27 mars 2025 - Par Cossette, Anne - Catégorie : International
Anne Cossette, Emmanuelle Hodoul et Julianne Mondoloni
Les démocraties reposent sur un débat d’idées, et l’être humain a toujours cherché à convaincre, orienter la pensée collective et mobiliser les masses. Des prêches religieux aux affiches de guerre, des discours politiques aux campagnes publicitaires modernes, une forme subtile, mais puissante de communication a traversé l’histoire : la propagande.
Bien que ce concept se prête à de multiples analyses, cette recherche propose d’explorer ce phénomène à travers trois moments charnières de la société québécoise : la Seconde Guerre mondiale, la crise d’Octobre et le référendum de 1995. Au-delà de ces études de cas historiques, l’analyse se penchera sur la propagande à l’ère numérique, où les technologies de communication transforment radicalement les stratégies de manipulation.
Avant de poursuivre, il convient de définir la propagande, afin de s’assurer d’une compréhension commune du terme. Convaincre, persuader, manipuler : autant de verbes qui traduisent l’art d’influencer autrui. Mais où se situe réellement la propagande dans cet éventail ? À l’origine, elle n’était qu’un écho porté au loin. Le terme, issu du latin propagare, signifiait simplement « propager ». D’abord réservée à l’Église, missionnée pour répandre la foi, la propagande s’est peu à peu transformée en un instrument politique, un levier pour rallier les foules à une cause, une idéologie ou un pouvoir. Jusqu’au XIXe siècle, la propagande n’était pas perçue comme une menace, mais comme une noble entreprise, un moyen de persuasion où prêches et discours façonnaient les esprits. Ce n’est qu’avec l’avènement des régimes totalitaires du XXe siècle qu’elle a pris une connotation suspecte, devenant synonyme de manipulation, d’embrigadement, et de distorsion de la réalité.
Pour certains, la propagande, la persuasion et la rhétorique se superposent, indissociables. Elles sont des formes de communication où le langage, les images et les symboles s’entrelacent pour guider la pensée. Cependant, la nuance est de taille : la persuasion, dans son essence, n’est ni bonne ni mauvaise. Elle informe, argumente, éclaire. La propagande, elle, évolue dans un clair-obscur où la vérité se fait parfois oublier sous le poids du message.
Ainsi, la notion de propagande a évolué au fil de l’histoire et fait l’objet de nombreux débats. Étant donné sa complexité, ce travail s’appuiera sur la définition du dictionnaire Le Robert, qui la décrit comme suit : « Action exercée sur l’opinion pour l’amener à avoir et à appuyer certaines idées (surtout politiques). » Dans cette perspective, la propagande se caractérise souvent par la simplification et la répétition des messages, l’usage d’émotions fortes, le recours à des symboles et à des images marquantes, ainsi que par un appel à la conformité sociale ou à l’adhésion à une autorité.
La Seconde Guerre mondiale
Les bases de la propagande de guerre
Afin de bien comprendre le développement de la propagande dans les médias lors de la Seconde Guerre mondiale, une compréhension de la situation en 14-18 s’impose. En effet, lorsque le Canada entre en guerre en 1914 aux côtés du Royaume-Uni, un système de propagande de guerre et de censure se met directement en place. La Loi sur les mesures de guerre est adoptée dès le 22 août, ce qui donne le plein pouvoir au gouvernement en ce qui a trait à la censure, au contrôle et à la suppression de l’information. Toutes les informations portant sur les Forces armées britanniques et alliées sont contrôlées et les médias ont l’interdiction de publier de l’information pouvant être utile aux ennemis.
