27 mars 2025 - Par Bouchard-Girard, Justine - Catégorie : Médias
Marie-Maude Denis. Source : Radio-Canada.
Un travail réalisé par Élise Lécaudé, Justine Bouchard-Girard, Élodie Bréniel et Léa Lemieux.
Introduction
Journaliste à Radio-Canada depuis près de 20 ans, Marie-Maude Denis se démarque par ses enquêtes. Bien qu’elle soit née en Ontario, c’est surtout au Québec que son influence dans le milieu de l’information se fait ressentir. Dans la première partie de ce travail, il sera question des débuts de Marie-Maude jusqu’à sa percée dans le domaine du journalisme. Le contexte historique des médias de l’époque sera également abordé dans cette section. La deuxième partie sera consacrée à son travail de journaliste d’enquête. Ainsi, ses enquêtes marquantes seront abordées et le procès qu’elle a gagné pour la protection des sources journalistiques sera mis en lumière. La troisième section portera sur l’émission Les stagiaires qu’elle a animée, mais également sur les distinctions qu’elle a reçues au cours de sa carrière. La quatrième et dernière partie sera consacrée à l’héritage de cette figure de proue et à sa réputation. La place des femmes en journalisme sera également traitée dans cette section.
1. Début de carrière au tournant du millénaire
La vocation de journaliste
Marie-Maude Denis, journaliste d’enquête franco-ontarienne, a passé son enfance entourée d’une famille amatrice de nouvelles. « [Le journalisme] faisait partie de la vie de ma famille », dit-elle. Son père, Michel Denis, était réalisateur à la radio de Radio-Canada, à Ottawa. Le milieu journalistique lui est donc familier dès son plus jeune âge. Lors de ses journées pédagogiques, elle accompagnait son père au bureau de Radio-Canada. Le « bouillonnement intellectuel » environnant fascinait la jeune fille, admirative des collègues de son père. « J’avais le goût de ce monde-là », se rappelle-t-elle.
À l’adolescence, Marie-Maude Denis allait dans une école secondaire en arts. Elle s’y est spécialisée en théâtre, ce qui l’a poussée à s’inscrire en théâtre à l’université d’Ottawa. Cette vocation n’a pas fait long feu, car Marie-Maude sentait qu’elle n’était pas faite de la même étoffe que ses camarades de classe. « Les gens de théâtre étaient trop intenses, […] ils étaient trop écorchés vifs. Je me suis dit que je n’avais pas le feu sacré pour vivre [du théâtre] », plaisante-t-elle.
Comme son père l’encourageait fortement à acquérir de la rigueur intellectuelle, soit la capacité de faire des recherches et de l’analyse, elle a décidé de poursuivre des études en sciences politiques. Ces études l’ont beaucoup aidé dans son travail de journaliste. Se disant qu’au fond, c’était plutôt le métier de journaliste qui l’interpellait, elle s’est lancée dans un baccalauréat en communication à l’Université d’Ottawa, puis en journalisme à l’Université Laval. Pourtant, elle n’était pas passionnée par ses études. « Si c’était à refaire, j’étudierais dans tout sauf les communications », lance la journaliste. « En communication, on apprend des théories pour la communication […]. Mais, ce que ça prend pour être journaliste, c’est avoir une très grande culture générale et bien maîtriser sa langue », renchérit-elle.
L’aspirante journaliste ne « tripait pas gros » sur les études et brûlait plutôt d’impatience de faire son entrée sur le marché du travail. Néanmoins, c’est seulement au début des années 2000 que Marie-Maude commence à se tailler une place notable dans le milieu de l’information.
État du journalisme en début 2000
Depuis les années 60, le Québec est le théâtre d’une convergence des médias. Au tournant du millénaire, les entreprises de presse écrite sont en grande partie réunies sous l’égide de deux grandes compagnies, Gesca et Québecor. En 2001, Québecor a acheté le réseau TVA, le plus grand compétiteur de Radio-Canada.
