a donné lieu à de vrais débats de société et à une parole qui se faisait rare à son époque.


Québec-Presse : histoire d’une aventure de journalisme engagé

27 mars 2025 - Par - Catégorie : Médias

Par Justin Heendrickxen-Cloutier, Ariane Moreau, Chanya Sedion & Zoé Vachon

Journal ouvertement de gauche, syndicaliste et souverainiste, Québec-Presse a vu le jour dans l’effervescence de la Révolution Tranquille et des luttes syndicales en 1969 et s’est éteint cinq ans plus tard, en 1974, faute de fonds.

Le journal Québec-Presse fait partie d’une foulée de petits journaux indépendants des années 60. Fondé à la fin de la décennie, Québec-Presse surfe sur la vague d’engouement médiatique de l’époque, causée par la Crise d’octobre. « Les années 60 au Québec, c’est une époque de grande, grande effervescence politique et sociale », rapporte le professeur d’histoire au Collège Lionel-Groulx, Vincent Duhaime. Cette époque mouvementée, marquée par les tensions toujours grandissantes entre les États-Unis et l’Union soviétique, est aussi synonyme de croissance et de militantisme à travers l’Occident. « [C’est] une période qu’on peut comparer d’une certaine façon avec ce qu’on est en train de revivre avec l’élection de Donald Trump », déclare M. Duhaime, comparant les tensions internationales actuelles à celles de l’époque.

Malheureusement pour le journal, son public cible est trop précis et déjà occupé par des journaux plus sensationnalistes, comme le Journal de Montréal. Qui plus est, les années 70 sont marquées par une série d’échecs des années 60. Pour M. Duhaime, « les années 70, c’est la déprime, le mouvement indépendantiste n’a pas réussi à prendre le pouvoir, la crise d’Octobre c’était un choc, c’est une décennie plus morose », « une sorte de désillusion ».

Les mouvements de contestation deviennent de plus en plus radicaux et violents, comme en témoignent les actions du Front de libération du Québec (FLQ) en 1970, du groupe d’extrême gauche Tupamaros en Uruguay, des Brigades rouges en Italie ou encore de la lutte des Palestiniens qui s’intensifie.

D’autres journaux ont subi le même sort, comme le journal indépendantiste Le Jour, qui s’effondre en 1978 après seulement 4 ans de service. « Québec-Presse n’était pas une exception, ça arrivait à cette époque-là, des journaux presque mort-nés ».

Montagnes russes pour les médias

Dans une période difficile pour la diffusion d’informations, la crise d’Octobre propulse la popularité des médias au Québec, en particulier la radio et  la télévision. Ce nouvel intérêt pour la presse contraste avec les années 1950. Ces dernières sont marquées par de nombreux conflits de travail chez les journalistes. Beaucoup d’employés de journaux qui voient leurs métiers menacés par les nouvelles technologies organisent des grèves, ce qui se traduit par une baisse de ventes à travers la province. Certains médias se tournent même vers le sensationnalisme pour faire fructifier les profits. 

Sans l’information en continu d’aujourd’hui, les stations de radio, plus spécifiquement la station CKAC, diffusent les communiqués du FLQ (après les enlèvements et pendant la période de négociations, par exemple).

Tout au long de la crise, les journaux écrits suivent de manière assidue le développement de la situation. « C’était la première page des journaux tous les jours pendant cette longue crise », rapporte Vincent Duhaime. Malgré les différences éditoriales marquées entre les journaux, peu d’opinions sont mises sous presse quant au sujet controversé. Suivre la couverture des médias devient l’unique façon de se renseigner sur les événements au jour le jour.

L’épanouissement du Québec

Le Québec se souvient des années 1950 comme la fin du régime conservateur catholique de Duplessis, où « les institutions sont figées dans le temps », selon Vincent Duhaime. Le droit de vote provincial est accordé aux femmes en 1940, pendant le mandat d’Adélard Godbout, tandis que le fédéral l’avait accordé en 1918. Les institutions publiques, comme l’éducation et la santé, sont encore entre les mains de l’Église.

Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, de nombreux pays occidentaux sont en plein baby-boom. Cette jeune et nouvelle population fait pression sur la société et les gouvernements; elle a besoin d’écoles et d’infrastructures.

Aux côtés des syndicats, les travailleurs et les jeunes sont parmi les plus importants contestataires du régime Duplessis. Tout au long des années 1950, la réponse policière aux grèves est vigoureuse, mais Duplessis meurt au pouvoir en 1959. Jean Lesage remplace l’ancien premier ministre controversé avec le slogan « C’est le temps que ça change! » et le but de faire de la province un état moderne, « de donner aux Québécois un outil pour leur épanouissement », explique Vincent Duhaime. 

Entre 1960 et 1966, les réformes du gouvernement Lesage introduisent un système d’éducation nationale et un système de santé publique. Un système d’assurance maladie fait aussi son apparition et de nombreuses écoles sont construites; les polyvalentes et les cégep font leur début. Pour beaucoup, ce nouvel État québécois, maintenant fort et autonome, devrait gagner son indépendance. 

L’indépendance à tout prix!

Le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) est fondé en 1960 avec l’ancien professeur de communications à l’UQAM, Pierre Bourgault, à sa tête. Il devient ainsi le premier parti indépendantiste. En 1967, l’ancien ministre de Jean Lesage, René Lévesque, quitte le parti libéral pour fonder le Mouvement souveraineté-association (MSA). Ce mouvement fusionne avec le Ralliement national (RN) pour devenir le Parti québécois en 1968. En juillet 1967, le président français Charles de Gaulle prononce la fameuse phrase « Vive le Québec, libre! » sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal.

Cet engouement pour l’indépendance québécoise ne parvient pas à convaincre une partie de la population, pour qui les changements ne sont pas assez rapides. Si la Révolution tranquille a changé quelques aspects de la société, les travailleurs québécois se sentent méprisés et sous-payés. Pour plusieurs, le Québec est encore « prisonnier du Canada ».

Le Front de libération du Québec (FLQ) voit le jour dès 1963, comme groupe extrémiste marxiste prônant l’indépendance de la province. Tout au long des années 1960, le groupe organise plusieurs attentats sous la forme d’attaques à la bombe, qui font un peu moins d’une dizaine de victimes « accidentelles ». Il se finance à coup de braquages de banque pour continuer de se procurer des armes. C’est un groupe « qui incarne les plus radicaux de la société québécoise », selon M. Duhaime.

Malgré ses actions violentes, le FLQ gagne en popularité. Le professeur d’histoire explique: « Dans les années 1960, beaucoup de syndicats et de Québécois trouvaient ça un peu sympathique, le FLQ. Même si c’était violent et qu’il y avait des attentats, comme ils ne ciblaient pas des gens, ils ne faisaient pas des assassinats, c’était comme des accidents les décès, on disait ‘dans le fond, le FLQ, ils sont un peu intenses, mais ils défendent le Québec’ ».

Toutefois, la petite organisation dépasse les limites après le kidnappage et l’assassinat du ministre du Travail Pierre Laporte en 1970.

En réponse à l’enlèvement et à la demande du gouvernement provincial et du maire de Montréal, Jean Drapeau, le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau déclare la Loi sur les mesures de guerre. La mesure semble complètement insensée pour plusieurs, « sortir le canon pour tuer une mouche », dit M. Duhaime. D’autres argumentent qu’elle est nécessaire, puisque le FLQ serait potentiellement infiltré dans plusieurs secteurs de la société.

Donner à la gauche son journal

C’est dans ce contexte qu’est né Québec-Presse, hebdomadaire résolument de gauche et souverainiste qui publie son premier numéro le 19 octobre 1969.

Crédit : Québec-Presse, un journal libre et engagé (Jacques Keable).

La une de la première édition de Québec-Presse.

Dans le contexte de montée de revendications sociales et politiques des années 60, les syndicats s’inspirent des partis politiques et souhaitent se doter d’un journal qui partage leurs idéaux. Le positionnement plutôt antisyndical des principaux journaux de l’époque nourrit aussi cette volonté.

Selon l’auteur du livre Québec-Presse, un journal libre et engagé et ancien journaliste à Québec-Presse, Jacques Keable, le journal est né de la volonté d’avoir un média « voué à la défense et à la promotion des intérêts des classes populaires du Québec ».

La Confédération des syndicats nationaux (CSN), une des trois grandes centrales syndicales à l’époque, appuie Québec-Presse dès sa fondation. « La CSN considère que l’allure social et politique présente commande qu’il y ait une presse mieux articulée, une presse vigoureuse dans le domaine économique, social et politique. […] Nous avions constamment pensé à mettre au monde un journal de combat qui garderait une certaine liberté », explique Marcel Pépin, ancien président de la CSN, en 1969. 

Dans les réunions précédant la création de Québec-Presse, l’équipe prévoyait un tirage de 100 000 exemplaires par semaine, un budget de 246 000$ pour la rédaction et un budget de 144 000$ pour l’administration, la publicité et la distribution du journal. 

En plus de l’aide financière des syndicats, l’équipe comptait aussi sur le financement populaire cherchant à obtenir 375 000$. Elle réussit seulement à réunir entre 30 000$ et 50 000$ mais décide tout de même de lancer le journal

Le fonctionnement de Québec-Presse

Le journal est la propriété de l’Association coopérative des publications populaires, créée par plusieurs centrales syndicales, dont la CSN. Le conseil d’administration de Québec-Presse est élu en assemblée générale. Il a ensuite embauché un directeur général et une première cohorte de quatre journalistes.

Le conseil d’administration était composé de 15 personnes : trois journalistes, des représentants de la Corporation de d’enseignement du Québec (CEQ), la CSN et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et de la Fédération des Caisses d’économie. 

Jacques Keable note que les enjeux financiers du journal prenaient une place démesurée dans les sujets discutés lors des assemblées générales, ce qui laissait peu de temps et d’énergie pour des affrontements entre le conseil et le comité de rédaction.

La liberté des journalistes est au cœur du projet. « Les journalistes auront la liberté de s’exprimer. Ils sont, au niveau de l’information, les premiers témoins. Je pense qu’ils sont les premiers autorisés à avoir une opinion », lance le rédacteur en chef de Québec-Presse, Jacques Guay, quelques semaines avant la parution du premier numéro. Cette valorisation du travail journalistique, cette indépendance et cette liberté, notamment dans le choix de sujets traités, attirent de nombreux journalistes.

Dans la salle de rédaction, Québec-Presse fonctionnait de façon auto-gestionnaire. Les journalistes étaient responsables de l’entièreté de la création du journal, et décidaient du contenu. Ils étaient syndiqués dès le lancement de Québec-Presse, mais n’ont signé de convention collective qu’en avril 1974, l’année de la faillite du journal.

Indépendance des centrales syndicales

Bien que Québec-Presse soit né dans les milieux syndicaux et financé principalement par les grandes centrales syndicales, il tentait de maintenir son indépendance. La liberté professionnelle des journalistes, qui comprend la critique des syndicats si elle est justifiée, est inscrite dans la déclaration de principes de Québec-Presse.

Québec-Presse ne s’est pas gêné pour critiquer les syndicats, toujours avec une approche de gauche correspondant à sa ligne éditoriale. Pendant un conflit entre des employés de la CSN et de la FTQ-Construction sur le chantier de la Baie James en 1974, Québec-Presse a publié une lettre d’un ingénieur, Simon Paré, qui déplorait l’état du syndicalisme québécois. 

Simon Paré écrit : « Il y a donc là trois forces qui s’épaulent : les partis réactionnaires qui ont besoin de fiers-à-bras, les capitalistes qui veulent des syndicats corrompus et les syndicats corrompus qui ont besoin de la protection tacite du pouvoir pour survivre ».

Crédit : Québec-Presse, un journal libre et engagé (Jacques Keable).

Un exemple d’un dossier critique des syndicats, publié le 19 novembre 1972.

Par ailleurs, l’ancien président de la CSN Marcel Pépin déplorait, après la disparition de Québec-Presse, que le journal fondé par les syndicats ait accordé autant d’attention aux conflits syndicaux.

Le contenu 

Visant principalement les travailleurs et les ouvriers, Québec-Presse veut être le « contrepoids des grands médias de l’époque », comme Le Devoir, La Presse ou le Journal de Montréal. Le contenu se veut populaire, traitant de faits divers et de sport. 

Le journal était également connu pour ses dossiers hebdomadaires et ses enquêtes touchant des sujets sociaux, politiques ou économiques engagés. 

« Le Journal de Montréal de gauche », comme l’appelle l’historien Jonathan Livernois, a une volonté de journalisme d’enquête appuyé. Cet élément est, selon lui, « le plus gros héritage de Québec-Presse ». Les journalistes possédaient beaucoup de temps pour produire des enquêtes profondes sur le gouvernement de Robert Bourassa ou sur certains sujets oubliés, comme les accidents du travail. 

Un de ces dossiers, qui n’était peu ou pas couvert par les autres médias québécois, est le « déclubage » des territoires de chasse et de pêche du Québec, souvent privatisés et possédés par de riches américains.

L’hebdomadaire s’est aussi intéressé à plusieurs sujets assez avant-gardistes à l’époque, comme la pollution et le droit à l’avortement. Leur chroniqueur médical, Dr Serge Mongeau, a avoué, dans les pages du journal en 1970, avoir référé des patientes à des médecins pratiquant des avortements. Le sujet a fait les manchettes de l’hebdomadaire à deux reprises en 1973.

Crédit : Québec-Presse, un journal libre et engagé (Jacques Keable).

À la une de Québec-Presse le 11 octobre 1970 : la pollution à Montréal.

Crédit : Québec-Presse, un journal libre et engagé (Jacques Keable).

Le 21 juin 1970, l’avortement fait la une de Québec-Presse.

Québec-Presse ne se cache pas de vouloir attirer un large public. Questionné sur le risque d’entrer dans le sensationnalisme, le rédacteur en chef Jacques Guay pense qu’il n’est pas nécessaire pour amener beaucoup de lecteurs. « [Pour avoir un grand tirage], il faut rapporter des faits de façon compréhensible. Il n’y a aucun sujet qui ne puisse pas être compris par tout le monde », explique-t-il à Denise Bombardier en 1969. Il ajoute également qu’« il n’y a aucun sujet qui est moins important [qu’un autre] et donc qu’il est essentiel de porter une attention particulière aux sujets qui touchent « réellement » les gens, sans porter un jugement ou classifier les informations de masse comme secondaires.  

Bien « ploggés »

Le positionnement à la gauche et le respect pour la mission des syndicats qu’avait Québec-Presse lui donnaient aussi un accès particulièrement intéressant à des sources et des intervenants qui étaient réticents à intervenir dans les autres médias, comme le FLQ ou les centrales syndicales. 

Québec-Presse a connu son plus gros tirage d’environ 50 000 exemplaires lors de la crise d’Octobre. Il a reçu plusieurs exclusifs de la part de sources membres du FLQ.

Crédit : Québec-Presse, un journal libre et engagé (Jacques Keable).

Québec-Presse a reçu la première photo de James Cross après son enlèvement par le FLQ.

L’hebdomadaire a d’ailleurs dû clarifier son positionnement quant aux actions du FLQ, disant supporter ses objectifs, mais pas la violence avec laquelle le FLQ cherchait à les atteindre. Le journaliste Gérald Godin et le collaborateur de Québec-Presse Louis Fournier ont été brièvement emprisonnés pendant la crise. 

Leurs connexions au sein des syndicats leurs ont aussi permis de couvrir de façon exhaustive la grève du Front commun de 1972, qui a mené à l’emprisonnement des présidents des trois centrales syndicales.

Derniers recours

L’aventure de Québec-Presse prend fin en novembre 1974, cinq ans après sa naissance. L’argent est au cœur des raisons de sa fermeture. 

Après dix mois d’existence, le journal accusait déjà un déficit de 290 000$. Les préoccupations financières ont été une constance dans la courte vie du journal, mais sont devenues insoutenables en 1974.

Québec-Presse a tenté de se maintenir à flot de plusieurs façons. Le journal a organisé des spectacles-bénéfices, « Québec-Presse Chaud », où des artistes québécois(e)s se produisaient bénévolement. Le journal était apprécié de certains grands noms du milieu. Yvon Deschamps, Pauline Julien, Robert Charlebois et Harmonium ont participé à ces spectacles-bénéfices.

Il a aussi tenté, selon Jacques Keable, de se réinventer auprès des syndicats. Ainsi, Québec-Presse publiait dans ses pages, le 13 janvier 1974, l’appel à l’aide qui suit : « Financièrement parlant, nous sommes rendus au bord de la faillite. Il reste qu’on ne peut pas considérer la valeur d’une organisation de « service » en tenant compte uniquement du facteur « rentabilité ». Par exemple, on ne parle jamais de la « rentabilité  » d’un syndicat. 