Au début, ces mesures sont consultatives et reposent sur la collaboration de la presse, cependant, la nécessité d’un système plus sévère se fait rapidement sentir et le Bureau de censure de la presse légifère sur une entente qui définit plus clairement les sujets censurables. Les journalistes font également leur part et « cette fonction de censeur se double dès le déclenchement des hostilités de celle de propagandiste. » (Coutard, 2000) Ils deviennent donc de véritables propagandistes et, « bombardant intensivement leurs lecteurs de messages patriotiques, ils ont largement contribué à la création de la culture de guerre. » (Coutard, 2000)
Le Canada véhicule également sa propagande par les affiches de guerre, la radio et la publicité commerciale. Les affiches permettent de stimuler le recrutement militaire, de mobiliser les citoyens et de susciter des réactions émotionnelles face au conflit. Au début de la guerre, elles sont créées avec un souci de susciter un sentiment d’appartenance et sont donc personnalisées selon l’origine – il y en a pour les Canadiens français, les Canadiens anglais, les Irlandais respectivement – mais elles s’uniformisent avec le temps, faisant appel à un sentiment d’unité nationale. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, le soldat devient, grâce au travail de propagande des autorités, un héros défendant une guerre juste, une image qui restera bien présente pendant la Seconde Guerre mondiale.
La Seconde Guerre mondiale
Lorsque la Seconde Guerre mondiale se déclenche en 1939, il est donc naturel pour les autorités de commencer à contrôler l’information et d’organiser rapidement la diffusion de celle-ci. Il fallait tout d’abord expliquer à la population pourquoi le Canada s’était engagé dans la guerre, et, en second lieu, rallier l’opinion publique à l’effort de guerre canadien, explique Aimé-Jules Bizimana, professeur de sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et chercheur au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS). Des institutions gouvernementales sont donc mises en place pour propager un message positif face au conflit, un message qui pousserait le peuple à participer à l’effort de guerre, convaincu de la légitimité de l’implication canadienne.
Il y avait deux types de censure en place, la censure volontaire et la censure obligatoire, développe M. Bizimana. D’un côté, le Bureau de la censure donnait des directives aux médias sur ce qui pouvait être dit ou pas dans leurs publications, c’est la censure volontaire. D’un autre côté, il y a la censure obligatoire, qui, elle, touche les correspondants de guerre. Tous les journalistes envoyés en Europe pour couvrir la guerre devaient se faire accréditer par le ministère de la Défense et, une fois leur article écrit, celui-ci devait être approuvé par l’armée avant d’être publié. Ce système fait en sorte que le gouvernement avait un droit de regard sur toute l’information qui arrivait aux oreilles des Canadiens, ce qui se rapproche évidemment de la mission du Bureau de la propagande, selon M. Bizimana. De nombreux correspondants canadiens-français sont envoyés, dès 1942, à Londres et sur le front, dont le jeune René Lévesque, qui couvre le débarquement de Normandie, et la libération de Paris pour la Société Radio-Canada.
La propagande de l’ONF
La propagande du gouvernement passe notamment par le cinéma, principalement par les films produits par l’Office national du film (ONF). Son premier directeur s’appelle John Grierson et, au moment de sa création en 1939, il est également directeur général de la Commission d’information en temps de guerre. Il est donc haut placé dans le gouvernement et revendique ouvertement faire la promotion du Canada au pays et à l’étranger par le biais du cinéma. L’objectif principal est de servir l’intérêt du pays : « Comme dans tout travail de propagande, il s’agissait de présenter une image du soldat-héros auquel la population était susceptible de s’identifier afin de stimuler son soutien à l’effort de guerre, que ce soit en s’enrôlant ou encore en soutenant les troupes. » (Lacoursière, 2012) Une des techniques principales de propagande utilisée dans les films de l’ONF est l’utilisation d’extraits volés de films de propagande nazie, qui, une fois montés et agrémentés d’une narration, permettaient de servir les intérêts des Alliés et de faire passer le message choisi. On peut notamment penser à Front d’acier de John McDougall, le premier film du genre à sortir en 1940.
Le Québec n’a reçu aucun traitement différentiel de la part de l’ONF. Pendant les deux premières années de la guerre, aucun film ne porte spécifiquement sur les soldats canadiens-français et les films sont presque tous produits en anglais. Ce n’est qu’après le plébiscite de 1942 sur la conscription au Québec que Grierson embauche un réalisateur francophone, Vincent Paquette. Le gouvernement fédéral s’inquiète du rejet en masse de la conscription au Québec et force la main à la Société Radio-Canada pour qu’elle encourage son auditoire à soutenir l’effort de guerre et à préserver l’unité nationale. Il en va de même pour l’ONF et la présence à l’écran accrue des Canadiens français atteste d’une volonté de les mobiliser pour la cause, explique Sylvain Lacoursière dans un article de Bulletin d’histoire politique.