Source: Lavoie, M-H. (2001). La concentration de la presse à l’ère de la “ convergence ”.
Au cours des années 90, le monde du journalisme est bouleversé par des révolutions technologiques comme le cellulaire, internet et l’ordinateur portable. Ces technologies facilitent et accélèrent le travail des journalistes, tout en permettant une plus grande utilisation d’outils télévisuels dans l’information. Cependant, la démocratisation de l’accès à internet signifie aussi la multiplication de compétiteurs et des producteurs de nouvelles, ce qui a pour effet « d’intensifier la contestation de l’utilisation de contenu sans rémunération appropriée ».
Les habitudes de consommation de l’information changent. Les gens souhaitent de moins en moins payer des abonnements aux médias, car ils peuvent trouver du contenu similaire gratuitement sur internet. Ainsi, avec la concurrence, la perte d’une partie des revenus publicitaires et des abonnements du public, les entreprises médiatiques font des coupes dans leurs effectifs afin de réduire leurs dépenses. En 2009, malgré le soutien financier de l’État, Radio-Canada supprime 800 emplois au sein de son entreprise, soit 8% de ses effectifs, dont 86,5% sont dans la branche de la télévision.
Au sein de l’industrie, le virage numérique divise. Alors que certains estiment que ce changement favorise la mise en valeur de l’information, avec, par exemple, le lancement de La Presse + qui aurait « permis de réinventer le grand reportage et donné l’occasion aux journalistes de proposer et de réaliser des projets de reportage de qualité […] », d’autres critiquent « la vitesse que les nouvelles technologies imposent au travail journalistique […] au détriment de la qualité ». Peu de médias font encore des enquêtes longues et onéreuses, mais Radio-Canada et La Presse constituent des exceptions.
Marie-Maude impressionne dès ses débuts
Elle fait ses débuts dans le monde des médias, à l’âge de 16 ans, en faisant passer des dépliants de Radio-Canada au Salon du livre de l’Outaouais. Son talent pour parler aux gens et l’énergie qu’elle déployait dans son travail se font remarquer par les employés de Radio-Canada. De fil en aiguille et à force de traîner autour de la société d’État, elle a enchaîné les petits contrats. Puis, elle a fait la rencontre de Mario Girard, qui animait à l’époque une émission à la radio régionale d’Ottawa.
Il lui a dit « hey, toi, tu as de la détermination, tu as du bagout. Est-ce que tu as le goût de me faire une chronique jeunesse […] dans mon émission? » Du haut de ses 17 ans, elle s’est sentie à la fois flattée et anxieuse face à cette proposition. Elle a cependant fini par accepter. Ce travail lui a donné « la piqûre ». Il lui faisait vivre des sensations fortes, des poussées d’adrénaline. « C’était comme de la grosse drogue », raconte-t-elle.
Se cherchant un emploi de journaliste, il était clair pour Marie-Maude qu’il fallait sortir d’Ottawa. Elle voulait s’émanciper du travail de son père. « [Si j’étais restée] j’aurais toujours été la « fille à papa », je ne voulais pas ça », dit-elle.
En 2000, elle a donc pris la route pour Québec et s’est empressée d’envoyer son « CV » à tous les médias possibles. Après plusieurs refus, un appel d’une employée du service des communications de Radio-Canada Ottawa l’a remise dans le bain. L’employée, qui avait pris connaissance de la présence de Marie-Maude à Québec et qui avait entendu parler d’elle comme étant une fille « déniaisée », lui a proposé de faire un remplacement d’un mois aux communications de Radio-Canada à Québec. Ce travail n’était cependant pas particulièrement fascinant, selon Marie-Maude.