Selon lui, Québec-Presse serait donc une organisation de service public, qui mérite d’exister et de recevoir un financement continu des centrales syndicales malgré ses problèmes de rentabilité.

Le journal a aussi tenté d’adopter un style plus propre aux magazines en publiant de longues entrevues avec des personnalités publiques comme Robert Bourassa. Une brève entente avec Le Nouvel Observateur, qui n’était pas au vu de la situation financière de Québec-Presse, a permis la publication de quelques articles à vocation internationale.

Pendant l’été 1974, Québec-Presse a cessé de paraître pendant quelques semaines pour économiser, sans succès. Il a plutôt perdu la moitié de son lectorat et est mort pour de bon en novembre de cette année-là. 

La dette de Québec-Presse s’élevait à 700 000$. De ce montant, 200 000$ provenaient des centrales syndicales, et ont été endossés par les syndiqués. Québec-Presse n’a jamais officiellement déclaré faillite, n’ayant pas les ressources financières pour le faire, selon Jacques Keable.

Pourquoi la faillite ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la fin de l’hebdomadaire qui, après cinq ans, tirait 25 000 exemplaires par semaine et rejoignait en moyenne 50 000 personnes.

Avant tout, ne pas avoir atteint la cible de 375 000$ au lancement était un bâton dans les roues. Un conseiller syndical de la CSN lançait qu’il « est inutile de lancer le journal sans avoir atteint l’objectif financier, faute de quoi le journal ne pourrait ni être «libre» longtemps ni connaître une longue existence ».

Le public cible était un autre problème présent dès l’ouverture du journal. Gérald Godin avoue lors de rencontre postmortem en 1975 qu’il n’y a eu aucunes études de marché avant le lancement, rendant impossible l’identification du lecteur moyen. 

Les personnes visées: les syndiqués, les travailleurs, les ouvriers, étaient similaires au public du Journal de Montréal. Sans étude, Québec-Presse n’a pas pu trouver ce qui l’aurait concrètement différencié des autres médias populaires

Le journal vivait au-dessus de ses moyens. Un exemple concret est la couverture du sport professionnel prenant une grande place dans la rédaction. Suivre les grandes équipes telles que les Alouettes, les Expos et le Canadien « coûte extrêmement cher couvrir », explique Jonathan Livernois. « Ces ambitions crèvent l’entreprise dès le départ ». 

La fin du rêve syndical

Après la sortie de prison des présidents des trois grandes centrales syndicales, suite à la grève du front commun intersyndical de 1972, le mouvement syndical s’est fracturé, observe Jacques Keable. Québec-Presse, enfant de l’unité d’un mouvement qui avait le vent dans les voiles à sa fondation, n’était plus une priorité et coûtait cher. 

Marcel Pépin, ancien président de la CSN, estime que les raisons de mettre fin au financement de Québec-Presse étaient purement économiques, et aucunement reliées aux prises de position du journal.

Les revenus publicitaires, qui représentaient aux alentours de 75% des revenus des autres journaux de l’époque, constituaient 25% des revenus de Québec-Presse. Selon Jacques Keable, les prises de position du journal effrayaient les annonceurs. 

L’hebdomadaire refusait aussi de faire affaire avec des entreprises antisyndicales, décision qui avait entraîné des débats au sein de l’administration de Québec-Presse. Refuser de faire de la publicité à des entreprises antisyndicales au prix, peut-être, de la disparition d’un journal de gauche et syndicaliste aidait-il vraiment la cause ? Jacques Keable rapporte que cette interrogation avait été soulevée.

Le président du conseil d’administration de Québec-Presse Émile Boudreau est aussi d’avis que le soutien du Mouvement Desjardins aurait pu aider le journal. Desjardins payait pour de la publicité dans les autres médias québécois, mais n’a jamais répondu aux appels de Québec-Presse.

Quelques jours avant la fermeture, Gérald Godin se veut optimiste. « On a pas prouvé que c’était pas possible. On a fait un test [et] il aura d’autres expériences […]. Dans chaque cas, on apprend des choses ». Il finit en insistant sur l’objectif idéologique principal du journal: « Je pense que Québec-Presse a donné aux journalistes le goût de la liberté ».

De quoi s’inspirer

L’expérience de Québec-Presse est importante pour les journalistes songeant à fonder un média engagé aujourd’hui, qui peuvent s’inspirer de son approche déontologique et apprendre de ses erreurs.

Malgré le financement des syndicats, Québec-Presse à réussi à maintenir son indépendance, principe de base de la déontologie journalistique. Le deuxième principe de la déclaration de principes de Québec-Presse stipule que le journal « est indépendant de tout parti politique. Il n’appuie aucun des partis qui sont compromis dans le système. Cependant, il peut donner son appui à un parti politique qui n’est pas lié aux intérêts capitalistes, dont les structures et le fonctionnement sont démocratiques et dont le programme est conforme aux aspirations du peuple québécois ».

Comme l’explique le guide de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, « les journalistes basent leur travail sur des valeurs fondamentales telles que […] l’indépendance qui les maintient à distance des pouvoirs et des groupes de pression » permettant de fournir une information vraie et d’intérêt public. 

L’indépendance passe par la liberté des journalistes, une valeur fondamentale de Québec-Presse. Le principe 10 du journal énonce que « Québec-Presse garantit la liberté professionnelle de ses journalistes, même à l’égard des sociétaires et des administrateurs de la coopérative qui publie le journal », c’est-à-dire les syndicats.

Les clés d’un journalisme engagé et éthique résident dans la rigueur, soit baser ses dossiers, ses informations, ses chroniques sur des faits. Ce principe déontologique est inscrit dans la déclaration de principes du journal. Québec-Presse cherche « une information exacte qui veut faire la lumière sur ce que les pouvoirs cachent et faire avancer ce qu’ils retardent ». Ses nombreuses enquêtes vont dans ce sens.

Finalement, la création d’un tel journal alimente l’équilibre de l’écosystème médiatique québécois. Québec-Presse se veut « la réponse populaire à la domination de la presse soit par la dictature économique, politique, culturelle, soit par les intérêts particuliers qui soutiennent cette dictature ». La lecture de la société est différente de celles des autres médias, ce qui permet à des voix alternatives de se faire une place dans l’espace public. 

Ces éléments, l’indépendance, la liberté, la rigueur et l’impact sur l’équilibre sont tous à prendre en compte pour les futurs journaux militants. 

À ne pas refaire

Dans son livre, Jacques Keable réfléchit aux erreurs de Québec-Presse et dresse une liste à l’endroit de futurs médias alternatifs québécois qui aimeraient s’inspirer de l’hebdomadaire.

Un média alternatif qui veut survivre doit, selon lui, s’assurer que le projet est réfléchi et planifié et s’assurer d’avoir les fonds nécessaires. L’administration et les journalistes doivent être conscients des objectifs et des risques. Le travail doit se faire dans une salle de rédaction, qui construit la solidarité entre journalistes. Le fonctionnement du média doit accorder une importance à tous les employés et doit être clairement défini. Et enfin, il faut éviter, dans la mesure du possible, le bénévolat.

Il écrit : « l’enthousiasme du néophyte et la pensée magique maudite qui minèrent Québec-Presse dès son berceau sont à proscrire sans réserve ».

2025 n’est pas 1969 

Bien qu’il soit pertinent, pour les raisons citées plus tôt, pour de futurs médias engagés de s’intéresser à l’histoire de Québec-Presse, il leur faut reconnaître que le contexte actuel n’est pas le même que celui dans lequel Québec-Presse est né (et mort).

La presse se trouve actuellement dans une situation de crise. Le phénomène de numérisation, poussant la consommation de nouvelles sur les médias sociaux, rend les journaux dépendant des grands groupes, selon une étude du Reuters Intitute de 2024. Constitués de Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft, ces groupes, souvent réunis sous l’accronyme GAFAM, sont les principaux bénéficiaires des revenus publicitaires générés par les nouvelles des compagnies de presse sur leur plateforme, explique Jérôme Valluy dans son article, Digitalisation du journalisme : le paradoxe du journalisme professionnel. 

Le monde du journalisme est confronté à la concentration de la presse, où seules quelques entreprises, comme Québecor au Québec ou le groupe Bolloré en France, sont propriétaires d’une grande partie des médias de leur territoire.

Selon l’étude de Reuters, ce phénomène fait partie des raisons pour lesquelles le public accorde moins de confiance à la presse traditionnelle. La polarisation des opinions dans la société fait également partie des causes.

Le public est de moins en moins enclin à lire les journaux. En plus de la saturation d’informations causée par la grande accessibilité des nouvelles, leur nature « dépressive » et l’énergie nécessaire pour différencier les vraies des fausses finit par avoir raison des lecteurs

Il faut ajouter que la plateforme médiatique des chroniqueurs de droite, pour ne pas dire d’extrême-droite, est de plus en plus grande : les quelques chroniqueurs de gauche du Devoir font pâle figure face à la popularité croissante de QUB radio.

Dans ce contexte, il peut être difficile d’imaginer la naissance d’un journal de gauche similaire à Québec-Presse. Ayant déjà de la difficulté à se financer à l’époque, il est possible d’imaginer que les annonceurs hésitent à s’associer avec un journal similaire à Québec-Presse

Comme l’explique Jonathan Livernois, les journaux « ne sont peut-être pas le meilleur véhicule pour transmettre les idées » aujourd’hui. Une certaine saturation causée par la concentration de presse rend difficile la création d’un nouveau journal, avance-t-il.

De plus, des personnes militantes voulant faire passer un message peuvent se tourner vers les réseaux sociaux. Ne nécessitant pas ou peu d’investissements financiers, il est peut être plus facile et avantageux de démarrer une page Instagram ou une chaîne YouTube.

Les héritiers

Certains journaux aux fortes revendications ont réussi à se tailler une place. C’est le cas de Presse toi à gauche, Le Mouton noir, La Converse ou Pivot, tous entièrement en ligne. 

La mission de Pivot rappelle celle de Québec-Presse. « Fondé en 2021, Pivot s’est donné pour mission de faire ce qu’aucun média francophone ne faisait jusqu’alors au Québec : offrir une information journalistique quotidienne dans une perspective résolument progressiste. Pivot propose des nouvelles et des enquêtes sur les enjeux québécois, canadiens et internationaux », peut-on lire sur leur site internet. 

La vision de l’indépendance de Pivot ressemble également à Québec-Presse. « Tout en étant fidèle aux valeurs progressistes et à l’écoute des mouvements sociaux, Pivot demeure indépendant de toute organisation, tout groupe de pression ou tout parti politique. Pivot conserve aussi une indépendance éditoriale complète par rapport à ses partenaires financiers », dit encore son site internet.

Bien qu’il n’est pas possible de déterminer si Pivot s’est inspiré de Québec-Presse, ce dernier lance la voie du journalisme progressiste, c’est-à-dire un type de journalisme qui défie les codes du journalisme classique, que ce soit par ses positions marquées à gauche ou sa couverture de sujets absents des autres journaux. Tous deux tentent d’être une voix pour les personnes moins représentées dans les médias traditionnels.

Québec-Presse, c’est cinq ans d’existence « d’un journal d’information qui veut atteindre un public populaire et lui donner des faits », disait le rédacteur en chef, Jacques Guay, en 1969. 

Remerciements

Nous tenons à remercier Jacques Keable, ancien journaliste de Québec-Presse et auteur du livre Québec-Presse, un journal libre et engagé. Son livre est à la fois un témoignage et un rigoureux travail de recherche dans les archives du journal, et a été un élément clé de la rédaction de ce travail. M. Keable était dans l’impossibilité de répondre à nos questions pour des raisons personnelles, mais a tout de même pris la peine de répondre à notre courriel et de témoigner de son affection et de son respect pour la relève des journalistes.

Capsules vidéo

Quatre capsules vidéo, réalisées avec le professeur d’histoire au Collège Lionel-Groulx Vincent Duhaime, sont disponible sur le google drive suivant (il n’était pas possible de les intégrer au texte en raison de leur taille) : https://drive.google.com/drive/folders/1R9nPhR7cBHhHkgGkYfihrctGHkCkESeQ?usp=share_link

Le Réseau des sports : toujours debout 36 ans plus tard

27 mars 2025 - Par - Catégorie : Sports

Par Frédéric Sauvé, Massimo Verrecchia et Louis Alexandre Voghell

Le Réseau des sports (RDS) fête ses 36 ans en 2025. Depuis ses débuts, la chaîne de télévision a laissé sa marque dans la culture sportive québécoise. De sa création à aujourd’hui, RDS a dû s’adapter pour résister à l’épreuve du temps.

HISTOIRE

Créé en 1989, le Réseau des sports (RDS) fait son entrée dans l’univers médiatique avec un mandat plutôt chargé: offrir aux Québécois et Québécoises une chaîne d’information et diffusion sportive en continu, le tout, en français. C’est le 1er septembre 1989 que le Réseau des Sports entre en onde avec sa toute première édition de Sport 30. Aujourd’hui, après 36 ans d’existence, RDS continue de redéfinir le journalisme sportif en s’adaptant aux nouvelles réalités du monde des médias.

À l’aide d’entrevues avec Chantal Machabée, Vice-Présidente Communications Hockey pour les Canadiens de Montréal et journaliste à RDS pendant 32 ans ainsi que Charles Perreault, Directeur général à RDS, l’objectif est d’illustrer un portrait global du Réseau des sports en plus de comprendre son impact sur le journalisme sportif et l’accès à l’actualité sportive. 

Entrevue avec Charles Perreault

Entrevue avec Chantal Machabée

Une nouvelle ère en continu

Premier logo du Réseau des Sports (RDS)

Avant l’apparition du réseau, l’accès à l’information sportive était assez limité. Il existait bien quelques radios et journaux sportifs, mais aucune chaîne de télévision uniquement dédiée au sport (et encore moins en continu). Certaines parties des Canadiens de Montréal étaient diffusées et il n’y avait véritablement aucune couverture des entraînements.

Il était donc impossible pour les amateurs d’avoir un accès en profondeur au monde sportif. La création du Réseau des sports vient donc répondre à une demande croissante pour une couverture sportive complète et accessible aux francophones.​

En 2002, RDS obtient les droits de diffusion pour tous les matchs de saison régulière des Canadiens de Montréal. Cette acquisition offre, par la même occasion, une stabilité à ses partisans, mais également à la chaîne sportive. Avec un accès continu à l’actualité sportive, RDS répond à la demande et connaît un succès grandissant.

Un lancement redouté

Malgré un marché réel et une demande grandissante, beaucoup étaient sceptiques quant à cette apparition. Côté anglophone, The Sports Network (TSN) offrait déjà ce genre de programmation depuis 1984 et les affaires se portaient bien.

Il semblait alors logique que le marché francophone puisse bénéficier lui aussi d’une couverture sportive en continu. Toutefois,  selon Chantal Machabée, ancienne journaliste et animatrice à RDS depuis sa création, l’opinion publique redoutait le lancement du réseau. Plusieurs de ses proches ont essayé de la dissuader de ne pas rejoindre RDS.  

« À l’intérieur, tout le monde était convaincu que ça allait fonctionner, mais à l’extérieur c’était le contraire ». Elle ajoute également que c’est grâce au recrutement de nouveaux visages voulant faire leurs preuves, combiner à l’expertise de plusieurs journalistes de renom que le lancement du Réseau des sports obtient un aussi grand succès et permet de laisser sa trace dans l’histoire québécoise. 

 Sports 30 (1989-)
Voici la toute première édition de Sports 30.

Parue pour la toute première fois le 1er septembre 1989, l’émission Sports 30 marque le lancement officiel de RDS. Le concept était assez simple : offrir des résumés sportifs concis et des analyses, tout en permettant aux téléspectateurs de suivre de près les événements sportifs majeurs, que ce soit dans le monde du hockey, du football, du tennis, ou d’autres disciplines, le tout en 30 minutes. L’objectif était de répondre à une demande croissante pour des informations sportives actualisées.

L’émission était diffusée à 18h30 et présentait une sélection des événements sportifs de la journée, avec un mélange de reportages, d’interviews et de résumés de matchs. Son format court permettait de couvrir rapidement l’essentiel de l’actualité tout en captivant les téléspectateurs grâce à des présentations rapides et précises.