Le raid de Dieppe est probablement l’événement le plus marquant de la propagande de la Seconde Guerre mondiale. En parlant de cet événement, M. Bizimana explique que « la propagande, évidemment, vise à convaincre les gens avec des images positives, […] et qu’il y a une certaine manipulation, parce qu’on ne va pas montrer le côté négatif de la guerre. » L’opération de Dieppe a été instrumentalisée par les autorités, malgré son bilan sinistre pour le Canada, qui y a perdu beaucoup de soldats. Dollard Ménard, le seul capitaine francophone qui y a survécu, a énormément été mis en avant afin de promouvoir l’idée du soldat héroïque, ce qui aide l’armée à recruter des jeunes hommes pour aller au front. C’est un exemple caractéristique de la sorte de propagande qui circule dans les médias durant la Seconde Guerre mondiale : une propagande qui, sans nécessairement mentir, ne met que l’emphase sur le côté positif et héroïque de la guerre afin de rallier l’opinion publique.
La crise d’Octobre
La crise d’Octobre survient dans un climat d’insatisfaction au sein de la population québécoise. Le Front de libération du Québec (FLQ), un mouvement indépendantiste radical, décide en octobre 1970 d’enlever James Cross, diplomate britannique, ainsi que d’enlever et de tuer Pierre Laporte, ministre québécois du Travail.
À la suite de ces événements, le gouvernement fédéral de Pierre-Elliott Trudeau perd totalement le contrôle de la situation et va directement essayer de contrôler l’information. Une sorte de gouvernement parallèle se met donc en branle, explique Guy Lachapelle, professeur de sciences politiques à l’Université Concordia et directeur du Centre d’études sur les valeurs, attitudes et sociétés (CEVAS). Selon M. Lachapelle, cette instance essaie alors de trouver une raison d’envoyer l’armée à Québec et tout semble tourner autour de la Loi sur les mesures de guerre. L’information reste donc incontrôlée jusqu’à son imposition, qui crée un véritable précédent dans l’histoire canadienne : c’est la première fois que cette loi est utilisée en temps de paix.
Malgré des oppositions à Ottawa, le contrôle des médias par le gouvernement fédéral est légitimé à partir du moment où la Loi sur les mesures de guerre est mise en place. Les médias québécois se retrouvent donc assujettis aux volontés du gouvernement et relaient l’information qu’il veut bien laisser passer. Au Devoir, Claude Ryan proteste contre la loi, plaidant que d’autres solutions auraient dû être mises en place. « Le principe que Le Devoir défendait, c’est que c’était une crise québécoise, ce n’était pas une crise canadienne », ajoute M. Lachapelle. Pour Ryan et ses journalistes, le gouvernement du Québec aurait dû garder le contrôle de la crise, qui a été une véritable attaque visée envers le mouvement souverainiste, une « dérive du gouvernement fédéral par rapport à la démocratie québécoise », affirme M. Lachapelle.
La manipulation de l’information
Les médias sont les témoins de la crise, mais aussi des acteurs principaux de celle-ci, puisqu’ils font le relais entre le gouvernement et le FLQ. L’idée que l’information dans les médias est manipulée est reprise par tous les acteurs de la crise : « Hommes politiques, journalistes, leaders d’opinion, chacun insistait pour démontrer que l’information qui circulait n’était pas le reflet de la réalité, mais plutôt la propagande de leurs adversaires. » (Dagenais, 1993)
La crise s’est principalement jouée à la radio. Les communiqués étaient envoyés à CKAC, qui les publiaient rapidement. Étant donné le caractère instantané de la situation, la radio avait plus de flexibilité que les journaux écrits pour couvrir facilement le déroulement des événements. M. Lachapelle préfère être prudent avant d’utiliser le terme propagande : « Pour la crise d’Octobre, j’utiliserais plus [le] contrôle des médias. […] Aujourd’hui, on dirait [que c’était] de la désinformation du gouvernement fédéral par rapport à ce qu’il se passait. » Cependant, il ajoute que le gouvernement Trudeau s’est efforcé de dramatiser le caractère organisé de la crise, notamment en amplifiant le nombre de terroristes du FLQ, ce qui pourrait être perçu comme une tentative de propagande. Cependant, les tentatives de contrôle de l’opinion publique ne fonctionnent pas toujours. En effet, le gouvernement Trudeau accepte que Radio-Canada diffuse le manifeste du FLQ à la télévision le 8 octobre, pensant que le caractère radical du mouvement braquerait la population contre leurs revendications. Tout en condamnant les moyens utilisés, la population a, au contraire, compris que les actions du FLQ étaient motivées par la situation économique et la crise profonde que traversait le Québec. Il va donc sans dire que les journalistes ont subi beaucoup de pression de la part du gouvernement qui voulait exercer un contrôle serré sur l’information qui parvenait à la population. Ils ont vécu de la censure et certains d’entre eux se sont même fait arrêter par les forces de l’ordre en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Cependant, l’utilisation de la propagande à proprement parler reste discutable.