Un peu plus tard, l’aspirante journaliste s’est trouvée un travail de sous-titrage pour les personnes malentendantes. Avec cet emploi, Marie-Maude corrigeait des textes de journalistes et s’occupait de la mise en forme des sous-titres. Cette expérience a été enrichissante pour la jeune femme. « Parce que tu travailles dans les fichiers où les journalistes écrivent leurs topos, tu vois le texte apparaître, tu vois les corrections qu’ils font, tu vois les clips qu’ils mettent, donc ça rentre dans ton cerveau », affirme la journaliste.
Elle insistait souvent auprès de son patron pour pouvoir réaliser de nouvelles tâches, tant et si bien que ce dernier a fini par lui octroyer du travail de recherche. « J’étais vraiment tannante », se rappelle-t-elle. À 21 ans, elle a donc commencé à assembler des dossiers de recherche et à « booker » les invités des émissions.
Un jour, il manquait un journaliste pour aller tourner un extrait. « Il venait d’arriver un incident dans une garderie. Il y avait une éducatrice qui avait sauvé une petite fille. Le patron m’a envoyé faire l’extrait », se souvient Marie-Maude. Elle a paniqué un instant, consciente de son manque d’expérience, mais elle s’est tout de même exécutée. À la suite de la remise de son travail, son patron lui a demandé de faire un topo avec ce même contenu pour le lendemain.
C’était la fin de semaine et « le week-end, il y a vraiment de la marge de manœuvre pour quelqu’un qui veut prendre de l’expérience », nous raconte la journaliste chevronnée. Après cette première expérience au téléjournal, elle a continué de produire des topos et des petits reportages. Son travail s’est rapidement fait remarquer par de grands noms de Montréal. Très vite, elle a reçu un appel élogieux de la part de la journaliste Michaëlle Jean, qui appréciait son élocution. « [Il y a des journalistes qui] font une petite voix, une petite intonation. Toi, tu ne le fais pas, tu ne chantes pas. Continue comme ça, tu vas aller très loin », l’a complimentée Mme Jean.
Marie-Maude a tapé dans l’œil d’une autre journaliste d’expérience, qui deviendra plus tard une proche collègue et amie. « Quand je l’ai vue pour la première fois, il y a plus de 20 ans à la télévision, j’étais très impressionnée par elle », se rappelle Isabelle Richer, journaliste à Radio-Canada. « Elle était jeune, elle était très affirmée, très sûre d’elle, je voyais qu’elle avait énormément de talent et de potentiel. Elle était à Québec et je me disais qu’elle ne resterait pas longtemps dans cette ville », ajoute Isabelle.
Vers 2002, Isabelle souhaitait ardemment que Marie-Maude soit repêchée à Montréal. Pour elle, une chose était claire: la jeune journaliste débordait de talent. Selon Isabelle, il suffisait de voir Marie-Maude à la télévision pour comprendre à quel point elle se démarquait de ses pairs. « Il y avait une assurance, une fluidité, un esprit de synthèse et une qualité dans ses propos et dans sa façon d’expliquer une histoire. Ça se sent et ça s’entend très rapidement », ajoute Isabelle.
Isabelle Richer et sa meilleure amie, Marie-Maude Denis. Source : Radio-Canada.
Isabelle qualifie sa rencontre avec Marie-Maude de « coup-de-foudre ». « S’il existait une telle chose que la ‘’bromance’’ en français, qui parle des filles, une ‘’girl-mance’’ [ça décrirait notre relation] », plaisante-t-elle. « On est tout de suite tombées en amitié toutes les deux et on ne s’est jamais laissées depuis », renchérit-elle.
2. La journaliste d’enquête
En 2008, Marie-Maude Denis a rejoint l’équipe de l’émission Enquête pour « lever le voile sur l’un des plus gros dossiers de corruption de l’histoire du Québec ». En 2015, elle a commencé à animer l’émission, à la suite du départ du journaliste Alain Gravel.