La première édition de ce tour du monde sportif a été animée par Serge Deslongschamps et Chantal Machabée. La journaliste se confie sur son parcours : « Quand j’ai commencé, on n’a pas eu de télésouffleur avant le mois de février. Il fallait apprendre nos textes. On avait une caméra. On y allait avec les moyens du bord, mais on savait qu’on embarquait dans une aventure vraiment « tripante». On est privilégiés, on est à Montréal, on couvre les Expos, les Alouettes, le Canadien. »

Après une semaine de pratique, l’équipe sera contrainte de réaliser l’émission en direct en raison de problèmes techniques. Ce n’est pourtant que le début de la saga du 1er septembre, jour de première diffusion: « Et puis, à un moment donné, à 16h, on apprend que le commissaire du baseball majeur, Bart Jamaki, est décédé. Et là, tout ce qu’on avait préparé depuis une semaine, il a tout fallu mettre ça aux vidanges. »

Devant alors recommencer le bulletin en grande majorité, l’équipe dispose de deux heures pour refaire un bulletin sur lequel ils travaillent depuis une semaine. Malgré l’énorme charge de travail en si peu de temps, c’est mission accomplie pour la première diffusion de Sports 30: « Je me disais, wow, je participe à la première émission de l’histoire de RDS. Pour moi, c’était marquant. » Affirme avec passion Chantal Machabée.

Au fil des années, le format de l’émission a évolué, mais son rôle de fournir une couverture en temps réel des événements sportifs a été constant. L’émission a su s’adapter aux nouveaux enjeux médiatiques, comme l’intégration de la couverture en ligne, tout en maintenant la fidélité des téléspectateurs à travers des présentations engageantes et des analyses approfondies.

Sports 30 est aujourd’hui un des piliers du réseau RDS, toujours aussi populaire après plusieurs décennies. Son héritage demeure marqué par une constante recherche de qualité et d’innovation dans la manière de traiter l’actualité sportive.

L’importance de la couverture locale

Les connaisseurs aguerris se souviennent encore du temps où le minigolf était un rendez-vous à ne pas manquer au Réseau des sports. Certains peuvent encore entendre le célèbre biiirdie! En provenance de Serge Vleminckx qui a été la voie du mini-golf au Québec depuis 1989, dès le début des émissions, jusqu’à la dernière année de diffusion en 2000.

RDS s’est toujours démarqué par sa capacité à offrir une couverture approfondie du sport québécois. Contrairement aux grands réseaux anglophones ou aux plateformes de « streaming » internationales, qui privilégient souvent les ligues majeures nord-américaines et internationales, le réseau s’est toujours positionné comme le diffuseur de choix pour les amateurs de sport au Québec.

Cette proximité avec le marché québécois lui permet de mettre en lumière non seulement les Canadiens de Montréal, mais aussi des équipes locales, comme le CF Montréal, le Rocket de Laval et même des ligues plus modestes, comme la LHJMQ, la LPHF, la SLN et la LCF. En donnant une voix aux athlètes d’ici, le réseau joue un rôle clé dans la valorisation du talent québécois et le développement du sport à l’échelle régionale.

Chantal Machabée, qui a vécu l’évolution de RDS depuis ses débuts, souligne cet aspect en faisant un parallèle avec le Bleu-Blanc-Rouge : « RDS, c’était les premiers à couvrir les entraînements, à être là tous les jours. Aujourd’hui, on tient ça pour acquis, mais à l’époque, personne ne le faisait. »

Un autre bel exemple est celui de l’émission Hockey QC. Cette programmation, 100% québécoise, couvre les actualités du hockey-balle partout à travers la province. Une véritable passion pour les amateurs de hockey d’ici.

Dans un paysage médiatique où la compétition est de plus en plus féroce, ce lien unique avec le public québécois demeure l’un des atouts majeurs de RDS

La soirée du Hockey à Radio-Canada (1952-2002)

L’histoire de RDS est intimement liée avec l’histoire des Canadiens de Montréal. Sans le tricolore, il est difficile d’imaginer un univers où le réseau peut avoir un quelconque succès de la sorte. À l’obtention des droits de diffusion pour tous les matchs en 2002, RDS met fin à la fameuse Soirée du hockey diffusée sur les ondes de Radio-Canada depuis 1952, l’une des plus vieilles émissions télévisées au monde. 

Animée par René Lecavalier, la programmation de la Soirée du hockey était extrêmement particulière: la diffusion ne commençait qu’à partir de la troisième période. Cette décision est due au fait que l’organisation craignait que les partisans CH privilégient le confort de leur domicile au détriment du Forum de Montréal. 

Après la démocratisation du câble, le directeur général du réseau à l’époque, Gerry Frappier, est prêt pour un gros pari: la diffusion de toutes les parties du Canadien. L’obtention des droits avec Radio-Canada se fait plutôt facilement, par contre, le public réagit fortement. En effet, la diffusion anglophone restera à CBC, un canal gratuit, contrairement à RDS qui est payant. Ainsi, lors de la première année, Radio-Canada et RDS.  Cette transition, quoique rapide, a facilement été acceptée par le public, qui adhère sans problème au nouveau diffuseur. Un autre pari réussi pour le réseau. 

Aujourd’hui, la diffusion des matchs des Canadiens est cruciale à la survie du réseau. Lorsque l’équipe joue du hockey qui « ne compte pas », les cotes d’écoute baissent de façon importante. En 2013, TVA Sports fait l’acquisition des droits de diffusions des matchs du samedi soir ainsi que des séries éliminatoires. Il s’agit des droits nationaux, c’est-à-dire que, pour la LNH, les lundis, mercredi et samedi sont des journées nationales. Cependant, TVA Sports a uniquement acquis les droits du samedi soir pour y créer un rendez-vous.

Le descripteur René Lecavalier. (Crédit photo : Radio-Canada archives / Jean-Pierre Karsenty)

Les droits de télévision seront de retour à l’encan pour la saison 2025-2026, cependant, les réseaux ne sont pas dans l’urgence d’acquérir plus de matchs. Conserver les acquis actuels serait un bon début, selon leur directeur général, Charles Perreault. 

La place des femmes chez RDS : une évolution marquante

Le Réseau des sports est un acteur majeur quant à la présence de la gent féminine dans le journalisme sportif au Québec. Un fait d’armes omniprésent de leur histoire, sont les femmes qui occupent une place grandissante au sein de l’entreprise. Toutefois, cette présence n’a pas toujours été évidente et a demandé persévérance, talent et dévouement, des adjectifs qui résument parfaitement Chantal Machabée.

Dès son arrivée à RDS en 1989, celle qui occupe actuellement le rôle de vice-présidente, communications hockey, au sein du Canadien de Montréal, a su se faire une place dans un monde alors majoritairement masculin. Elle raconte que ses débuts n’ont pas été faciles : « J’étais souvent la seule femme dans une salle de presse remplie d’hommes. Il fallait que je prouve constamment ma légitimité ». Grâce à sa rigueur et à sa passion, elle s’est imposée comme une référence du journalisme au Québec.

Chantal Machabée, vice-présidente des communications du Canadien. (Crédit photo : Instagram des Canadiens de Montréal)

Au fil des ans, d’autres femmes ont suivi ses traces et ont pris place à RDS. On pense notamment à Hélène Pelletier, qui a couvert le tennis pendant plusieurs années, Andrée-Anne Barbeau, qui anime L’Antichambre, ou encore Valérie Sardin, devenu l’une des chroniqueuses les plus populaires du 5 à 7.  Leur présence a permis de démocratiser le rôle des femmes dans les médias sportifs et d’ouvrir la porte à une plus grande diversité d’opinions et d’analyses.

Charles Perreault, directeur général du Réseau des sports, reconnaît l’importance des femmes dans le succès de la chaîne : « Chez RDS, nous avons toujours valorisé la compétence avant tout. Le fait que de plus en plus de femmes prennent leur place au sein de notre équipe est un signe que l’industrie évolue dans la bonne direction ». Cette vision réaffirme l’engagement de la chaîne à favoriser une représentation plus équitable des sexes. 

Charles Perreault, directeur général du Réseau des sports. (Crédit photo : Compte LinkedIn de Charles Perreault)

D’ailleurs, l’apport des femmes n’est pas seulement à l’antenne. Ce dernier mentionne en entrevue que « l’inclusion des femmes ne se limite pas  qu’aux postes de journalistes ou d’animatrices, mais aussi aux rôles décisionnels et stratégiques au sein de l’entreprise ».

Aujourd’hui, grâce à des figures inspirantes comme Claudine Douville, Hélene Pelletier, Chantal Machabée et plusieurs autres, le Réseau des sports continue de progresser vers une plus grande égalité des sexes. Le parcours des femmes dans les médias sportifs reste un combat, mais chaque avancement constitue une victoire pour les générations futures.

Dans l’ordre : Claudine Douville, Isabelle Leclaire, Catherine Savoie, Karell Émard et Andrée-Anne Barbeau. (Crédit photo rds.ca)

AUJOURD’HUI

La concurrence 

L’arrivée de TVA Sports en 2011 a somme toute redéfini le paysage médiatique sportif québécois. Pour la première fois depuis sa création, RDS se retrouvait face à un concurrent direct dans un marché qui lui avait longtemps appartenu. 

L’impact fut particulièrement ressenti en novembre 2013, lorsque TVA Sports a mis la main sur les droits de diffusion des matchs du samedi soir des Canadiens de Montréal ainsi que sur les séries éliminatoires de la LNH. Cette perte a représenté un véritable défi pour le Réseau des sports, qui devait désormais se trouver d’autres manières afin de demeurer pertinent auprès de son auditoire.

Malgré ces inconvénients, RDS a su s’adapter en renforçant sa couverture locale et en misant sur la crédibilité de ses analystes et journalistes de longue date. L’acquisition de nouveaux droits de diffusion, comme ceux de la Victoire de Montréal (évoluant dans la LPHF) et tout récemment les droits pour 21 rencontres de la toute nouvelle équipe des Roses de Montréal (évoluant dans la SLN) ont permis au réseau de conserver une place de choix chez les amateurs de sports. Par ailleurs, avec l’échéance du contrat de TVA Sports en 2025-2026, l’avenir de la couverture des Canadiens reste incertain.

Réseaux anglophones et l’ère du « streaming »

Si RDS a longtemps régné en maître sur la couverture sportive francophone au Québec, la concurrence ne vient pas uniquement des chaînes rivales, comme TVA Sports. Les postes anglophones, notamment TSN et Sportsnet, ont toujours eu une longueur d’avance en raison de leur portée nationale et de leurs ressources financières plus importantes. Une triste réalité à laquelle les médias francophones doivent faire face est la suivante : les jeunes générations, consomment majoritairement leur contenu en anglais, que ce soit du sport, des téléréalités et même les nouvelles.

Toutefois, la plus grande menace vient peut-être du numérique. Avec la montée en puissance des plateformes de diffusion en continu comme ESPN+, DAZN, TSN Direct, Sportsnet NOW ou encore les services directement offerts par la LNH, la NBA et la NFL, les amateurs ont accès à une couverture sportive plus personnalisée et instantanée.

Cependant, le directeur général du Réseau des Sports, Charles Perreault, mentionne pendant l’entrevue que, malgré l’engouement des jeunes envers les produits anglophones, la langue française reste un atout fort chez RDS. Une bonne nouvelle pour les amateurs du câble.

Les réseaux traditionnels doivent désormais rivaliser avec des options qui permettent aux consommateurs de suivre leur équipe favorite sans dépendre d’une chaîne télévisée.

Face à ces bouleversements, RDS n’a d’autre choix que d’innover. Comme le souligne Chantal Machabée : « Les médias traditionnels doivent être plus créatifs aujourd’hui. Avec les médias sociaux et la diffusion en continu, on ne peut plus garder de secrets, tout sort en temps réel. Il faut aller dans toutes les directions, toucher à tout, être là où les amateurs sont. »

Cette adaptation est cruciale pour que le réseau reste solide et conserve sa place dans un monde médiatique en pleine transformation.

Adaptation et changement dans le temps

Avec la venue des réseaux sociaux, les médias sportifs comme RDS doivent s’adapter à la rapidité de l’information. Aujourd’hui, le « beat reporting » est de plus en plus rapide, certains journalistes se font voler leurs « scoops » par des journalistes indépendants. l’actualité n’est plus annoncée par les médias. Les médias doivent se réinventer et approfondir leur analyse de la nouvelle. 

Expansion du Réseau

Après un lancement à succès, RDS n’arrête pas de se renouveler, se moderniser et s’étendre

  • 2004 : création de RDS info, qui diffuse des émissions sportives 30 en continu.
  • 2007 : le réseau passe en haute définition avec RDS HD. 
  • 2011: lancement de RDS 2 pour multiplier le nombre de sports couverts. 



Aline Desjardins: Une vie au service de l’information et du féminisme

27 mars 2025 - Par - Catégorie : culture Société

Par Emma Gobeil, Coline Ecourtemer, Delphine Morasse et Lorie-Michèle Fréchette

Aline Desjardins est une figure importante du journalisme québécois, ayant marqué l’histoire des médias par son audace et son engagement. C’est la première femme annonceuse à la radio de CKBM et elle a gravi les échelons pour devenir une voix essentielle de l’information, notamment à travers l’émission Femme d’aujourd’hui. Elle s’est battue pour l’équité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail et au sein de la société. Aujourd’hui âgée de 92 ans, son héritage est une source d’inspiration pour les générations futures.

Partie 1 : Biographie d’Aline Desjardins

Ses débuts

Née dans la petite ville de Saint-Pascal-de-Kamouraska, elle grandit dans une famille nombreuse, étant la benjamine de onze enfants. La mère d’Aline vivait une vie traditionnelle, dédiée aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants, comme c’était souvent le cas pour les femmes de l’époque. 

Bien que les possibilités de carrière pour les femmes s’étaient élargies lorsqu’il fut le temps pour Aline d’entrer sur le marché du travail, elles restaient limitées. Ayant de grandes aspirations, mais peu de choix, elle avait opté pour des études en enseignement. Cependant, ses projets changèrent lorsqu’elle rendit visite à sa sœur aînée, Marcelle, sur son lieu de travail. Marcelle travaillait pour une station de radio locale. En observant sa sœur, Aline eut un véritable coup de foudre et sut immédiatement que ce métier était destiné pour elle. 

À 20 ans, après avoir fini ses études, elle part pour Montmagny et devient la première femme annonceuse pour la station CKBM. Comme il s’agissait d’une petite station, elle se contentait d’ouvrir le micro et de parler, sans avoir de plan défini. L’année suivante, elle part pour Sherbrooke, où elle a travaillé pendant sept ans à CHLT-TV. Elle adorait ce travail, qui lui offrait la liberté de choisir ses invités et d’explorer une grande variété de sujets du quotidien. En 1962, elle gagne le trophée de la meilleure émission d’information, faisant d’elle la première femme à recevoir cette distinction (Gouvernement du Québec, 2025).

Femme d’aujourd’hui : le point tournant de sa carrière

Capture écran de la vidéo Montage d’archives : L’émission «Femme d’aujourd’hui» de 1965 à 1982, Radio-Canada Archives, Youtube. 

Aline décide ensuite de se lancer dans la télévision et auditionne pour la chaîne CFCM, la première station de télévision privée au Québec, aujourd’hui renommée TVA. Elle est sélectionnée en 1964 et part à Québec pour entamer sa carrière dans cette nouvelle branche du journalisme, une voie dans laquelle elle découvre une véritable passion. Elle avait toujours rêvé de travailler à Montréal, et ce rêve s’est concrétisé en 1966, lorsque Radio-Canada est venue la repêcher, marquant un grand tournant dans sa carrière.

Aline s’est retrouvée à la tête de l’émission Femme d’aujourd’hui, succédant à l’animatrice Lizette Gervais. Créée l’année précédente dans le contexte de la Révolution tranquille, une période marquée par la montée du féminisme au Québec, cette émission avait pour objectif de donner la parole aux femmes dans un milieu encore largement dominé par les hommes.

Lors d’une entrevue avec La Gazette des Femmes en 2024, Aline a exprimé son enthousiasme d’avoir obtenu ce poste, qui allait véritablement propulser sa carrière de journaliste. Cependant, elle a confié que les thèmes abordés dans l’émission, comme le tricot et la cuisine, ne l’intéressaient guère. Elle a profité du manque d’intérêt de ses supérieurs pour cette émission pour y introduire des sujets plus féministes, avec l’aide de recherchistes. 

Elle a ainsi abordé des questions sociétales, politiques et culturelles, en mettant systématiquement la femme au centre du débat. Elle estimait qu’il était essentiel que les femmes puissent se reconnaître et comprendre qu’elles n’étaient pas seules à faire face à leurs réalités. « Ce que je trouvais important, c’était de parler des sujets qui concernent les femmes qui nous regardent. C’était ça l’objectif principal. » nous a-t-elle confié.