Lecture du manifeste du FLQ – Société Radio-Canada
Répression des journalistes
La Loi sur les mesures de guerre permet aussi aux forces de l’ordre une plus grande latitude. Les journalistes sont d’ailleurs poussés à une autocensure extrême et « le ministre de la Justice du Québec, Jérôme Choquette, menace alors directement les journalistes de poursuites judiciaires s’ils vont trop loin, sans jamais définir ce que veut dire aller trop loin. » (Dagenais, 1993) Dans ce climat tendu, les perquisitions chez les journalistes se multiplient, des arrestations sans preuve s’en suivent, certains sont même détenus, puisque la loi permet de suspendre la liberté d’expression et la liberté de presse.
La crise d’Octobre a mis en lumière le pouvoir des médias, qui reflètent les luttes que traverse la société québécoise en 1970. Les différents acteurs du conflit ont voulu exercer un certain contrôle sur les messages véhiculés par ceux-ci et les journalistes se sont évidemment exposés à beaucoup de critiques de la part des deux camps. Louis-Philippe Lacroix, à l’époque député des Îles-de-la-Madeleine pour le Parti libéral du Québec, accuse d’ailleurs les journalistes d’être responsables de la mort de Pierre Laporte, avant de les accuser de collaborer avec le FLQ. Il est donc évident que le pouvoir exercé par les médias dérange « car, dès qu’ils ne sont pas dociles à l’un ou l’autre pouvoir qui s’exerce, dès qu’ils n’empruntent pas un comportement souhaité par l’une des parties, ils deviennent par le fait même des ennemis. » (Dagenais, 1993)
La propagande lors du référendum de 1995
Le contexte sociohistorique de la société québécoise dans les années 1980 mène la population à se questionner sur le statut politique du Québec. À la suite de l’échec du premier référendum québécois de 1980, et du rapatriement de la constitution en 1982 sans l’accord du Québec, le mécontentement des Québécois est grandissant. Cependant, à l’arrivée du Parti progressiste-conservateur en 1984, les négociations constitutionnelles sont relancées. Les nombreux échecs de négociation ne font qu’augmenter l’insatisfaction des Québécois et la question entourant la souveraineté du Québec devient au centre de la place publique. En 1994, Jacques Parizeau, le chef du Parti Québécois, est élu comme premier ministre du Québec. C’est en 1995 que la nouvelle campagne référendaire débute.
« Le camp du oui a eu une campagne publicitaire extraordinaire, ce qui a surpris tout le monde. » – Guy Lachapelle, professeur de sciences politiques à Concordia. La campagne du Non a, quant à elle, fait une campagne de la peur, en soulignant les conséquences négatives que l’indépendance aurait pour le Québec. En effet, l’une des stratégies employées par le fédéral fut de miser sur les répercussions économiques négatives qu’entraînerait la séparation du Québec du Canada. Ils ont également rallié leurs électeurs en promettant aux Québécois que le gouvernement canadien reconnaîtrait le Québec comme une société distincte, reprenant ainsi les promesses émises lors du référendum de 1982, mais « la campagne du Non n’a pas été une campagne très convaincante », selon M. Lachapelle. Pour plusieurs, cette solution semblait être bien plus simple, un aspect sur lequel le gouvernement fédéral avait misé. Les résultats des sondages démontrent toutefois une campagne électorale fructueuse de la part du Parti Québécois, qui continuait de gagner des partisans depuis leur entrée au pouvoir en 1994, alors que Jean Chrétien croyait qu’ils allaient « haut la main » au début de la campagne. « Quand monsieur Bouchard est arrivé, la campagne a changé complètement . . . il est devenu comme un sauveur et il a fait un travail exceptionnel », affirme le professeur de sciences politiques. Grâce au nouveau chef de file, les souverainistes prennent de l’avance et à la veille du référendum, le gouvernement fédéral met tout en œuvre afin d’essayer de convaincre la population québécoise de rester au sein du Canada.