Lorsqu’elle travaillait aux faits divers, à Radio-Canada, en 2008, Marie-Maude a reçu une enveloppe d’une source confidentielle contenant une information cruciale. Elle est allée porter cette enveloppe à la cheffe recherchiste de l’émission Enquête, Monique Dumont. Mme Dumont travaillait depuis des années sur la collusion, notamment à Laval. L’information que contenait l’enveloppe lui permettait d’aller plus loin dans l’enquête. Peu de temps après, Marie-Maude a intégré l’émission pour travailler sur le dossier avec le journaliste Alain Gravel.
De fil en aiguille, le tuyau, qui n’était au départ qu’une simple anecdote, s’est avéré être une véritable piste. À force de rencontrer des sources, les informations se sont concrétisées et ont mené à de solides enquêtes. « L’équipe d’Enquête a fait trembler l’industrie de la construction et la classe politique avec sa série d’une trentaine de reportages traitant de la corruption et de la collusion. »
La commission Charbonneau
D’ailleurs, l’émission Enquête a joué un rôle crucial dans le déclenchement de la commission Charbonneau. « Je demande qu’une commission d’enquête soit menée », lance Sylvie Roy, la députéé de l’Action démocratique du Québec (ADQ), le 7 avril 2009. « C’est peu après les premières révélations de l’émission Enquête […] sur les irrégularités dans l’industrie de la construction » que Mme Roy a prononcé les mots qui allaient être sans cesse répétés par les partis d’opposition durant deux ans, explique Radio-Canada.
« Je ne suis pas une militante pour dicter ce que doit faire la politique, je suis là pour informer la société », soutient Marie-Maude en réponse au déclenchement de la commission Charbonneau.
La juge France Charbonneau. Source : Radio-Canada
La commission Charbonneau avait le mandat d’enquêter sur « l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction ». Elle a été mise sur pied par le gouvernement de Jean Charest en 2011. La juge France Charbonneau présidait cette commission d’enquête sur la collision et la corruption. « Les stratagèmes de corruption et le financement politique illégal mis au jour par la commission ont surtout fait mal au Parti libéral », mentionne Denis Saint-Martin, professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal et membre du Comité de suivi des recommandations de la commission Charbonneau. D’ailleurs, cette commission a alimenté l’opposition et a donné des armes à la Coalition avenir Québec (CAQ) qui a fait de la corruption l’enjeu principal de sa campagne électorale.
Ses enquêtes marquantes
« Marie-Maude a reflété les débats de la société avec ses reportages chocs sur la collusion et la corruption. Elle s’est penchée sur toutes les questions de l’heure et les grands enjeux de société à travers l’émission Enquête », avance la journaliste Isabelle Richer, qui est également sa meilleure amie.
« On avait de la chance d’être deux à la tête de cette émission phare ; l’émission la plus écoutée de Radio-Canada », raconte Isabelle.
Marie-Maude a commencé à animer l’émission Enquête en 2015, ça fait maintenant 10 ans qu’elle est à la barre de celle-ci.
La journaliste considère qu’un de ses reportages les plus marquants est celui sorti en 2016, qui se nomme Les « baux » cadeaux. Il s’agissait d’une enquête sur un important détournement de fonds. Le reportage a révélé au grand jour un scandale de corruption. « Ce serait la plus importante fraude dans une société d’État au Québec et peut-être même au pays. D’importants collecteurs de fonds du Parti libéral et l’ex-pdg de la Société immobilière du Québec (SIQ), [Marc-Andrée Fortier], se seraient partagé des millions de dollars lors de transactions immobilières », souligne l’émission. Pour découvrir le pot aux roses, Enquête a suivi la trace de transactions immobilières suspectes passant par des comptes aux Bahamas et en Suisse.