Aline a toujours défendu les droits des femmes, ce qui ne lui a pas été sans conséquences. Elle s’est notamment exprimée en faveur de l’avortement gratuit pour toutes, une prise de position qui lui a valu des réprimandes de sa direction. Sous pression, elle a été contrainte d’adopter une approche plus neutre en invitant des militants pro-vie à participer à l’émission, une situation qui ne correspondait pas à ses convictions et qui lui déplaisait profondément. De plus, le tournage était assez éprouvant pour Aline, en grande partie en raison du changement constant de réalisateurs, qui étaient en majorité des hommes. Ces derniers n’étaient pas toujours compétents et n’étaient pas nécessairement sensibilisés aux enjeux liés à la condition des femmes avant de rejoindre l’émission. Toutefois, Aline a su surmonter ces adversités grâce à sa grande résilience. Elle a continué d’animer l’émission pendant 13 ans, de 1966 à 1979, faisant preuve d’une détermination sans faille.

Femme d’aujourd’hui a permis à Aline de devenir une figure incontournable du domaine de l’information au Québec, au point que le Montréal Star l’a surnommée « The Queen of French TV » (Gouvernement du Québec, 2025). Elle assumait une multitude de rôles, dont ceux d’animatrice, intervieweuse, modératrice de tables rondes et reporter, tout en supervisant les tournages en studio et sur le terrain. L’émission a rapidement gagné en popularité auprès des femmes québécoises, atteignant des cotes d’écoute proches du million, ce qui était exceptionnel étant donné que sa diffusion était l’après-midi, une plage horaire habituellement peu suivie.

Aline Desjardins sur le plateau de Femme d’aujourd’hui, Radio-Canada

Son parcours suite à Femme d’aujourd’hui

Après avoir quitté l’animation à Femme d’aujourd’hui, elle est passée à d’autres émissions comme Repères, une émission hebdomadaire d’information qu’elle a coanimée de 1982 à 1983. Elle apparaît aussi régulièrement dans l’émission d’information Ce soir. De 1984 à 1986, on la retrouve dans l’émission Avis de recherche qu’elle coanime avec Gaston L’Heureux. Puis, à partir de 1986, elle commence à s’intéresser au domaine de l’environnement et devient la première femme journaliste à animer occasionnellement La semaine verte, une émission agricole diffusée à Radio-Canada. Elle devient également la première femme à l’animation de l’émission radiophonique D’un soleil à l’autre, de 1987 à 1990. Elle décide par la suite de concevoir sa propre émission d’horticulture, Des jardins d’aujourd’hui, qui fut diffusée dans 80 pays jusqu’en 1995 (Gouvernement du Québec, 2025).

Tout au long de sa carrière de journaliste, elle a également porté la voix de nombreux organismes se consacrant à la cause des femmes, dont la Ligue des droits et libertés du Québec, Les Femmeuses, Vues et voix, et plusieurs autres. Elle s’est également impliquée auprès du centre d’hébergement le Carrefour pour Elle, qui aide les femmes victimes de violences conjugales.

Aline ne s’est jamais mariée et n’a pas eu d’enfants, car fonder une famille n’a jamais fait partie de ses projets. Elle a observé sa mère se démener pour élever ses onze enfants, alors qu’elle-même aurait préféré suivre un autre chemin. Elle n’a jamais pu le faire, car à l’époque, les femmes n’avaient pas la liberté de choisir leur emploi. C’est pourquoi Aline a décidé de vivre une vie libre, sans se soumettre aux attentes sociales qui imposaient aux femmes de se consacrer au foyer. Ayant maintenant 90 ans, elle profite de sa retraite tout en poursuivant son engagement en faveur des droits des femmes.

Participation au documentaire Les héritières 

Capture d’écran du documentaire Les héritières, Télé-Québec

En 2024, à l’occasion du 50e anniversaire du Conseil du statut de la femme, le documentaire Les héritières a été réalisé pour dresser un portrait de la situation actuelle des femmes au Québec, tout en faisant écho au passé. Présenté par la comédienne Marie-Soleil Dion, le documentaire met en lumière cinq femmes, symboles de cette lutte à travers différentes décennies. La participation d’Aline Desjardins dans ce projet illustre l’ampleur de son engagement féministe, tant au cours de sa carrière professionnelle dans les médias que dans sa vie personnelle. 

La productrice Marie-France Bazzo et la présidente du Conseil du statut de la femme, Me Louise Cordeau, ont toutes deux témoigné de la place qu’Aline a occupée dans leur enfance, puisque leurs mères écoutaient régulièrement Femme d’aujourd’hui. Marie-France Bazzo estime par ailleurs que l’apport d’Aline est souvent sous-estimé « Elle a fait un travail de fond absolument magistral. », souligne-t-elle  (La Gazette des Femmes, 2023).

Le documentaire explore les diverses luttes menées par les femmes au cours des dernières décennies. Aline Desjardins y évoque les combats qu’elle a soutenus tout au long de sa vie, notamment ceux pour le droit à l’avortement et l’équité salariale.

Aline Desjardins accompagnée de Marie-Soleil Dion, Me Louise Cordeau, Julie Blackburn et Marie-France Bazzo lors de la première du documentaire Les héritières, La Gazette des Femmes

Sa position sur l’état actuel des causes féministes 

Ayant défendu les causes des femmes avec ferveur, elle s’indigne de constater que certaines d’entre elles n’ont pas progressé autant qu’elles le devraient. Elle, qui militait pour l’avortement libre et gratuit dans les années 70, peine à croire que cette question soit encore débattue aujourd’hui. 

Malgré les avancées du féminisme des dernières années, Aline dit ne rien prendre pour acquis. Cependant, elle reste optimiste quant à l’avenir, convaincue que les femmes finiront par prendre pleinement leur place. Elle souligne que malgré qu’il nous reste du chemin à parcourir, les mouvements féministes récents, tels que le mouvement #MeToo ont grandement contribué à faire avancer la cause féministe (La Gazette des Femmes, 2024).

Équité salariale

Pour Aline, l’indépendance financière est essentielle à la dignité des femmes. Tout au long de sa carrière, elle a dénoncé les inégalités salariales entre les femmes et les hommes dans les médias, une problématique qui persiste encore aujourd’hui. 

Elle met en garde les femmes travaillant dans ce secteur, leur rappelant qu’elles doivent s’assurer que leur salaire est équitable par rapport à celui de leurs collègues masculins. La passion ne doit pas les aveugler, et chacune doit se questionner sur la parité salariale.

Elle reconnaît qu’elle-même a mal négocié son salaire par le passé, ce qui l’a poussée à prendre position sur le sujet. Elle a raison de le faire, d’autant plus que l’écart salarial dans le domaine des arts et de la culture était encore de 9% en 2021 (Institut de la statistique du Québec, 2021). 

Son impact

En 2024, la carrière journalistique d’Aline a été pleinement reconnue et récompensée. Elle a été nommée officière de l’Ordre national du Québec, la plus haute distinction décernée par le gouvernement québécois. Lors de la remise du prix, le premier ministre François Legault a déclaré : « Si le Québec est aujourd’hui devenu l’une des nations les plus égalitaires au monde, c’est beaucoup grâce à des femmes courageuses comme vous. » (Radio-Canada Archives, 19 juin 2024). Elle a également été honorée par le prix René-Lévesque, la plus prestigieuse distinction en journalisme au Québec.

Aline Desjardins et François Legault lors de la cérémonie de l’Ordre national du Québec en 2024, Radio-Canada

Malgré la reconnaissance qu’elle reçoit aujourd’hui, Aline nous a expliqué que Femme d’aujourd’hui n’a pas été pleinement appréciée lors de sa diffusion. Ce n’est que plusieurs années plus tard, avec du recul, que l’émission a été reconnue pour son impact dans la cause féministe. Elle se souvient qu’après avoir animé l’émission, elle était constamment accostée par des femmes qui la remerciaient pour son travail, ce qui la remplissait de bonheur.

Aline Desjardins fut une véritable pionnière dans son domaine, et a joué un rôle essentiel dans l’histoire du Québec. Par son travail et son engagement, elle a ouvert des voies qui ont permis aux générations de femmes qui l’ont suivie de s’affirmer dans le monde des médias. Son influence va bien au-delà de ses réalisations professionnelles, puisqu’elle a contribué à redéfinir la place des femmes dans la société québécoise, en leur donnant une voix et en abordant des sujets souvent négligés. Son parcours a inspiré de nombreuses autres femmes québécoises à prendre leur place dans des domaines traditionnellement masculins.

Partie 2 : L’impact de Femmes d’aujourd’hui

Comme mentionné précédemment, Aline Desjardins s’est fait connaître en grande partie pour son animation pendant treize saisons de l’émission Femme d’aujourd’hui. Cette émission quotidienne destinée aux femmes était diffusée en fin d’après-midi comme les femmes étaient supposément toutes à la maison. Aline a animé 2733 des 3000 émissions.

Diffusée à partir du 6 septembre 1965 jusqu’en 1982, le contenu de ce magazine télévisé changera. À ses débuts, l’émission aborde des sujets pour la femme au foyer, tels que la danse, le tricot et la cuisine. Vers les années 70, l’émission aborde désormais les femmes au sens large avec tous les enjeux qui les caractérisent.

À l’aide de débats, de tables rondes et de micro-trottoir sur le sujet, l’émission aborde différents tabous liés à la femme. Les sujets qui suivent les changements sociaux permettront à l’émission de prendre une place importante dans le féminisme. Femme d’aujourd’hui aborde désormais l’avortement, l’indépendance des femmes, le divorce, la violence conjugale, l’égalité des sexes et le travail hors de la maison, tout comme l’importance de reconnaitre celui dans la maison.

 « À l’époque, la télévision était très masculine. Les femmes étaient souvent des faires valoir, quasiment des objets de décoration. Ce n’était pas des femmes qui avaient une voix et qui étaient au centre des décisions. Tandis que là, ça changeait. Cette émission, Femme d’aujourd’hui, a été un phare pour beaucoup de femmes, même des femmes qui ne connaissaient rien au féminisme. Elles se rappelaient ou elles écoutaient ces sujets qui les concernaient », affirme Pascale Navarro, journaliste et membre du Laboratoire en études féministes.

Un des enjeux principaux abordé dans l’émission concernait les questions liées au corps de la femme. Ce terme général a été décortiqué plusieurs fois avec des sous-thèmes plus précis. L’importance de l’avortement a été un débat abordé plusieurs fois à Femme d’aujourd’hui, qui touchait également à des thèmes comme la puberté et la ménopause. Aucune tranche d’âge n’était ciblée précisément. Le but était vraiment de rejoindre toutes les femmes en faisant une émission sur elles, et pour elles.

L’important est de donner une tribune à la voix des femmes en abordant différentes facettes du quotidien. L’émission a insisté sur la différence d’opinions, n’hésitant pas à accueillir des femmes qui n’ont pas ou très peu de place dans les autres journaux et téléjournaux, comme des femmes homosexuelles, monoparentales et de minorité ethnique au Québec.

L’émission couvre différents évènements concernant les droits des femmes, permettant aux femmes qui restent à la maison de se tenir informées. Ils ont notamment abordé la Commission Bird à diverses reprises. Aussi connue sous le nom de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, la Commission Bird a été instituée le 3 février 1967 et a entendu plus de 900 personnes en audience publique au cours de six mois. Le rapport du 7 décembre 1970 contient 167 recommandations sur les inégalités entre les sexes au Canada.

Femme d’aujourd’hui a couvert ce sujet, notamment le 9 février 1967, quelques jours après l’annonce, avec Florence Bird qui est commissaire de l’enquête, le 31 décembre 1978 avec le commissaire Henripin sur les avancées du rapport, le 8 décembre 1970 pour le rapport final, et même le 24 mars 1975 avec la sociologue Monique Bégin pour les impacts que le rapport a eus.

Différents responsables  

Michelle Lasnier, directrice de l’information télévisée à Radio-Canada, s’occupe de l’émission de 1966 à 1981 et a participé grandement à la transition des sujets. La rupture entre les sujets plus traditionnels de femmes au foyer et ceux dits féministes s’opèrent beaucoup à son arrivée.   

Plusieurs réalisatrices et réalisateurs se sont succédé durant les dix-sept années de l’émission. Les recherchistes ont également eu une partie prenante dans cette rupture qui a mené aux sujets témoins de l’ère du temps. Les personnes qui se sont enchaînées à la tête de l’émission ont toutes suivi les vagues de changements sociaux. Femme d’aujourd’hui a rapidement cessé d’offrir le même genre de contenu que les autres émissions féminines pour suivre la vague du féminisme.

Aline Desjardins confie que l’émission était très exigeante à animer. Elle a connu certains réalisateurs qui lui donnaient des livres à aborder, quelques minutes avant d’entrer en onde, sans lui en avoir parlé au préalable. Il y a eu une succession importante de réalisateurs sur le plateau, ce qui demandait aux animateurs de toujours s’habituer à de nouvelles manières de diriger. 

« Ce n’était pas simple du tout. C’était très exigeant. Parce que tous ces réalisateurs n’étaient pas d’égales compétences, non plus. Il y avait beaucoup de femmes, mais il y avait beaucoup d’hommes aussi. Je pense qu’il y a eu quinze réalisateurs. Ils n’étaient pas tous sensibles à la condition des femmes avant d’être parachutés (dans l’émission). Alors, c’était du travail. »

Un pan d’histoire importante pour Radio-Canada 

Femme d’aujourd’hui fut une émission importante pour l’histoire de Radio-Canada. Dans le cadre des 50 ans à la télévision de la société, un extrait de l’émission a été publié sur la chaîne de Radio-Canada info. 

En 2015, Radio-Canada a remis l’émission de l’avant avec une exposition au pavillon Bonenfant de l’Université Laval. L’exposition Être femme aujourd’hui, Femme d’aujourd’hui a été présentée d’octobre 2015 au 18 mars 2016. 

« À travers des extraits vidéo de l’émission, des photographies, des magazines et des tableaux explicatifs, l’exposition Être femme aujourd’hui, Femme d’aujourd’hui fait état de la contribution de Femme d’aujourd’hui à la diffusion du mouvement féministe au Québec. »  (Radio-Canada, 2015). 

Dans l’article Moments d’histoire de la société de Radio-Canada, Femme d’aujourd’hui est décrite comme suit : « Diffusée de 1965 à 1982, Femme d’aujourd’hui devient une tribune télévisuelle pour les femmes francophones du Canada et pour des communicatrices de talent telles que Minou Petrowski, Françoise Faucher et Aline Desjardins. »

Un dernier article exhaustif, Reflets de Femme d’aujourd’hui, sur l’émission publiée le 10 juin 2019, mis à jour le 2 mars 2021, explique à travers les archives de Radio-Canada l’évolution de l’émission Femme d’aujourd’hui. 

L’exposition et ces articles initiés par Radio-Canada des décennies suivant la diffusion de l’émission démontre son importance pour la société qui a diffusé cette émission quotidienne unique à son époque. 

L’éveil féministe d’Aline Desjardins

C’est Femme d’aujourd’hui qui a permis à Aline Desjardins de se sensibiliser à la cause féministe. Préparer ses textes sur les différents enjeux touchant les femmes lui a permis de découvrir les inégalités et les enjeux auxquels elles devaient faire face quotidiennement.

 « C’est là que j’ai compris où menait le féminisme et pourquoi on avait besoin d’être féministe absolument » (Aline Desjardins sur Femme d’aujourd’hui, RDI Archive, 2019).

Si la direction de Radio-Canada n’a pas eu de problème avec la majorité des sujets abordés dans Femme d’aujourd’hui, il en a été autrement lorsque Aline Desjardins a révélé être en faveur de l’avortement libre et gratuit. Pour Aline, il est primordial d’offrir les ressources pour que les femmes puissent choisir les options les plus sécuritaires à leur situation.

 « On a fait une lutte sur l’avortement. Moi, personnellement, je voulais l’avortement libre et gratuit. On est encore en train d’en parler aujourd’hui. Je trouve ça terrible qu’on soit encore à parler du ba-be-bi-bo-bu de la contraception », indique Aline. 


Impacts de l’émission pour Aline

« Les femmes nous ont dit qu’elles se sont reconnues, qu’elles sont sorties de l’isolement. Parce qu’elles pensaient toutes qu’elles étaient la seule à vivre ça, cette situation d’isolement. Et là, elles se sont rendu compte que plein d’autres femmes le vivaient. Alors, ça a fait une certaine unité »  témoigne Aline, à propos des commentaires reçus suivant l’émission.

Aujourd’hui, l’impact d’Aline Desjardins à l’animation de l’émission demeure. Des femmes viennent encore lui témoigner l’importance que l’émission a eue dans leurs vies. Certaines lui disent comment Femme d’aujourd’hui les a fait évoluer et les a aidées à se sentir reconnues. Des immigrantes lui ont aussi révélé comment l’émission leur aidait à comprendre la vie et la réalité des femmes québécoises. 