Les dépenses illégales de la campagne du Non
Au Québec, les dépenses liées aux campagnes électorales sont régies par la Loi électorale afin d’assurer une certaine équité entre les partis. Le Parti québécois a respecté cette loi, puisqu’il s’agit d’une loi québécoise, alors que le gouvernement fédéral a décidé d’en faire abstraction. « Ils n’ont pas respecté la loi référendaire, ils ont dépensé à outrance », explique M. Lachapelle. La manifestation love-in est organisée à la hâte en une semaine. Air Canada et Canadian Airlines ont accordé des billets à rabais de 90%, relate Le Devoir. « Les autobus qui sont venus au grand rallie ont été payés par Radio-Canada anglais . . . Tout le monde faisait ce qu’il voulait à Ottawa sans respecter la loi », raconte Guy Lachapelle, qui travaillait à Vancouver avec les gens de Radio-Canada à l’époque. Le juge Grenier, nommé par le directeur général des élections du Québec en 2006, a enquêté sur le financement illégal de la campagne du Non. Option Canada, un groupe de lobbyistes qui a été établi quelques semaines avant le jour du vote du référendum, aurait dépensé environ 500 000$ seulement dans le mois précédant le référendum sans compter le love-in, selon le rapport émis par le juge Grenier. Cela représenterait seulement une partie des dépenses illégales effectuées par le camp du Non. Encore à ce jour, des informations restent non dévoilées au grand public et la question du financement de cette campagne reste nébuleuse.
Love-in à Montréal – Société Radio-Canada
Techniques de propagande
« La propagande n’est pas que la propagation de fausse information, elle se mesure également en quantité », a déclaré M. Lachapelle, professeur de sciences politiques à Concordia, en entrevue. Dans le cas du référendum de 1995, la volonté du gouvernement fédéral n’était pas de propager de fausses informations, mais bien de changer l’opinion publique à l’aide d’une quantité énorme de publicité afin de promouvoir leur idéologie. M. Lachapelle estime sans aucun doute « qu’il y a eu des débordements du côté de la campagne du Non. » La propagande ne s’est pas manifestée uniquement par un financement de campagne électorale excessif et illégal. « En 1995, quatre hommes ont entre leurs mains l’immense majorité de l’espace médiatique canadien. Des quatre, trois sont farouchement fédéralistes et deux d’entre eux entretiennent des liens très étroits avec le Parti libéral. » Bien évidemment, les lignes éditoriales en sont affectées et, même si Pierre Péladeau avait fait campagne en faveur de la souveraineté lors du premier référendum, son absence et son silence se feront sentir lors du deuxième référendum. La couverture journalistique a manqué d’équité, et le patriotisme canadien partagé par certains journalistes relève d’une propagande pure et dure.
Le rapport du juge Grenier n’a pu conclure qui avait financé le rassemblement de la dernière chance qui avait eu lieu à Montréal, le 27 octobre 1995. La commission a recueilli de nombreux témoignages et 4500 documents restent encore à l’heure actuelle sous une ordonnance de non-publication. Le Parti Québécois et la Coalition Avenir Québec ont déposé des motions pour rendre publics ces documents, qui, malgré l’appui des élus de l’Assemblée nationale, ne semblent pas exercer une pression assez grande pour Jean-François Blanchet, le directeur général des élections. Le Parti Québécois a proposé un projet de loi, porté par M. Bérubé, qui obligerait le directeur à se soumettre à leur requête. S’agissait-il d’une propagande structurée et organisée? Le gouvernement a orchestré, sans aucun doute, une campagne de propagande, mais l’ampleur de l’événement ne pourra être révélée que lorsque la population aura accès à ces documents.