Marie-Maude a su refléter les débats de l’époque à travers ses enquêtes sur la collusion et la corruption, mais, récemment, elle a réalisé un reportage sur un enjeu de société actuel, soit la tragique réalité du fentanyl. L’enquête diffusée en février 2025 s’intitule Place-des-âmes. Il s’agit d’un reportage sur les ravages du fentanyl, une drogue qui tue « une vingtaine de Canadiens par jour ». En se penchant sur l’histoire de Maïa, une jeune chanteuse de 31 ans, qui a fait une surdose à la station Place-des-Arts, l’équipe d’Enquête s’est plongée au cœur du phénomène. Marie-Maude estime que c’est une enquête marquante et poignante.
La défunte chanteuse Maïa Léia Fournier. Source : Radio-Canada.
« J’ai réussi à gagner la confiance des gens. Ils m’ont laissé rentrer dans un milieu où les caméras ne rentrent pas souvent », exprime la journaliste avec émotion. Le reportage a eu une réception incroyable auprès du public, ajoute-t-elle.
« Je trouve ça important ce que je fais. Ce n’est pas moi qui ai de l’importance, c’est mon travail », précise Marie-Maude.
« Elle a commencé comme reporter à Enquête et au fil des ans, elle est devenue une partie importante de cette émission, jusqu’à en devenir l’âme », affirme Isabelle avec fierté.
Une femme prête à tout
Marie-Maude a le journalisme d’enquête tatoué sur le cœur. Elle est prête à tout pour informer les gens, selon Isabelle. Elle met en lumière les injustices et elle lève le voile sur des histoires passées trop longtemps sous silence. En outre, elle donne une voix à ceux qui trop souvent n’en ont pas, comme les victimes, par exemple.
La journaliste agit en véritable chien de garde de la démocratie. D’ailleurs, le travail qu’elle a fait au fil des ans a permis de contrebalancer les trois pouvoirs officiels, en mettant sous les projecteurs certaines pratiques douteuses de l’autorité.
Elle est tellement dévouée à sa profession qu’elle est prête à « prendre des risques calculés » pour le bien de la liberté de presse et donc, par le fait même, pour le bien de la démocratie. Marie-Maude a conscience du danger de son métier, mais elle ne se sent pas « en danger ». La journaliste sait que faire des enquêtes sur le crime organisé peut compromettre sa sécurité, mais ça ne l’arrête pas pour autant.
« Marie-Maude est extrêmement audacieuse et fonceuse. C’est une batailleuse. C’est une fille qui sait où elle va et ce qu’elle veut. Elle ne prend jamais de risques inconsidérés pour obtenir ce qu’elle veut », témoigne Isabelle.
Une journaliste face à la justice
Une des enquêtes qui a marqué la vie de la journaliste est le reportage nommé Anguille sous Roche diffusé en 2012, car l’enquête est le point de départ de ce qui l’a amenée en cour quelques années plus tard.
Anguille sous Roche lève le voile sur le financement clandestin des partis politiques. Des documents démontraient pour la première fois le lien problématique entre les entreprises et les partis politiques. D’ailleurs, dans ce reportage, un témoin clé raconte l’histoire de la firme de génie-conseil Roche qui a obtenu un contrat public, « à la suite de ce qui semble être une série de manœuvres soigneusement orchestrées ». Quelques années après la diffusion de l’enquête, Marc-Yvan Côté, qui est l’ex-président de Roche, a traîné la journaliste devant les tribunaux.
M. Côté subissait un procès pour fraude, complot et abus de confiance et il soutenait que les reportages présentés à son sujet dans l’émission Enquête « comportaient des éléments de preuve de l’enquête policière qui avaient été divulgués par une source confidentielle ». M. Côté considérait que cette fuite d’information l’empêchait d’avoir un procès juste et équitable. Sa théorie était que l’information provenait directement de l’État, plus précisément de l’Unité permanente anticorruption (UPAC). Il exigeait que Marie-Maude dévoile le nom de sa source confidentielle, afin de pouvoir prouver son point et ainsi faire annuler son procès.