« Il y avait aussi des immigrantes qui disaient que ça avait ouvert leurs yeux sur la façon dont vivaient les femmes québécoises, où en était rendue la société québécoise. Tout ça, c’est très précieux en fin de compte. De recevoir ces témoignages, là. Ça faisait mon bonheur », se remémore Aline. 

Malgré qu’Aline Desjardins ne fut pas la seule à la barre de l’émission, elle reste une des figures emblématiques de celle-ci. Elle, qui a rejoint le duo d’animateurs initiaux composés de Yoland Guérard et Lizette Gervais en 1966, a vu sa réputation se forger durant l’émission. Lors de sa dernière année, Aline a partagé l’animation de la saison 78-79 avec Louise Arcand. 

Son animation lui a même valu d’être nommée une des femmes importantes des années 60 selon le Conseil du statut de la femme. Il la décrit comme une « féministe engagée à la barre de l’émission Femme d’aujourd’hui de 1966 à 1976 ».

Toutefois, la renommée de l’émission et son importance dans les changements n’ont été reconnus qu’après sa diffusion. Aline mentionne que, durant sa diffusion, Femme d’aujourd’hui n’était pas reconnue à sa juste valeur. Ce n’est que plus tard que la société a réalisé l’impact que cette quotidienne a eu sur la condition des femmes au Québec. Aline Desjardins a défendu plusieurs sujets durant les treize années de son animation. Elle a accueilli plusieurs femmes auparavant absente de la sphère médiatique dans ces espaces de discussions créées par Femme d’aujourd’hui.

« Ce que je trouvais important, c’était de parler des sujets qui concernent les femmes qui nous regardent. Alors, c’est pour ça qu’on avait une variété incroyable de sujets. On est passé de l’inceste, à l’avortement…» témoigne le visage de Femme d’aujourd’hui

Les femmes dans les médias au 20e siècle

Au début du 20e siècle, les femmes présentes dans les médias ne sont que de rares exceptions. Les femmes sont encore perçues comme celles qui s’occupent de la maison. Les rares sujets qui leur sont destinés portent sur des activités ménagères, comme la cuisine, le ménage, ou la couture.

L’émergence du féminisme et des revendications sociales dans les années 60 a ouvert la porte à plusieurs femmes dans le domaine. Femme d’aujourd’hui est l’une des productions qui ont permis de diversifier les représentations des femmes pour ne plus seulement les restreindre au foyer. Aline Desjardins a donc commencé sa carrière dans ce monde médiatique en changement. Femme d’aujourd’hui est un témoin de cette évolution ayant été en onde dans les années phares du féministe au Québec.

« En 1975, il y a eu une avancée majeure parce qu’il y a eu l’année internationale des femmes et la décennie des femmes jusqu’en 1985, ce qui a suscité beaucoup de reportages. C’était dans l’air. À l’époque, c’était très populaire. C’était un sujet qui suscitait vraiment de l’intérêt. Donc, quand il y a un intérêt pour un sujet public, les médias s’en emparent. »,  explique Pascale Navarro sur l’importance des enjeux féministes dans les médias.

Années de changementsL’émission a pris place dans une société en évolution, marquée par de grands changements sociaux. Les femmes ont acquis plus de droits qui ont donné l’indépendance aux femmes mariées. S’installant dans la Révolution tranquille, qui a mené à une laïcisation de l’État et à un plus grand accès au marché du travail pour les femmes, Femme d’aujourd’hui a été témoin de diverses batailles que les femmes menaient au 20e siècle. 

Femme d’aujourd’hui prend part dans ce qui est désigné comme la seconde vague du féminisme, soit les mouvements féministes de 1960 à 1985. À cette époque, les revendications féministes ont permis plusieurs changements importants dans plusieurs sphères. Un meilleur accès à l’éducation et plus de diversification dans les emplois disponibles aux femmes ont été atteints. Les femmes ont également gagné plus d’autonomie corporelle et ont commencé à prendre plus de place dans les assemblées législatives. 

Faits marquants dans la lutte des femmes au 20e siècle

25 avril 1940 : Le droit des votes aux femmes

1960 : Première pilule contraceptive

1964 : Adoption de la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée. Les femmes mariées ont désormais le droit de disposer de leurs propres biens.

1969 : Décriminalisation de l’avortement

1975 : La Charte québécoise des droits et libertés de la personne reconnaît officiellement l’égalité entre l’épouse et l’époux. Prohibition de la signature du mari obligatoire dans toutes les institutions.  

1989 : Le Code civil permet un partage égal du patrimoine familial lorsqu’une union est dissoute.

Bientôt soixante ans après sa mise en ondes, Femme d’aujourd’hui rappelle que les luttes féministes ne proviennent pas d’une réalité si lointaine. Des enjeux sont toujours d’actualité, comme l’accessibilité à l’avortement. Ces sujets qui sont toujours actifs dans la société ne sont que des rappels de la fragilité des acquis.

Une personnalité qui demeure dans l’histoire Si Aline Desjardins s’est fait connaître avec Femme d’aujourd’hui, sa carrière ne s’est pas arrêtée là. Sa carrière d’animation et de journaliste a continué en enchaînant les projets. Son engagement dans la cause des femmes à travers les décennies a fait d’elle un symbole fort de cette lutte au Québec. Plusieurs médias témoignent de son héritage, dont le documentaire Les héritières, divers articles dans La Gazette des Femmes, Le Soleil ou le journal Le Placoteux.

Les témoignages actuels d’Aline rappellent que les luttes pour les droits des femmes ne sont pas encore toutes gagnées, puisque certaines batailles qui avaient lieu au début de sa carrière persistent encore.

Nous vous invitons à consulter votre courriel pour visionner notre court-documentaire sur l’impact et le parcours médiatique d’Aline, accompagné d’un résumé de Pascale Navarro, journaliste et membre du Laboratoire en études féministes, ainsi que d’un témoignage d’Aline elle-même.

Marie-Maude Denis: une journaliste ambitieuse

27 mars 2025 - Par - Catégorie : Médias

Marie-Maude Denis. Source : Radio-Canada.

Un travail réalisé par Élise Lécaudé, Justine Bouchard-Girard, Élodie Bréniel et Léa Lemieux. 

Introduction 

Journaliste à Radio-Canada depuis près de 20 ans, Marie-Maude Denis se démarque par ses enquêtes. Bien qu’elle soit née en Ontario, c’est surtout au Québec que son influence dans le milieu de l’information se fait ressentir. Dans la première partie de ce travail, il sera question des débuts de Marie-Maude jusqu’à sa percée dans le domaine du journalisme. Le contexte historique des médias de l’époque sera également abordé dans cette section. La deuxième partie sera consacrée à son travail de journaliste d’enquête. Ainsi, ses enquêtes marquantes seront abordées et le procès qu’elle a gagné pour la protection des sources journalistiques sera mis en lumière. La troisième section portera sur l’émission Les stagiaires qu’elle a animée, mais également sur les distinctions qu’elle a reçues au cours de sa carrière. La quatrième et dernière partie sera consacrée à l’héritage de cette figure de proue et à sa réputation. La place des femmes en journalisme sera également traitée dans cette section.  

1. Début de carrière au tournant du millénaire

La vocation de journaliste

Marie-Maude Denis, journaliste d’enquête franco-ontarienne, a passé son enfance entourée d’une famille amatrice de nouvelles. « [Le journalisme] faisait partie de la vie de ma famille », dit-elle. Son père, Michel Denis, était réalisateur à la radio de Radio-Canada, à Ottawa. Le milieu journalistique lui est donc familier dès son plus jeune âge. Lors de ses journées pédagogiques, elle accompagnait son père au bureau de Radio-Canada. Le « bouillonnement intellectuel » environnant fascinait la jeune fille, admirative des collègues de son père. « J’avais le goût de ce monde-là », se rappelle-t-elle.

À l’adolescence, Marie-Maude Denis allait dans une école secondaire en arts. Elle s’y est spécialisée en théâtre, ce qui l’a poussée à s’inscrire en théâtre à l’université d’Ottawa. Cette vocation n’a pas fait long feu, car Marie-Maude sentait qu’elle n’était pas faite de la même étoffe que ses camarades de classe. « Les gens de théâtre étaient trop intenses, […] ils étaient trop écorchés vifs. Je me suis dit que je n’avais pas le feu sacré pour vivre [du théâtre] », plaisante-t-elle.

Comme son père l’encourageait fortement à acquérir de la rigueur intellectuelle, soit la capacité de faire des recherches et de l’analyse, elle a décidé de poursuivre des études en sciences politiques. Ces études l’ont beaucoup aidé dans son travail de journaliste. Se disant qu’au fond, c’était plutôt le métier de journaliste qui l’interpellait, elle s’est lancée dans un baccalauréat en communication à l’Université d’Ottawa, puis en journalisme à l’Université Laval. Pourtant, elle n’était pas passionnée par ses études. « Si c’était à refaire, j’étudierais dans tout sauf les communications », lance la journaliste. « En communication, on apprend des théories pour la communication […]. Mais, ce que ça prend pour être journaliste, c’est avoir une très grande culture générale et bien maîtriser sa langue », renchérit-elle.  

L’aspirante journaliste ne « tripait pas gros » sur les études et brûlait plutôt d’impatience de faire son entrée sur le marché du travail. Néanmoins, c’est seulement au début des années 2000 que Marie-Maude commence à se tailler une place notable dans le milieu de l’information. 

État du journalisme en début 2000

Depuis les années 60, le Québec est le théâtre d’une convergence des médias. Au tournant du millénaire, les entreprises de presse écrite sont en grande partie réunies sous l’égide de deux grandes compagnies, Gesca et Québecor. En 2001, Québecor a acheté le réseau TVA, le plus grand compétiteur de Radio-Canada.

Source: Lavoie, M-H. (2001). La concentration de la presse à l’ère de la “ convergence ”

Au cours des années 90, le monde du journalisme est bouleversé par des révolutions technologiques comme le cellulaire, internet et l’ordinateur portable. Ces technologies facilitent et accélèrent le travail des journalistes, tout en permettant une plus grande utilisation d’outils télévisuels dans l’information. Cependant, la démocratisation de l’accès à internet signifie aussi la multiplication de compétiteurs et des producteurs de nouvelles, ce qui a pour effet « d’intensifier la contestation de l’utilisation de contenu sans rémunération appropriée ».

Les habitudes de consommation de l’information changent. Les gens souhaitent de moins en moins payer des abonnements aux médias, car ils peuvent trouver du contenu similaire gratuitement sur internet. Ainsi, avec la concurrence, la perte d’une partie des revenus publicitaires et des abonnements du public, les entreprises médiatiques font des coupes dans leurs effectifs afin de réduire leurs dépenses. En 2009, malgré le soutien financier de l’État, Radio-Canada supprime 800 emplois au sein de son entreprise, soit 8% de ses effectifs, dont 86,5% sont dans la branche de la télévision. 

Au sein de l’industrie, le virage numérique divise. Alors que certains estiment que ce changement favorise la mise en valeur de l’information, avec, par exemple, le lancement de La Presse + qui aurait « permis de réinventer le grand reportage et donné l’occasion aux journalistes de proposer et de réaliser des projets de reportage de qualité […] », d’autres critiquent « la vitesse que les nouvelles technologies imposent au travail journalistique […] au détriment de la qualité ». Peu de médias font encore des enquêtes longues et onéreuses, mais Radio-Canada et La Presse constituent des exceptions. 

Marie-Maude impressionne dès ses débuts

Elle fait ses débuts dans le monde des médias, à l’âge de 16 ans, en faisant passer des dépliants de Radio-Canada au Salon du livre de l’Outaouais. Son talent pour parler aux gens et l’énergie qu’elle déployait dans son travail se font remarquer par les employés de Radio-Canada. De fil en aiguille et à force de traîner autour de la société d’État, elle a enchaîné les petits contrats. Puis, elle a fait la rencontre de Mario Girard, qui animait à l’époque une émission à la radio régionale d’Ottawa.

Il lui a dit « hey, toi, tu as de la détermination, tu as du bagout. Est-ce que tu as le goût de me faire une chronique jeunesse […] dans mon émission? » Du haut de ses 17 ans, elle s’est sentie à la fois flattée et anxieuse face à cette proposition. Elle a cependant fini par accepter. Ce travail lui a donné « la piqûre ». Il lui faisait vivre des sensations fortes, des poussées d’adrénaline. « C’était comme de la grosse drogue », raconte-t-elle. 

Se cherchant un emploi de journaliste, il était clair pour Marie-Maude qu’il fallait sortir d’Ottawa. Elle voulait s’émanciper du travail de son père. « [Si j’étais restée]  j’aurais toujours été la « fille à papa », je ne voulais pas ça », dit-elle.

En 2000, elle a donc pris la route pour Québec et s’est empressée d’envoyer son « CV » à tous les médias possibles. Après plusieurs refus, un appel d’une employée du service des communications de Radio-Canada Ottawa l’a remise dans le bain. L’employée, qui avait pris connaissance de la présence de Marie-Maude à Québec et qui avait entendu parler d’elle comme étant une fille « déniaisée », lui a proposé de faire un remplacement d’un mois aux communications de Radio-Canada à Québec. Ce travail n’était cependant pas particulièrement fascinant, selon Marie-Maude. 

Un peu plus tard, l’aspirante journaliste s’est trouvée un travail de sous-titrage pour les personnes malentendantes. Avec cet emploi, Marie-Maude corrigeait des textes de journalistes et s’occupait de la mise en forme des sous-titres. Cette expérience a été enrichissante pour la jeune femme. « Parce que tu travailles dans les fichiers où les journalistes écrivent leurs topos, tu vois le texte apparaître, tu vois les corrections qu’ils font, tu vois les clips qu’ils mettent, donc ça rentre dans ton cerveau », affirme la journaliste.

Elle insistait souvent auprès de son patron pour pouvoir réaliser de nouvelles tâches, tant et si bien que ce dernier a fini par lui octroyer du travail de recherche. « J’étais vraiment tannante », se rappelle-t-elle. À 21 ans, elle a donc commencé à assembler des dossiers de recherche et à « booker » les invités des émissions. 

Un jour, il manquait un journaliste pour aller tourner un extrait. « Il venait d’arriver un incident dans une garderie. Il y avait une éducatrice qui avait sauvé une petite fille. Le patron m’a envoyé faire l’extrait », se souvient Marie-Maude. Elle a paniqué un instant, consciente de son manque d’expérience, mais elle s’est tout de même exécutée. À la suite de la remise de son travail, son patron lui a demandé de faire un topo avec ce même contenu pour le lendemain.

C’était la fin de semaine et « le week-end, il y a vraiment de la marge de manœuvre pour quelqu’un qui veut prendre de l’expérience », nous raconte la journaliste chevronnée. Après cette première expérience au téléjournal, elle a continué de produire des topos et des petits reportages. Son travail s’est rapidement fait remarquer par de grands noms de Montréal. Très vite, elle a reçu un appel élogieux de la part de la journaliste Michaëlle Jean, qui appréciait son élocution. « [Il y a des journalistes qui] font une petite voix, une petite intonation. Toi, tu ne le fais pas, tu ne chantes pas. Continue comme ça, tu vas aller très loin », l’a complimentée Mme Jean.

Marie-Maude a tapé dans l’œil d’une autre journaliste d’expérience, qui deviendra plus tard une proche collègue et amie. « Quand je l’ai vue pour la première fois, il y a plus de 20 ans à la télévision, j’étais très impressionnée par elle », se rappelle Isabelle Richer, journaliste à Radio-Canada. « Elle était jeune, elle était très affirmée, très sûre d’elle, je voyais qu’elle avait énormément de talent et de potentiel. Elle était à Québec et je me disais qu’elle ne resterait pas longtemps dans cette ville », ajoute Isabelle. 

Vers 2002, Isabelle souhaitait ardemment que Marie-Maude soit repêchée à Montréal. Pour elle, une chose était claire: la jeune journaliste débordait de talent. Selon Isabelle, il suffisait de voir Marie-Maude à la télévision pour comprendre à quel point elle se démarquait de ses pairs. « Il y avait une assurance, une fluidité, un esprit de synthèse et une qualité dans ses propos et dans sa façon d’expliquer une histoire. Ça se sent et ça s’entend très rapidement », ajoute Isabelle.

Isabelle Richer et sa meilleure amie, Marie-Maude Denis. Source : Radio-Canada. 

Isabelle qualifie sa rencontre avec Marie-Maude de « coup-de-foudre ». « S’il existait une telle chose que la ‘’bromance’’ en français, qui parle des filles, une ‘’girl-mance’’ [ça décrirait notre relation] », plaisante-t-elle. « On est tout de suite tombées en amitié toutes les deux et on ne s’est jamais laissées depuis », renchérit-elle. 