Entre persuasion et distorsion – la propagande à l’ère du numérique
La propagande évoque pour beaucoup les affiches militaires aux couleurs vives et aux slogans martelés d’un temps passé. Et si les vagues de désinformation qui inondent nos réseaux sociaux aujourd’hui n’étaient que le visage contemporain de cette même propagande, adaptée aux codes de la modernité numérique ? En effet, les fausses nouvelles, sous leur apparente spontanéité, s’inscrivent dans une longue tradition d’instrumentalisation de l’information. Dissimulées derrière le voile de la viralité, elles constituent le moteur de campagnes orchestrées au service d’intérêts politiques, économiques et idéologiques. L’histoire en offre de nombreux exemples. Durant la Première Guerre mondiale, des récits d’atrocités furent délibérément fabriqués pour diaboliser l’ennemi et mobiliser l’opinion publique. Ces narrations fabriquées, relayées par les médias de l’époque, étaient aux sociétés du début du XXe siècle ce que nos fake news sont à l’ère des réseaux sociaux : une propagande réinventée.
Si la désinformation, qui inclut les fausses nouvelles, constitue une forme de propagande, la propagande n’est pas pour autant systématiquement synonyme de désinformation. Contrairement à la désinformation, qui repose sur une intention délibérée de tromper, la propagande politique poursuit des objectifs généralement déclarés. Comme l’explique André Mondoux, professeur à l’école des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), « c’est l’intentionnalité qui compte ». Là où la désinformation cherche à induire en erreur, la propagande politique tend à convaincre et à susciter l’adhésion à une vision, un projet ou une communauté. Elle utilise des mécanismes de communication qui visent à orienter la perception collective, sans nécessairement recourir à la manipulation malveillante.
Loin d’être un monolithe exclusivement négatif, la propagande trouve une légitimation théorique dans les travaux de Walter Lippmann, qualifié comme l’un des premiers penseurs du néolibéralisme par l’intellectuel américain Noam Chomsky. Selon Lippmann, dans une société de masse où les citoyens ne peuvent pas participer directement à toutes les décisions politiques, la propagande devient un instrument de coordination sociale et de gestion du consentement. Elle « fabrique » l’assentiment collectif afin de maintenir une stabilité sociale et politique. Cette vision a cependant fait l’objet de critiques substantielles, notamment par Noam Chomsky et Edward Herman dans leur ouvrage Manufacturing Consent. Les auteurs dénoncent la manière dont les médias créent un consensus qui profite aux élites économiques et politiques. Dans cette perspective, la propagande ne constitue pas un élément nécessaire de la démocratie, comme le suggère Lippmann, mais représente plutôt un obstacle à une véritable démocratie participative.
Malgré ces critiques, l’approche de Walter Lippmann conserve une certaine résonance dans nos pratiques sociopolitiques contemporaines. Cette perspective s’avère d’autant plus pertinente à l’ère de la post-vérité qui caractérise notre siècle; car la propagande peut paradoxalement représenter un ciment social, un langage commun permettant aux citoyens de se situer dans l’espace public. Les campagnes de santé publique en constituent un bon exemple : elles illustrent comment la propagande peut transcender sa dimension manipulatrice pour devenir un outil de coordination sociale. « Il y a de la propagande gouvernementale et on l’a vu en pandémie », observe M. Mondoux.