Il est important de savoir qu’une source anonyme est une personne dont les journalistes ne connaissent pas l’identité. Une source confidentielle est quant à elle une personne dont les journalistes connaissent l’identité, mais ils décident de la cacher au public pour de bonnes raisons, par exemple pour éviter que celle-ci ait des représailles.
Une victoire en Cour suprême
Marie-Maude a perdu la cause en Cour supérieure contre M. Côté, mais la décision s’est rendue en appel. Cependant, la Cour d’appel a dit ne pas être en mesure de se prononcer sur le litige. Puisqu’il s’agissait d’une défaite pas juste pour elle, mais pour le journalisme, Marie-Maude a décidé de contester le verdict et d’essayer de faire entendre cette affaire en Cour suprême. Ainsi, elle voulait tenir son point devant le plus haut tribunal du pays.
Marie-Maude Denis, lors de son combat judiciaire pour la protection des sources journalistiques confidentielles. Source : Le Soleil.
La Cour suprême n’entend pas toutes les causes, elle choisit celles qui sont d’intérêt national. Ainsi, la journaliste se dit émue que ce tribunal ait accordé de l’importance à une affaire concernant la protection des sources journalistiques. Il s’avère que Marie-Maude a gagné en Cour suprême. Cette victoire est collective plus qu’individuelle.
« Les juges qui se sont prononcés ont réaffirmé l’importance du journalisme d’enquête pour la société », annonce fièrement Marie-Maude.
« Les tribunaux doivent [maintenant] accorder une grande importance à la protection des sources confidentielles, parce que s’il n’y avait pas de sources confidentielles, le journalisme d’enquête ne pourrait pas exister », explique la journaliste. Elle ajoute que les journalistes d’enquête s’appuient nécessairement sur des sources confidentielles pour faire de grandes révélations. Le combat mené par la journaliste était essentiel non seulement pour le journalisme au Québec, mais également au Canada.
3. Donner au suivant
Son parcours aux Stagiaires
En 2023, Marie-Maude Denis a été à la barre de l’émission Les stagiaires sur les ondes de Radio-Canada. Il s’agit d’une série documentaire de huit épisodes de 52 minutes qui suit le parcours de six stagiaires effectuant des défis hebdomadaires relevant de réelles affectations dans une salle de nouvelles de Radio-Canada. À la fin de chaque défi, Patrice Roy, Isabelle Richer, ainsi qu’un journaliste de la spécialisation de la semaine, procèdent à une évaluation du contenu produit.
Patrice Roy, Isabelle Richer et Marie-Maude avec les six stagiaires de l’émission. Source : Radio-Canada.
Tout au long de la saison, la journaliste d’expérience guidait les stagiaires dans leur travail. Elle expliquait aussi au public les raisons derrière les exercices. « Elle a montré aux stagiaires toutes les facettes du métier et elle a réuni les experts pour chacune de ces facettes-là. C’était ça son rôle », explique Isabelle.
Marie-Maude a aussi mentionné en entrevue qu’elle fournissait une forme d’aide émotionnelle aux participants. « On s’entend que c’est difficile. On travaillait vraiment fort. On tournait des fois 10 heures par jour. Ils faisaient un vrai stage, mais, en plus ils étaient filmés. J’avais de la sympathie pour eux », mentionne la journaliste. Elle raconte aussi la relation d’amitié qui s’est créée entre elle et les apprentis.
Lorsqu’elle a été approchée pour ce projet, elle a aimé le concept. Il est important pour elle de vulgariser le travail des journalistes, ainsi que l’envers du décor. La transparence du métier est essentielle pour elle.
En participant à cette minisérie, elle souhaitait inciter les plus jeunes à devenir des journalistes. Elle désirait transmettre sa passion pour son métier. « On a probablement la même motivation, Marie-Maude et moi, c’est-à-dire le plaisir de la transmission », souligne Isabelle. Toutes les deux ont participé à l’émission afin d’aider la prochaine génération. « Mon père me disait: “Il faut que chaque génération fasse mieux que la précédente” », raconte Marie-Maude en souriant.