2. La journaliste d’enquête 

En 2008, Marie-Maude Denis a rejoint l’équipe de l’émission Enquête pour « lever le voile sur l’un des plus gros dossiers de corruption de l’histoire du Québec ». En 2015, elle a commencé à animer l’émission, à la suite du départ du journaliste Alain Gravel. 

Lorsqu’elle travaillait aux faits divers, à Radio-Canada, en 2008, Marie-Maude a reçu une enveloppe d’une source confidentielle contenant une information cruciale. Elle est allée porter cette enveloppe à la cheffe recherchiste de l’émission Enquête, Monique Dumont. Mme Dumont travaillait depuis des années sur la collusion, notamment à Laval. L’information que contenait l’enveloppe lui permettait d’aller plus loin dans l’enquête. Peu de temps après, Marie-Maude a intégré l’émission pour travailler sur le dossier avec le journaliste Alain Gravel. 

De fil en aiguille, le tuyau, qui n’était au départ qu’une simple anecdote, s’est avéré être une véritable piste. À force de rencontrer des sources, les informations se sont concrétisées et ont mené à de solides enquêtes. « L’équipe d’Enquête a fait trembler l’industrie de la construction et la classe politique avec sa série d’une trentaine de reportages traitant de la corruption et de la collusion. »

La commission Charbonneau 

D’ailleurs, l’émission Enquête a joué un rôle crucial dans le déclenchement de la commission Charbonneau. « Je demande qu’une commission d’enquête soit menée », lance Sylvie Roy, la députéé de l’Action démocratique du Québec (ADQ), le 7 avril 2009. « C’est peu après les premières révélations de l’émission Enquête […] sur les irrégularités dans l’industrie de la construction » que Mme Roy a prononcé  les mots qui allaient être sans cesse répétés par les partis d’opposition durant deux ans, explique Radio-Canada

« Je ne suis pas une militante pour dicter ce que doit faire la politique, je suis là pour informer la société », soutient Marie-Maude en réponse au déclenchement de la commission Charbonneau.

La juge France Charbonneau. Source : Radio-Canada 

La commission Charbonneau avait le mandat d’enquêter sur « l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction ». Elle a été mise sur pied par le gouvernement de Jean Charest en 2011. La juge France Charbonneau présidait cette commission d’enquête sur la collision et la corruption. « Les stratagèmes de corruption et le financement politique illégal mis au jour par la commission ont surtout fait mal au Parti libéral », mentionne Denis Saint-Martin, professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal et membre du Comité de suivi des recommandations de la commission Charbonneau. D’ailleurs, cette commission a alimenté l’opposition et a donné des armes à la Coalition avenir Québec (CAQ) qui a fait de la corruption l’enjeu principal de sa campagne électorale. 

Ses enquêtes marquantes 

« Marie-Maude a reflété les débats de la société avec ses reportages chocs sur la collusion et la corruption. Elle s’est penchée sur toutes les questions de l’heure et les grands enjeux de société à travers l’émission Enquête », avance la journaliste Isabelle Richer, qui est également sa meilleure amie. 

« On avait de la chance d’être deux à la tête de cette émission phare ; l’émission la plus écoutée de Radio-Canada », raconte Isabelle. 

Marie-Maude a commencé à animer l’émission Enquête en 2015, ça fait maintenant 10 ans qu’elle est à la barre de celle-ci. 

La journaliste considère qu’un de ses reportages les plus marquants est celui sorti en 2016, qui se nomme Les « baux » cadeaux. Il s’agissait d’une enquête sur un important détournement de fonds. Le reportage a révélé au grand jour un scandale de corruption. « Ce serait la plus importante fraude dans une société d’État au Québec et peut-être même au pays. D’importants collecteurs de fonds du Parti libéral et l’ex-pdg de la Société immobilière du Québec (SIQ), [Marc-Andrée Fortier], se seraient partagé des millions de dollars lors de transactions immobilières », souligne l’émission. Pour découvrir le pot aux roses, Enquête a suivi la trace de transactions immobilières suspectes passant par des comptes aux Bahamas et en Suisse. 

Marie-Maude a su refléter les débats de l’époque à travers ses enquêtes sur la collusion et la corruption, mais, récemment, elle a réalisé un reportage sur un enjeu de société actuel, soit la tragique réalité du fentanyl. L’enquête diffusée en février 2025 s’intitule Place-des-âmes. Il s’agit d’un reportage sur les ravages du fentanyl, une drogue qui tue « une vingtaine de Canadiens par jour ». En se penchant sur l’histoire de Maïa, une jeune chanteuse de 31 ans, qui a fait une surdose à la station Place-des-Arts, l’équipe d’Enquête s’est plongée au cœur du phénomène. Marie-Maude estime que c’est une enquête marquante et poignante. 

La défunte chanteuse Maïa Léia Fournier. Source : Radio-Canada. 

« J’ai réussi à gagner la confiance des gens. Ils m’ont laissé rentrer dans un milieu où les caméras ne rentrent pas souvent », exprime la journaliste avec émotion. Le reportage a eu une réception incroyable auprès du public, ajoute-t-elle. 

« Je trouve ça important ce que je fais. Ce n’est pas moi qui ai de l’importance, c’est mon travail », précise Marie-Maude. 

« Elle a commencé comme reporter à Enquête et au fil des ans, elle est devenue une partie importante de cette émission, jusqu’à en devenir l’âme », affirme Isabelle avec fierté.  

Une femme prête à tout 

Marie-Maude a le journalisme d’enquête tatoué sur le cœur. Elle est prête à tout pour informer les gens, selon Isabelle. Elle met en lumière les injustices et elle lève le voile sur des histoires passées trop longtemps sous silence. En outre, elle donne une voix à ceux qui trop souvent n’en ont pas, comme les victimes, par exemple.

La journaliste agit en véritable chien de garde de la démocratie. D’ailleurs, le travail qu’elle a fait au fil des ans a permis de contrebalancer les trois pouvoirs officiels, en mettant sous les projecteurs certaines pratiques douteuses de l’autorité. 

Elle est tellement dévouée à sa profession qu’elle est prête à « prendre des risques calculés » pour le bien de la liberté de presse et donc, par le fait même, pour le bien de la démocratie. Marie-Maude a conscience du danger de son métier, mais elle ne se sent pas « en danger ». La journaliste sait que faire des enquêtes sur le crime organisé peut compromettre sa sécurité, mais ça ne l’arrête pas pour autant. 

« Marie-Maude est extrêmement audacieuse et fonceuse. C’est une batailleuse. C’est une fille qui sait où elle va et ce qu’elle veut. Elle ne prend jamais de risques inconsidérés pour obtenir ce qu’elle veut », témoigne Isabelle. 

Une journaliste face à la justice

Une des enquêtes qui a marqué la vie de la journaliste est le reportage nommé Anguille sous Roche diffusé en 2012, car l’enquête est le point de départ de ce qui l’a amenée en cour quelques années plus tard. 

Anguille sous Roche lève le voile sur le financement clandestin des partis politiques. Des documents démontraient pour la première fois le lien problématique entre les entreprises et les partis politiques. D’ailleurs, dans ce reportage, un témoin clé raconte l’histoire de la firme de génie-conseil Roche qui a obtenu un contrat public, « à la suite de ce qui semble être une série de manœuvres soigneusement orchestrées ». Quelques années après la diffusion de l’enquête, Marc-Yvan Côté, qui est l’ex-président de Roche, a traîné la journaliste devant les tribunaux. 

M. Côté subissait un procès pour fraude, complot et abus de confiance et il soutenait que les reportages présentés à son sujet dans l’émission Enquête « comportaient des éléments de preuve de l’enquête policière qui avaient été divulgués par une source confidentielle ». M. Côté considérait que cette fuite d’information l’empêchait d’avoir un procès juste et équitable. Sa théorie était que l’information provenait directement de l’État, plus précisément de l’Unité permanente anticorruption (UPAC). Il exigeait que Marie-Maude dévoile le nom de sa source confidentielle, afin de pouvoir prouver son point et ainsi faire annuler son procès. 

Il est important de savoir qu’une source anonyme est une personne dont les journalistes ne connaissent pas l’identité. Une source confidentielle est quant à elle une personne dont les journalistes connaissent l’identité, mais ils décident de la cacher au public pour de bonnes raisons, par exemple pour éviter que celle-ci ait des représailles. 

Une victoire en Cour suprême

Marie-Maude a perdu la cause en Cour supérieure contre M. Côté, mais la décision s’est rendue en appel. Cependant, la Cour d’appel a dit ne pas être en mesure de se prononcer sur le litige. Puisqu’il s’agissait d’une défaite pas juste pour elle, mais pour le journalisme, Marie-Maude a décidé de contester le verdict et d’essayer de faire entendre cette affaire en Cour suprême. Ainsi, elle voulait tenir son point devant le plus haut tribunal du pays. 

Marie-Maude Denis, lors de son combat judiciaire pour la protection des sources journalistiques confidentielles. Source : Le Soleil. 

La Cour suprême n’entend pas toutes les causes, elle choisit celles qui sont d’intérêt national. Ainsi, la journaliste se dit émue que ce tribunal ait accordé de l’importance à une affaire concernant la protection des sources journalistiques. Il s’avère que Marie-Maude a gagné en Cour suprême. Cette victoire est collective plus qu’individuelle. 

« Les juges qui se sont prononcés ont réaffirmé l’importance du journalisme d’enquête pour la société », annonce fièrement Marie-Maude. 

« Les tribunaux doivent [maintenant] accorder une grande importance à la protection des sources confidentielles, parce que s’il n’y avait pas de sources confidentielles, le journalisme d’enquête ne pourrait pas exister », explique la journaliste. Elle ajoute que les journalistes d’enquête s’appuient nécessairement sur des sources confidentielles pour faire de grandes révélations. Le combat mené par la journaliste était essentiel non seulement pour le journalisme au Québec, mais également au Canada.

3. Donner au suivant

Son parcours aux Stagiaires

En 2023, Marie-Maude Denis a été à la barre de l’émission Les stagiaires sur les ondes de Radio-Canada. Il s’agit d’une série documentaire de huit épisodes de 52 minutes qui suit le parcours de six stagiaires effectuant des défis hebdomadaires relevant de réelles affectations dans une salle de nouvelles de Radio-Canada. À la fin de chaque défi, Patrice Roy, Isabelle Richer, ainsi qu’un journaliste de la spécialisation de la semaine, procèdent à une évaluation du contenu produit. 

Patrice Roy, Isabelle Richer et Marie-Maude avec les six stagiaires de l’émission. Source : Radio-Canada.

Tout au long de la saison, la journaliste d’expérience guidait les stagiaires dans leur travail. Elle expliquait aussi au public les raisons derrière les exercices. « Elle a montré aux stagiaires toutes les facettes du métier et elle a réuni les experts pour chacune de ces facettes-là. C’était ça son rôle », explique Isabelle.

Marie-Maude a aussi mentionné en entrevue qu’elle fournissait une forme d’aide émotionnelle aux participants. « On s’entend que c’est difficile. On travaillait vraiment fort. On tournait des fois 10 heures par jour. Ils faisaient un vrai stage, mais, en plus ils étaient filmés. J’avais de la sympathie pour eux », mentionne la journaliste. Elle raconte aussi la relation d’amitié qui s’est créée entre elle et les apprentis. 

Lorsqu’elle a été approchée pour ce projet, elle a aimé le concept. Il est important pour elle de vulgariser le travail des journalistes, ainsi que l’envers du décor. La transparence du métier est essentielle pour elle. 

En participant à cette minisérie, elle souhaitait inciter les plus jeunes à devenir des journalistes. Elle désirait transmettre sa passion pour son métier. « On a probablement la même motivation, Marie-Maude et moi, c’est-à-dire le plaisir de la transmission », souligne Isabelle. Toutes les deux ont participé à l’émission afin d’aider la prochaine génération. « Mon père me disait: “Il faut que chaque génération fasse mieux que la précédente” », raconte Marie-Maude en souriant. 

Elle explique aussi que les journalistes sont d’autant plus importants à notre époque. Le journalisme est en difficulté et les démocraties sont en danger à cause de grandes puissances économiques, comme les GAFAM. Les médias sont souvent les premiers à être attaqués par les forces totalitaires et il est important qu’ils soient assez forts pour faire face à ces menaces, explique Marie-Maude.

L’animatrice d’Enquête raconte qu’elle a adoré participer à l’émission Les stagiaires en tant qu’animatrice et mentore. Elle mentionne que cette expérience est autant enrichissante pour elle que pour les participants. « Je le referais demain matin. J’aimerais qu’il y ait [une deuxième saison] », mentionne Marie-Maude. 

Ses prix et reconnaissances

Au cours de sa carrière, Marie-Maude a reçu de nombreux prix pour les reportages qu’elle a produits au sein de l’émission Enquête, dont trois prix d’excellence en journalisme économique et financier des économistes québécois. Elle explique que tous ses prix ont aussi eu une répercussion importante pour ses patrons. En effet, ils apportent une plus grande crédibilité aux émissions qui les reçoivent. 

En 2010, Alain Gravel, Emmanuel Marchand, Claudine Blais et elle remportent le Grand prix Judith-Jasmin pour le reportage Collusion frontale. Deux ans plus tard, elle en reçoit un autre avec Sonia Desmarais, cette fois-ci, dans la catégorie Enquête pour l’émission Anguille sous Roche

Elle remporte, en 2015, son premier prix Gémeaux avec Chantal Cauchy et Martyne Bourdeau pour le reportage Un train nommé Délire faisant état d’un système léger sur rail et des conflits d’intérêts associés à ce projet à Montréal. Elle gagne également un prix d’excellence en journalisme économique et financier pour le même reportage l’année suivante. Marie-Maude racontait d’ailleurs en entrevue que ces prix sont très prestigieux. Ainsi, ceux-ci apportent à la journaliste une reconnaissance supplémentaire de la part de ses proches.

En 2017, à la suite de l’enquête phare Les « baux » cadeaux, elle gagne un prix Judith-Jasmin dans la catégorie Enquête en compagnie de ses collègues Daniel Tremblay et Jacques Taschereau. Ce reportage se mérita aussi deux Gémeaux la même année. L’année suivante, elle reçoit le prix Charles Bury de la Canadian Association of Journalists pour avoir défendu la liberté de presse jusqu’en Cour suprême. 

Isabelle Richer et Marie-Maude Denis, accompagnées de deux membres de l’équipe de l’émission Enquête, lors des prix Gémeaux en 2017. Source : Radio-Canada. 

En 2020, elle remporte le Gémeaux de la meilleure animation d’affaires publiques pour Le vaisseau dort et La crise de Val-d’Or sur les déboires du traversier F.A-Gauthier et sur les abus de certains policiers de la Sûreté du Québec envers des femmes autochtones à Val-d’Or. L’année suivante, elle se mérite le même Gémeaux pour le reportage Ces avocats qui dépassent la ligne

4. Leçons et héritage 

Être une femme en information

Bien que la parité soit atteinte dans les salles de presse québécoises, cela ne signifie pas qu’il y a davantage de femmes protagonistes dans les reportages (sources ou expertes). En 2024, les femmes représentaient seulement 29 % des sources citées sur les sites web de Radio-Canada, du Journal de Montréal, du Devoir, de TVA Nouvelles et de La Presse rassemblés. 

Radio-Canada possède son propre Bureau de l’équité en matière d’emploi depuis 1986. La Société d’État doit respecter les exigences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), des politiques fédérales et de la population en matière de parité et d’équité. De 2000 à 2010, la proportion de temps de parole des femmes journalistes à la télévision dépasse 40 % à Radio-Canada, alors que TVA traîne la patte avec environ 16 % du temps de parole accordé aux femmes journalistes.  

Marie-Maude ne se souvient pas d’avoir rencontré des difficultés à ses débuts dans les années 2000 parce qu’elle était une femme en information. « Je pense que je dégage quand même une fille qui a confiance en elle, même si ce n’est pas entièrement vrai », s’explique-t-elle. 

Toutefois, les prises de conscience sociale lui ont fait réaliser la prépondérance des hommes en information. « Je réalise avec le recul le caractère masculin des décisions et du pouvoir dans tout mon début de carrière. Oui, j’ai fréquenté beaucoup de femmes motivées et déterminées, mais c’était quand même un monde dans lequel il y avait beaucoup d’hommes en situation d’autorité et de pouvoir », dit Marie-Maude. Néanmoins, elle ne pense pas que cela l’a désavantagée au cours de sa carrière.