Toutefois, rappelle André Mondoux, « il nous manque du commun aujourd’hui ». Autrefois, des références partagées structuraient l’espace médiatique : un socle de faits reconnus, des institutions légitimes et un cadre qui permettait de distinguer l’information de la propagande. Désormais, chacun façonne sa propre réalité médiatique, ce qui fragilise la cohésion sociale et accentue la polarisation des débats publics. Ce phénomène s’explique notamment par deux tendances. La première est un individualisme accentué par les algorithmes. Les réseaux sociaux et les moteurs de recherche nous exposent à des contenus sur mesure, calibrés en fonction de nos préférences et de notre historique de navigation. Cela génère des bulles de filtre où chacun reçoit une version différente de la réalité, réduisant ainsi les références communes et encourageant une vision du monde particulièrement individualisée. La seconde tendance est la désinstitutionnalisation de l’information. Autrefois, l’information circulait principalement à travers des institutions reconnues – journaux, télévisions, radios publiques – dont la légitimité éditoriale garantissait une certaine uniformité du discours. Aujourd’hui, l’information s’est démocratisée, s’échappant des canaux traditionnels pour investir un espace public pluriel, où citoyens, influenceurs, groupes militants et médias alternatifs deviennent à la fois producteurs et passeurs de nouvelles. Dans ce contexte mouvant, « il est difficile de distinguer une nouvelle journalistique, d’une opinion personnelle, d’une fausse nouvelle, d’une publicité ou d’une propagande », conclut André Mondoux.
La crise du COVID-19 et la propagande – une pandémie d’influences
La crise du COVID-19 a marqué le début d’un « âge d’or » de la guerre de l’information. La propagande a pris diverses formes, émanant des gouvernements comme de leurs opposants. Le contexte pandémique a favorisé la diffusion de récits divergents et des acteurs variés – entités étatiques, groupes conspirationnistes, médias et influenceurs – ont cherché à orienter la perception collective.
Face à une menace sanitaire inédite, les autorités ont dû transformer les comportements sociaux. Les mesures de distanciation et de confinement ont exigé une stratégie de communication persuasive. L’objectif était d’obtenir l’adhésion populaire aux recommandations sanitaires. Cette situation a mis en lumière les mécanismes subtils de la propagande contemporaine. Au Québec, par exemple, la campagne « #Propage l’info, pas le virus » a mobilisé des influenceurs populaires auprès des jeunes, contournant ainsi les voies de communication conventionnelles. Les conférences de presse quotidiennes et les initiatives comme « Vérifiez… avant de partager » témoignaient d’une volonté d’engager activement la population dans la lutte contre la désinformation.
L’objectif des communications gouvernementales avait clairement pour but de susciter l’approbation pour les mesures sanitaires. Bien qu’orientant les comportements – caractéristique intrinsèque de la propagande – ces messages poursuivaient un objectif de santé publique légitime. L’influence exercée par des personnalités reconnues, comme les hommes politiques, les spécialistes en santé publique ou même les leaders d’opinion, relève d’une méthode traditionnelle de manipulation, exacerbée dans un climat d’insécurité et d’appréhension.
En parallèle, des mouvements dissidents ont mis au point leur propre arsenal de propagande. Dès les premiers mois de la pandémie, des récits conspirationnistes ont proliféré, proposant des explications alternatives à la version officielle : pandémie préméditée contre Donald Trump, arme biologique chinoise, implications fantasmées de Bill Gates ou de George Soros. Toutes ces narrations visaient sciemment à semer la défiance envers les institutions. Les réseaux sociaux ont grandement contribué à la propagation de ces histoires. En tirant parti de l’insécurité sociale et des lacunes initiales des connaissances scientifiques, ces plateformes ont permis une propagation rapide des informations.
Somme toute, la crise sanitaire mondiale du COVID-19 a mis en évidence la sophistication des mécanismes actuels de manipulation de l’opinion. Un paysage médiatique caractérisé par une lutte entre des récits rivaux, dans lequel la vérité est transformée en outil de puissance et de perception sociale. Entre l’instrumentalisation et la nécessité collective, la propagande est un concept complexe, qui reflète les tensions inhérentes à nos démocraties modernes.
Conclusion
En conclusion, l’analyse de la couverture médiatique de trois événements historiques marquants du Québec, soit la Seconde Guerre mondiale, la crise d’Octobre et le référendum de 1995, montre qu’il y a eu une propagande organisée et structurée de la part des gouvernements canadien et québécois. Cette propagande, qui se manifeste par divers moyens, ne se limite pas à la diffusion de mensonges. Elle consiste plutôt à manipuler les informations divulguées pour favoriser un programme politique, soulignant ainsi l’importance d’une presse libre et indépendante. En effet, ces médias sont essentiels au bon fonctionnement de notre système démocratique, puisqu’ils occupent une place centrale dans l’espace public.
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