Elle explique aussi que les journalistes sont d’autant plus importants à notre époque. Le journalisme est en difficulté et les démocraties sont en danger à cause de grandes puissances économiques, comme les GAFAM. Les médias sont souvent les premiers à être attaqués par les forces totalitaires et il est important qu’ils soient assez forts pour faire face à ces menaces, explique Marie-Maude.
L’animatrice d’Enquête raconte qu’elle a adoré participer à l’émission Les stagiaires en tant qu’animatrice et mentore. Elle mentionne que cette expérience est autant enrichissante pour elle que pour les participants. « Je le referais demain matin. J’aimerais qu’il y ait [une deuxième saison] », mentionne Marie-Maude.
Ses prix et reconnaissances
Au cours de sa carrière, Marie-Maude a reçu de nombreux prix pour les reportages qu’elle a produits au sein de l’émission Enquête, dont trois prix d’excellence en journalisme économique et financier des économistes québécois. Elle explique que tous ses prix ont aussi eu une répercussion importante pour ses patrons. En effet, ils apportent une plus grande crédibilité aux émissions qui les reçoivent.
En 2010, Alain Gravel, Emmanuel Marchand, Claudine Blais et elle remportent le Grand prix Judith-Jasmin pour le reportage Collusion frontale. Deux ans plus tard, elle en reçoit un autre avec Sonia Desmarais, cette fois-ci, dans la catégorie Enquête pour l’émission Anguille sous Roche.
Elle remporte, en 2015, son premier prix Gémeaux avec Chantal Cauchy et Martyne Bourdeau pour le reportage Un train nommé Délire faisant état d’un système léger sur rail et des conflits d’intérêts associés à ce projet à Montréal. Elle gagne également un prix d’excellence en journalisme économique et financier pour le même reportage l’année suivante. Marie-Maude racontait d’ailleurs en entrevue que ces prix sont très prestigieux. Ainsi, ceux-ci apportent à la journaliste une reconnaissance supplémentaire de la part de ses proches.
En 2017, à la suite de l’enquête phare Les « baux » cadeaux, elle gagne un prix Judith-Jasmin dans la catégorie Enquête en compagnie de ses collègues Daniel Tremblay et Jacques Taschereau. Ce reportage se mérita aussi deux Gémeaux la même année. L’année suivante, elle reçoit le prix Charles Bury de la Canadian Association of Journalists pour avoir défendu la liberté de presse jusqu’en Cour suprême.

Isabelle Richer et Marie-Maude Denis, accompagnées de deux membres de l’équipe de l’émission Enquête, lors des prix Gémeaux en 2017. Source : Radio-Canada.
En 2020, elle remporte le Gémeaux de la meilleure animation d’affaires publiques pour Le vaisseau dort et La crise de Val-d’Or sur les déboires du traversier F.A-Gauthier et sur les abus de certains policiers de la Sûreté du Québec envers des femmes autochtones à Val-d’Or. L’année suivante, elle se mérite le même Gémeaux pour le reportage Ces avocats qui dépassent la ligne.
4. Leçons et héritage
Être une femme en information
Bien que la parité soit atteinte dans les salles de presse québécoises, cela ne signifie pas qu’il y a davantage de femmes protagonistes dans les reportages (sources ou expertes). En 2024, les femmes représentaient seulement 29 % des sources citées sur les sites web de Radio-Canada, du Journal de Montréal, du Devoir, de TVA Nouvelles et de La Presse rassemblés.
Radio-Canada possède son propre Bureau de l’équité en matière d’emploi depuis 1986. La Société d’État doit respecter les exigences du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), des politiques fédérales et de la population en matière de parité et d’équité. De 2000 à 2010, la proportion de temps de parole des femmes journalistes à la télévision dépasse 40 % à Radio-Canada, alors que TVA traîne la patte avec environ 16 % du temps de parole accordé aux femmes journalistes.