Selon elle, les hommes ont encore plus de crédibilité que les femmes en information. « Je pense qu’on a une éducation qui fait en sorte qu’un homme est perçu comme ayant davantage de crédibilité, et je hais ça, mais les femmes pensent ça aussi. » Encore aujourd’hui, lorsqu’elle tente d’avoir des entrevues dans le cadre de son travail, Marie-Maude voit l’effet de cette perception. « Les femmes vont se trouver mille excuses pour dire qu’un collègue [masculin] est plus compétent, plus spécialisé, plus disponible. Les femmes hésitent beaucoup à se mettre de l’avant », contrairement aux hommes, analyse-t-elle. Un phénomène que des recherchistes de Radio-Canada ont également observé dans un reportage d’Anne Marie Lecomte en 2023

Une influence certaine 

« Je suis chanceuse, parce que je fais quelque chose qui est appréciée des gens, en général, et j’ai beaucoup de retours positifs, que je ne mérite même pas tant que ça, car ils reviennent aussi à mes collègues de l’émission », considère Marie-Maude.

Dans le monde du journalisme, Marie-Maude est respectée « à mort » parce qu’elle est « extrêmement déterminée », selon Isabelle Richer. « Cette fille a un capital d’amour tellement grand, car elle est hilarante. Vraiment, elle est très drôle. Tu veux tout le temps être proche de Marie Maude dans n’importe quel événement parce que tu sais que tu vas t’amuser », mentionne son amie. 

Isabelle croit qu’avec ses enquêtes, Marie-Maude inspire beaucoup les futurs journalistes qui souhaitent faire autre chose que de l’information quotidienne. « Elle fait la démonstration que du reportage d’enquête, ça se fait et ça a de l’influence. Et ça, c’est majeur. Tant qu’elle en fera avec autant de fougue et de plaisir, je pense qu’elle continuera d’inspirer des générations de journalistes », dit-elle. À chaque nouveau reportage, elle « sautille de bonheur », relate son amie Isabelle. « Elle va léguer le plaisir de faire de l’enquête et cette rigueur qu’elle a et cette force qu’elle démontre », soutient Isabelle.

Pour Marie-Maude, il est beaucoup trop tôt pour aborder la question d’héritage, puisqu’elle n’a que 44 ans. Elle espère que sa carrière se poursuivra encore de nombreuses années. « Je serais bien contente, quand je vais finir ma carrière, dans longtemps, que le public dise: “Ouais, cette fille-là, on pouvait la croire” », pense-t-elle. Chose certaine, elle se réjouit d’avoir obtenu une décision favorable de la Cour suprême. L’arrêt Denis contre Côté lui a non seulement été favorable, mais il l’est aussi pour le travail des journalistes du pays. Il réitère l’importance des sources confidentielles en journalisme d’enquête, et, par le fait même, l’importance du journalisme d’enquête pour le maintien d’une démocratie saine et juste.

La plus grande leçon de la jeune carrière de Marie-Maude est que le meilleur journalisme ne s’exerce pas entre les quatre murs d’un bureau. « Le journalisme, ce n’est pas la recherche pour la beauté de la recherche. C’est une recherche appliquée à un enjeu d’intérêt public qui touche des vraies personnes. »

L’animatrice d’Enquête multiplie les conseils pour réussir à se frayer un chemin dans le monde du journalisme. « Comment on se trouve un travail ? On prend n’importe quoi. On se présente. On est motivé, mais on est à sa place. On regarde. On se fait aimer des plus vieux. On est humble », soutient-elle. 

« Ceux qui m’ont le plus aidé dans ma vie, ce sont des journalistes qui étaient extrêmement compétents et humbles. Ils étaient amoureux du métier et voulaient transmettre [cet amour] », raconte la journaliste. « Repérer ces gens-là, ils vont vous faire faire des pas de géant », conseille Marie-Maude à l’endroit des aspirants journalistes.

Conclusion

À travers son parcours et ses enquêtes, Marie-Maude Denis constitue un excellent exemple de détermination. Elle démontre aux futures générations qu’avec beaucoup de persévérance et de rigueur, il est possible d’exercer le métier de journaliste et d’exceller. Bien que sa carrière continuera d’évoluer dans les prochaines décennies, elle léguera assurément un amour profond de l’enquête.

D’ailleurs, grâce à l’émission Enquête, Marie-Maude a su exposer la vérité en révélant des histoires et des faits cachés ou peu connus sur des sujets d’intérêt public. Son combat en cour est aussi une preuve de son dévouement pour son métier. Sa victoire restera gravée dans les mémoires. En outre, c’est une journaliste qui est extrêmement respectée, ses nombreux prix en témoignent. Marie-Maude est marquante dans l’histoire du Québec, également parce qu’elle a contribué avec son équipe à la création d’une des plus importantes commissions d’enquête de la province, soit la commission Charbonneau. 

Elle est partie de rien, elle a réussi à gravir les échelons et c’est maintenant une figure de proue du journalisme québécois. Elle est une source d’inspiration pour plusieurs femmes. Sa générosité, son franc-parler et sa transparence en font une personne remarquable. Elle n’a d’ailleurs pas hésité à jouer le rôle de mentore pour l’émission Les Stagiaires parce que donner au suivant fait partie de sa nature. Marie-Maude a su illustrer les débats et les préoccupations de son époque à travers ses différents reportages et elle continue de le faire aujourd’hui. 

Propagande et manipulation – Trois moments clés de l’histoire québécoise

27 mars 2025 - Par - Catégorie : International

Anne Cossette, Emmanuelle Hodoul et Julianne Mondoloni


Les démocraties reposent sur un débat d’idées, et l’être humain a toujours cherché à convaincre, orienter la pensée collective et mobiliser les masses. Des prêches religieux aux affiches de guerre, des discours politiques aux campagnes publicitaires modernes, une forme subtile, mais puissante de communication a traversé l’histoire : la propagande.

Bien que ce concept se prête à de multiples analyses, cette recherche propose d’explorer ce phénomène à travers trois moments charnières de la société québécoise : la Seconde Guerre mondiale, la crise d’Octobre et le référendum de 1995. Au-delà de ces études de cas historiques, l’analyse se penchera sur la propagande à l’ère numérique, où les technologies de communication transforment radicalement les stratégies de manipulation.

Avant de poursuivre, il convient de définir la propagande, afin de s’assurer d’une compréhension commune du terme. Convaincre, persuader, manipuler : autant de verbes qui traduisent l’art d’influencer autrui. Mais où se situe réellement la propagande dans cet éventail ? À l’origine, elle n’était qu’un écho porté au loin. Le terme, issu du latin propagare, signifiait simplement « propager ». D’abord réservée à l’Église, missionnée pour répandre la foi, la propagande s’est peu à peu transformée en un instrument politique, un levier pour rallier les foules à une cause, une idéologie ou un pouvoir. Jusqu’au XIXe siècle, la propagande n’était pas perçue comme une menace, mais comme une noble entreprise, un moyen de persuasion où prêches et discours façonnaient les esprits. Ce n’est qu’avec l’avènement des régimes totalitaires du XXe siècle qu’elle a pris une connotation suspecte, devenant synonyme de manipulation, d’embrigadement, et de distorsion de la réalité.

Pour certains, la propagande, la persuasion et la rhétorique se superposent, indissociables. Elles sont des formes de communication où le langage, les images et les symboles s’entrelacent pour guider la pensée. Cependant, la nuance est de taille : la persuasion, dans son essence, n’est ni bonne ni mauvaise. Elle informe, argumente, éclaire. La propagande, elle, évolue dans un clair-obscur où la vérité se fait parfois oublier sous le poids du message.

Ainsi, la notion de propagande a évolué au fil de l’histoire et fait l’objet de nombreux débats. Étant donné sa complexité, ce travail s’appuiera sur la définition du dictionnaire Le Robert, qui la décrit comme suit : « Action exercée sur l’opinion pour l’amener à avoir et à appuyer certaines idées (surtout politiques). » Dans cette perspective, la propagande se caractérise souvent par la simplification et la répétition des messages, l’usage d’émotions fortes, le recours à des symboles et à des images marquantes, ainsi que par un appel à la conformité sociale ou à l’adhésion à une autorité.

La Seconde Guerre mondiale

Les bases de la propagande de guerre 

Afin de bien comprendre le développement de la propagande dans les médias lors de la Seconde Guerre mondiale, une compréhension de la situation en 14-18 s’impose. En effet, lorsque le Canada entre en guerre en 1914 aux côtés du Royaume-Uni, un système de propagande de guerre et de censure se met directement en place. La Loi sur les mesures de guerre est adoptée dès le 22 août, ce qui donne le plein pouvoir au gouvernement en ce qui a trait à la censure, au contrôle et à la suppression de l’information. Toutes les informations portant sur les Forces armées britanniques et alliées sont contrôlées et les médias ont l’interdiction de publier de l’information pouvant être utile aux ennemis. 

Au début, ces mesures sont consultatives et reposent sur la collaboration de la presse, cependant, la nécessité d’un système plus sévère se fait rapidement sentir et le Bureau de censure de la presse légifère sur une entente qui définit plus clairement les sujets censurables. Les journalistes font également leur part et « cette fonction de censeur se double dès le déclenchement des hostilités de celle de propagandiste. » (Coutard, 2000) Ils deviennent donc de véritables propagandistes et, « bombardant intensivement leurs lecteurs de messages patriotiques, ils ont largement contribué à la création de la culture de guerre. » (Coutard, 2000)

  Le Canada véhicule également sa propagande par les affiches de guerre, la radio et la publicité commerciale. Les affiches permettent de stimuler le recrutement militaire, de mobiliser les citoyens et de susciter des réactions émotionnelles face au conflit. Au début de la guerre, elles sont créées avec un souci de susciter un sentiment d’appartenance et sont donc personnalisées selon l’origine – il y en a pour les Canadiens français, les Canadiens anglais, les Irlandais respectivement – mais elles s’uniformisent avec le temps, faisant appel à un sentiment d’unité nationale. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, le soldat devient, grâce au travail de propagande des autorités, un héros défendant une guerre juste, une image qui restera bien présente pendant la Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale 

Lorsque la Seconde Guerre mondiale se déclenche en 1939, il est donc naturel pour les autorités de commencer à contrôler l’information et d’organiser rapidement la diffusion de celle-ci. Il fallait tout d’abord expliquer à la population pourquoi le Canada s’était engagé dans la guerre, et, en second lieu, rallier l’opinion publique à l’effort de guerre canadien, explique Aimé-Jules Bizimana, professeur de sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et chercheur au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS). Des institutions gouvernementales sont donc mises en place pour propager un message positif face au conflit, un message qui pousserait le peuple à participer à l’effort de guerre, convaincu de la légitimité de l’implication canadienne.

Il y avait deux types de censure en place, la censure volontaire et la censure obligatoire, développe M. Bizimana. D’un côté, le Bureau de la censure donnait des directives aux médias sur ce qui pouvait être dit ou pas dans leurs publications, c’est la censure volontaire. D’un autre côté, il y a la censure obligatoire, qui, elle, touche les correspondants de guerre. Tous les journalistes envoyés en Europe pour couvrir la guerre devaient se faire accréditer par le ministère de la Défense et, une fois leur article écrit, celui-ci devait être approuvé par l’armée avant d’être publié. Ce système fait en sorte que le gouvernement avait un droit de regard sur toute l’information qui arrivait aux oreilles des Canadiens, ce qui se rapproche évidemment de la mission du Bureau de la propagande, selon M. Bizimana. De nombreux correspondants canadiens-français sont envoyés, dès 1942, à Londres et sur le front, dont le jeune René Lévesque, qui couvre le débarquement de Normandie, et la libération de Paris pour la Société Radio-Canada. 

La propagande de l’ONF

La propagande du gouvernement passe notamment par le cinéma, principalement par les films produits par l’Office national du film (ONF). Son premier directeur s’appelle John Grierson et, au moment de sa création en 1939, il est également directeur général de la Commission d’information en temps de guerre. Il est donc haut placé dans le gouvernement et revendique ouvertement faire la promotion du Canada au pays et à l’étranger par le biais du cinéma. L’objectif principal est de servir l’intérêt du pays : « Comme dans tout travail de propagande, il s’agissait de présenter une image du soldat-héros auquel la population était susceptible de s’identifier afin de stimuler son soutien à l’effort de guerre, que ce soit en s’enrôlant ou encore en soutenant les troupes. » (Lacoursière, 2012) Une des techniques principales de propagande utilisée dans les films de l’ONF est l’utilisation d’extraits volés de films de propagande nazie, qui, une fois montés et agrémentés d’une narration, permettaient de servir les intérêts des Alliés et de faire passer le message choisi. On peut notamment penser à Front d’acier de John McDougall, le premier film du genre à sortir en 1940

Le Québec n’a reçu aucun traitement différentiel de la part de l’ONF. Pendant les deux premières années de la guerre, aucun film ne porte spécifiquement sur les soldats canadiens-français et les films sont presque tous produits en anglais. Ce n’est qu’après le plébiscite de 1942 sur la conscription au Québec que Grierson embauche un réalisateur francophone, Vincent Paquette. Le gouvernement fédéral s’inquiète du rejet en masse de la conscription au Québec et force la main à la Société Radio-Canada pour qu’elle encourage son auditoire à soutenir l’effort de guerre et à préserver l’unité nationale. Il en va de même pour l’ONF et la présence à l’écran accrue des Canadiens français atteste d’une volonté de les mobiliser pour la cause, explique Sylvain Lacoursière dans un article de Bulletin d’histoire politique.

Le raid de Dieppe est probablement l’événement le plus marquant de la propagande de la Seconde Guerre mondiale. En parlant de cet événement, M. Bizimana explique que « la propagande, évidemment, vise à convaincre les gens avec des images positives, […] et qu’il y a une certaine manipulation, parce qu’on ne va pas montrer le côté négatif de la guerre. » L’opération de Dieppe a été instrumentalisée par les autorités, malgré son bilan sinistre pour le Canada, qui y a perdu beaucoup de soldats. Dollard Ménard, le seul capitaine francophone qui y a survécu, a énormément été mis en avant afin de promouvoir l’idée du soldat héroïque, ce qui aide l’armée à recruter des jeunes hommes pour aller au front. C’est un exemple caractéristique de la sorte de propagande qui circule dans les médias durant la Seconde Guerre mondiale : une propagande qui, sans nécessairement mentir, ne met que l’emphase sur le côté positif et héroïque de la guerre afin de rallier l’opinion publique. 

La crise d’Octobre

La crise d’Octobre survient dans un climat d’insatisfaction au sein de la population québécoise. Le Front de libération du Québec (FLQ), un mouvement indépendantiste radical, décide en octobre 1970 d’enlever James Cross, diplomate britannique, ainsi que d’enlever et de tuer Pierre Laporte, ministre québécois du Travail. 

À la suite de ces événements, le gouvernement fédéral de Pierre-Elliott Trudeau perd totalement le contrôle de la situation et va directement essayer de contrôler l’information. Une sorte de gouvernement parallèle se met donc en branle, explique Guy Lachapelle, professeur de sciences politiques à l’Université Concordia et directeur du Centre d’études sur les valeurs, attitudes et sociétés (CEVAS). Selon M. Lachapelle, cette instance essaie alors de trouver une raison d’envoyer l’armée à Québec et tout semble tourner autour de la Loi sur les mesures de guerre. L’information reste donc incontrôlée jusqu’à son imposition, qui crée un véritable précédent dans l’histoire canadienne : c’est la première fois que cette loi est utilisée en temps de paix. 

Malgré des oppositions à Ottawa, le contrôle des médias par le gouvernement fédéral est légitimé à partir du moment où la Loi sur les mesures de guerre est mise en place. Les médias québécois se retrouvent donc assujettis aux volontés du gouvernement et relaient l’information qu’il veut bien laisser passer. Au Devoir, Claude Ryan proteste contre la loi, plaidant que d’autres solutions auraient dû être mises en place. « Le principe que Le Devoir défendait, c’est que c’était une crise québécoise, ce n’était pas une crise canadienne », ajoute M. Lachapelle. Pour Ryan et ses journalistes, le gouvernement du Québec aurait dû garder le contrôle de la crise, qui a été une véritable attaque visée envers le mouvement souverainiste, une « dérive du gouvernement fédéral par rapport à la démocratie québécoise », affirme M. Lachapelle. 

La manipulation de l’information

Les médias sont les témoins de la crise, mais aussi des acteurs principaux de celle-ci, puisqu’ils font le relais entre le gouvernement et le FLQ. L’idée que l’information dans les médias est manipulée est reprise par tous les acteurs de la crise : « Hommes politiques, journalistes, leaders d’opinion, chacun insistait pour démontrer que l’information qui circulait n’était pas le reflet de la réalité, mais plutôt la propagande de leurs adversaires. » (Dagenais, 1993

La crise s’est principalement jouée à la radio. Les communiqués étaient envoyés à CKAC, qui les publiaient rapidement. Étant donné le caractère instantané de la situation, la radio avait plus de flexibilité que les journaux écrits pour couvrir facilement le déroulement des événements. M. Lachapelle préfère être prudent avant d’utiliser le terme propagande : « Pour la crise d’Octobre, j’utiliserais plus [le] contrôle des médias. […] Aujourd’hui, on dirait [que c’était] de la désinformation du gouvernement fédéral par rapport à ce qu’il se passait. » Cependant, il ajoute que le gouvernement Trudeau s’est efforcé de dramatiser le caractère organisé de la crise, notamment en amplifiant le nombre de terroristes du FLQ, ce qui pourrait être perçu comme une tentative de propagande. Cependant, les tentatives de contrôle de l’opinion publique ne fonctionnent pas toujours. En effet, le gouvernement Trudeau accepte que Radio-Canada diffuse le manifeste du FLQ à la télévision le 8 octobre, pensant que le caractère radical du mouvement braquerait la population contre leurs revendications. Tout en condamnant les moyens utilisés, la population a, au contraire, compris que les actions du FLQ étaient motivées par la situation économique et la crise profonde que traversait le Québec. Il va donc sans dire que les journalistes ont subi beaucoup de pression de la part du gouvernement qui voulait exercer un contrôle serré sur l’information qui parvenait à la population. Ils ont vécu de la censure et certains d’entre eux se sont même fait arrêter par les forces de l’ordre en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Cependant, l’utilisation de la propagande à proprement parler reste discutable.

Lecture du manifeste du FLQ – Société Radio-Canada

Répression des journalistes

La Loi sur les mesures de guerre permet aussi aux forces de l’ordre une plus grande latitude. Les journalistes sont d’ailleurs poussés à une autocensure extrême et « le ministre de la Justice du Québec, Jérôme Choquette, menace alors directement les journalistes de poursuites judiciaires s’ils vont trop loin, sans jamais définir ce que veut dire aller trop loin. » (Dagenais, 1993) Dans ce climat tendu, les perquisitions chez les journalistes se multiplient, des arrestations sans preuve s’en suivent, certains sont même détenus, puisque la loi permet de suspendre la liberté d’expression et la liberté de presse.

La crise d’Octobre a mis en lumière le pouvoir des médias, qui reflètent les luttes que traverse la société québécoise en 1970. Les différents acteurs du conflit ont voulu exercer un certain contrôle sur les messages véhiculés par ceux-ci et les journalistes se sont évidemment exposés à beaucoup de critiques de la part des deux camps. Louis-Philippe Lacroix, à l’époque député des Îles-de-la-Madeleine pour le Parti libéral du Québec, accuse d’ailleurs les journalistes d’être responsables de la mort de Pierre Laporte, avant de les accuser de collaborer avec le FLQ. Il est donc évident que le pouvoir exercé par les médias dérange « car, dès qu’ils ne sont pas dociles à l’un ou l’autre pouvoir qui s’exerce, dès qu’ils n’empruntent pas un comportement souhaité par l’une des parties, ils deviennent par le fait même des ennemis. » (Dagenais, 1993)

La propagande lors du référendum de 1995

Le contexte sociohistorique de la société québécoise dans les années 1980 mène la population à se questionner sur le statut politique du Québec. À la suite de l’échec du premier référendum québécois de 1980, et du rapatriement de la constitution en 1982 sans l’accord du Québec, le mécontentement des Québécois est grandissant. Cependant, à l’arrivée du Parti progressiste-conservateur en 1984, les négociations constitutionnelles sont relancées. Les nombreux échecs de négociation ne font qu’augmenter l’insatisfaction des Québécois et la question entourant la souveraineté du Québec devient au centre de la place publique. En 1994, Jacques Parizeau, le chef du Parti Québécois, est élu comme premier ministre du Québec. C’est en 1995 que la nouvelle campagne référendaire débute. 

« Le camp du oui a eu une campagne publicitaire extraordinaire, ce qui a surpris tout le monde. » – Guy Lachapelle, professeur de sciences politiques à Concordia.  La campagne du Non a, quant à elle, fait une campagne de la peur, en soulignant les conséquences négatives que l’indépendance aurait pour le Québec. En effet, l’une des stratégies employées par le fédéral fut de miser sur les répercussions économiques négatives qu’entraînerait la séparation du Québec du Canada. Ils ont également rallié leurs électeurs en promettant aux Québécois que le gouvernement canadien reconnaîtrait le Québec comme une société distincte, reprenant ainsi les promesses émises lors du référendum de 1982, mais « la campagne du Non n’a pas été une campagne très convaincante », selon M. Lachapelle. Pour plusieurs, cette solution semblait être bien plus simple, un aspect sur lequel le gouvernement fédéral avait misé.  Les résultats des sondages démontrent toutefois une campagne électorale fructueuse de la part du Parti Québécois, qui continuait de gagner des partisans depuis leur entrée au pouvoir en 1994, alors que Jean Chrétien croyait qu’ils allaient « haut la main » au début de la campagne. « Quand monsieur Bouchard est arrivé, la campagne a changé complètement . . . il est devenu comme un sauveur et il a fait un travail exceptionnel », affirme le professeur de sciences politiques. Grâce au nouveau chef de file, les souverainistes prennent  de l’avance et à la veille du référendum, le gouvernement fédéral met tout en œuvre afin d’essayer de convaincre la population québécoise de rester au sein du Canada. 

Les dépenses illégales de la campagne du Non

Au Québec, les dépenses liées aux campagnes électorales sont régies par la Loi électorale afin d’assurer une certaine équité entre les partis. Le Parti québécois a respecté cette loi, puisqu’il s’agit d’une loi québécoise, alors que le gouvernement fédéral a décidé d’en faire abstraction. « Ils n’ont pas respecté la loi référendaire, ils ont dépensé à outrance », explique M. Lachapelle. La manifestation love-in est organisée à la hâte en une semaine. Air Canada et Canadian Airlines ont accordé des billets à rabais de 90%, relate Le Devoir. « Les autobus qui sont venus au grand rallie ont été payés par Radio-Canada anglais . . . Tout le monde faisait ce qu’il voulait à Ottawa sans respecter la loi », raconte Guy Lachapelle, qui travaillait à Vancouver avec les gens de Radio-Canada à l’époque. Le juge Grenier, nommé par le directeur général des élections du Québec en 2006, a enquêté sur le financement illégal de la campagne du Non. Option Canada, un groupe de lobbyistes qui a été établi quelques semaines avant le jour du vote du référendum, aurait dépensé environ 500 000$ seulement dans le mois précédant le référendum sans compter le love-in, selon le rapport émis par le juge Grenier. Cela représenterait seulement une partie des dépenses illégales effectuées par le camp du Non.  Encore à ce jour, des informations restent non dévoilées au grand public et la question du financement de cette campagne reste nébuleuse. 

Love-in à Montréal – Société Radio-Canada

Techniques de propagande

« La propagande n’est pas que la propagation de fausse information, elle se mesure également en quantité », a déclaré M. Lachapelle, professeur de sciences politiques à Concordia, en entrevue. Dans le cas du référendum de 1995, la volonté du gouvernement fédéral n’était pas de propager de fausses informations, mais bien de changer l’opinion publique à l’aide d’une quantité énorme de publicité afin de promouvoir leur idéologie. M. Lachapelle estime sans aucun doute « qu’il y a eu des débordements du côté de la campagne du Non. » La propagande ne s’est pas manifestée uniquement par un financement de campagne électorale excessif et illégal. « En 1995, quatre hommes ont entre leurs mains l’immense majorité de l’espace médiatique canadien. Des quatre, trois sont farouchement fédéralistes et deux d’entre eux entretiennent des liens très étroits avec le Parti libéral. » Bien évidemment, les lignes éditoriales en sont affectées et, même si Pierre Péladeau avait fait campagne en faveur de la souveraineté lors du premier référendum, son absence et son silence se feront sentir lors du deuxième référendum. La couverture journalistique a manqué d’équité, et le patriotisme canadien partagé par certains journalistes relève d’une propagande pure et dure.

Le rapport du juge Grenier n’a pu conclure qui avait financé le rassemblement de la dernière chance qui avait eu lieu à Montréal, le 27 octobre 1995. La commission a recueilli de nombreux témoignages et 4500 documents restent encore à l’heure actuelle sous une ordonnance de non-publication. Le Parti Québécois et la Coalition Avenir Québec ont déposé des motions pour rendre publics ces documents, qui, malgré l’appui des élus de l’Assemblée nationale, ne semblent pas exercer une pression assez grande pour Jean-François Blanchet, le directeur général des élections. Le Parti Québécois a proposé un projet de loi, porté par M. Bérubé, qui obligerait le directeur à se soumettre à leur requête. S’agissait-il d’une propagande structurée et organisée? Le gouvernement a orchestré, sans aucun doute,  une campagne de propagande, mais l’ampleur de l’événement ne pourra être révélée que lorsque la population aura accès à ces documents. 

Entre persuasion et distorsion – la propagande à l’ère du numérique

La propagande évoque pour beaucoup les affiches militaires aux couleurs vives et aux slogans martelés d’un temps passé. Et si les vagues de désinformation qui inondent nos réseaux sociaux aujourd’hui n’étaient que le visage contemporain de cette même propagande, adaptée aux codes de la modernité numérique ? En effet, les fausses nouvelles, sous leur apparente spontanéité, s’inscrivent dans une longue tradition d’instrumentalisation de l’information. Dissimulées derrière le voile de la viralité, elles constituent le moteur de campagnes orchestrées au service d’intérêts politiques, économiques et idéologiques. L’histoire en offre de nombreux exemples. Durant la Première Guerre mondiale, des récits d’atrocités furent délibérément fabriqués pour diaboliser l’ennemi et mobiliser l’opinion publique. Ces narrations fabriquées, relayées par les médias de l’époque, étaient aux sociétés du début du XXe siècle ce que nos fake news sont à l’ère des réseaux sociaux : une propagande réinventée. 

 Si la désinformation, qui inclut les fausses nouvelles, constitue une forme de propagande, la propagande n’est pas pour autant systématiquement synonyme de désinformation. Contrairement à la désinformation, qui repose sur une intention délibérée de tromper, la propagande politique poursuit des objectifs généralement déclarés. Comme l’explique André Mondoux, professeur à l’école des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), « c’est l’intentionnalité qui compte ». Là où la désinformation cherche à induire en erreur, la propagande politique tend à convaincre et à susciter l’adhésion à une vision, un projet ou une communauté. Elle utilise des mécanismes de communication qui visent à orienter la perception collective, sans nécessairement recourir à la manipulation malveillante

Loin d’être un monolithe exclusivement négatif, la propagande trouve une légitimation théorique dans les travaux de Walter Lippmann, qualifié comme l’un des premiers penseurs du néolibéralisme par l’intellectuel américain Noam Chomsky. Selon Lippmann, dans une société de masse où les citoyens ne peuvent pas participer directement à toutes les décisions politiques, la propagande devient un instrument de coordination sociale et de gestion du consentement. Elle « fabrique » l’assentiment collectif afin de maintenir une stabilité sociale et politique. Cette vision a cependant fait l’objet de critiques substantielles, notamment par Noam Chomsky et Edward Herman dans leur ouvrage Manufacturing Consent. Les auteurs dénoncent la manière dont les médias créent un consensus qui profite aux élites économiques et politiques. Dans cette perspective, la propagande ne constitue pas un élément nécessaire de la démocratie, comme le suggère Lippmann, mais représente plutôt un obstacle à une véritable démocratie participative.

Malgré ces critiques, l’approche de Walter Lippmann conserve une certaine résonance dans nos pratiques sociopolitiques contemporaines. Cette perspective s’avère d’autant plus pertinente à l’ère de la post-vérité qui caractérise notre siècle; car la propagande peut paradoxalement représenter un ciment social, un langage commun permettant aux citoyens de se situer dans l’espace public. Les campagnes de santé publique en constituent un bon exemple : elles illustrent comment la propagande peut transcender sa dimension manipulatrice pour devenir un outil de coordination sociale. « Il y a de la propagande gouvernementale et on l’a vu en pandémie », observe M. Mondoux.

Toutefois, rappelle André Mondoux, « il nous manque du commun aujourd’hui ». Autrefois, des références partagées structuraient l’espace médiatique : un socle de faits reconnus, des institutions légitimes et un cadre qui permettait de distinguer l’information de la propagande. Désormais, chacun façonne sa propre réalité médiatique, ce qui fragilise la cohésion sociale et accentue la polarisation des débats publics. Ce phénomène s’explique notamment par deux tendances. La première est un individualisme accentué par les algorithmes. Les réseaux sociaux et les moteurs de recherche nous exposent à des contenus sur mesure, calibrés en fonction de nos préférences et de notre historique de navigation. Cela génère des bulles de filtre où chacun reçoit une version différente de la réalité, réduisant ainsi les références communes et encourageant une vision du monde particulièrement individualisée. La seconde tendance est la désinstitutionnalisation de l’information. Autrefois, l’information circulait principalement à travers des institutions reconnues – journaux, télévisions, radios publiques – dont la légitimité éditoriale garantissait une certaine uniformité du discours. Aujourd’hui, l’information s’est démocratisée, s’échappant des canaux traditionnels pour investir un espace public pluriel, où citoyens, influenceurs, groupes militants et médias alternatifs deviennent à la fois producteurs et passeurs de nouvelles. Dans ce contexte mouvant, « il est difficile de distinguer une nouvelle journalistique, d’une opinion personnelle, d’une fausse nouvelle, d’une publicité ou d’une propagande », conclut André Mondoux.

 La crise du COVID-19 et la propagande – une pandémie d’influences

La crise du COVID-19 a marqué le début d’un « âge d’or » de la guerre de l’information. La propagande a pris diverses formes, émanant des gouvernements comme de leurs opposants. Le contexte pandémique a favorisé la diffusion de récits divergents et des acteurs variés – entités étatiques, groupes conspirationnistes, médias et influenceurs – ont cherché à orienter la perception collective.

Face à une menace sanitaire inédite, les autorités ont dû transformer les comportements sociaux. Les mesures de distanciation et de confinement ont exigé une stratégie de communication persuasive. L’objectif était d’obtenir l’adhésion populaire aux recommandations sanitaires. Cette situation a mis en lumière les mécanismes subtils de la propagande contemporaine. Au Québec, par exemple, la campagne « #Propage l’info, pas le virus » a mobilisé des influenceurs populaires auprès des jeunes, contournant ainsi les voies de communication conventionnelles. Les conférences de presse quotidiennes et les initiatives comme « Vérifiez… avant de partager » témoignaient d’une volonté d’engager activement la population dans la lutte contre la désinformation.

L’objectif des communications gouvernementales avait clairement pour but de susciter l’approbation pour les mesures sanitaires. Bien qu’orientant les comportements – caractéristique intrinsèque de la propagande – ces messages poursuivaient un objectif de santé publique légitime. L’influence exercée par des personnalités reconnues, comme les hommes politiques, les spécialistes en santé publique ou même les leaders d’opinion, relève d’une méthode traditionnelle de manipulation, exacerbée dans un climat d’insécurité et d’appréhension.

En parallèle, des mouvements dissidents ont mis au point leur propre arsenal de propagande. Dès les premiers mois de la pandémie, des récits conspirationnistes ont proliféré, proposant des explications alternatives à la version officielle : pandémie préméditée contre Donald Trump, arme biologique chinoise, implications fantasmées de Bill Gates ou de George Soros. Toutes ces narrations visaient sciemment à semer la défiance envers les institutions. Les réseaux sociaux ont grandement contribué à la propagation de ces histoires. En tirant parti de l’insécurité sociale et des lacunes initiales des connaissances scientifiques, ces plateformes ont permis une propagation rapide des informations. 

  Somme toute, la crise sanitaire mondiale du COVID-19 a mis en évidence la sophistication des mécanismes actuels de manipulation de l’opinion. Un paysage médiatique caractérisé par une lutte entre des récits rivaux, dans lequel la vérité est transformée en outil de puissance et de perception sociale. Entre l’instrumentalisation et la nécessité collective, la propagande est un concept complexe, qui reflète les tensions inhérentes à nos démocraties modernes.

Conclusion

En conclusion, l’analyse de la couverture médiatique de trois événements historiques marquants du Québec, soit la Seconde Guerre mondiale, la crise d’Octobre et le référendum de 1995, montre qu’il y a eu une propagande organisée et structurée de la part des gouvernements canadien et québécois. Cette propagande, qui se manifeste par divers moyens, ne se limite pas à la diffusion de mensonges. Elle consiste plutôt à manipuler les informations divulguées pour favoriser un programme politique, soulignant ainsi l’importance d’une presse libre et indépendante. En effet, ces médias sont essentiels au bon fonctionnement de notre système démocratique, puisqu’ils occupent une place centrale dans l’espace public. 

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