Marie-Maude ne se souvient pas d’avoir rencontré des difficultés à ses débuts dans les années 2000 parce qu’elle était une femme en information. « Je pense que je dégage quand même une fille qui a confiance en elle, même si ce n’est pas entièrement vrai », s’explique-t-elle.
Toutefois, les prises de conscience sociale lui ont fait réaliser la prépondérance des hommes en information. « Je réalise avec le recul le caractère masculin des décisions et du pouvoir dans tout mon début de carrière. Oui, j’ai fréquenté beaucoup de femmes motivées et déterminées, mais c’était quand même un monde dans lequel il y avait beaucoup d’hommes en situation d’autorité et de pouvoir », dit Marie-Maude. Néanmoins, elle ne pense pas que cela l’a désavantagée au cours de sa carrière.
Selon elle, les hommes ont encore plus de crédibilité que les femmes en information. « Je pense qu’on a une éducation qui fait en sorte qu’un homme est perçu comme ayant davantage de crédibilité, et je hais ça, mais les femmes pensent ça aussi. » Encore aujourd’hui, lorsqu’elle tente d’avoir des entrevues dans le cadre de son travail, Marie-Maude voit l’effet de cette perception. « Les femmes vont se trouver mille excuses pour dire qu’un collègue [masculin] est plus compétent, plus spécialisé, plus disponible. Les femmes hésitent beaucoup à se mettre de l’avant », contrairement aux hommes, analyse-t-elle. Un phénomène que des recherchistes de Radio-Canada ont également observé dans un reportage d’Anne Marie Lecomte en 2023.
Une influence certaine
« Je suis chanceuse, parce que je fais quelque chose qui est appréciée des gens, en général, et j’ai beaucoup de retours positifs, que je ne mérite même pas tant que ça, car ils reviennent aussi à mes collègues de l’émission », considère Marie-Maude.
Dans le monde du journalisme, Marie-Maude est respectée « à mort » parce qu’elle est « extrêmement déterminée », selon Isabelle Richer. « Cette fille a un capital d’amour tellement grand, car elle est hilarante. Vraiment, elle est très drôle. Tu veux tout le temps être proche de Marie Maude dans n’importe quel événement parce que tu sais que tu vas t’amuser », mentionne son amie.
Isabelle croit qu’avec ses enquêtes, Marie-Maude inspire beaucoup les futurs journalistes qui souhaitent faire autre chose que de l’information quotidienne. « Elle fait la démonstration que du reportage d’enquête, ça se fait et ça a de l’influence. Et ça, c’est majeur. Tant qu’elle en fera avec autant de fougue et de plaisir, je pense qu’elle continuera d’inspirer des générations de journalistes », dit-elle. À chaque nouveau reportage, elle « sautille de bonheur », relate son amie Isabelle. « Elle va léguer le plaisir de faire de l’enquête et cette rigueur qu’elle a et cette force qu’elle démontre », soutient Isabelle.
Pour Marie-Maude, il est beaucoup trop tôt pour aborder la question d’héritage, puisqu’elle n’a que 44 ans. Elle espère que sa carrière se poursuivra encore de nombreuses années. « Je serais bien contente, quand je vais finir ma carrière, dans longtemps, que le public dise: “Ouais, cette fille-là, on pouvait la croire” », pense-t-elle. Chose certaine, elle se réjouit d’avoir obtenu une décision favorable de la Cour suprême. L’arrêt Denis contre Côté lui a non seulement été favorable, mais il l’est aussi pour le travail des journalistes du pays. Il réitère l’importance des sources confidentielles en journalisme d’enquête, et, par le fait même, l’importance du journalisme d’enquête pour le maintien d’une démocratie saine et juste.
La plus grande leçon de la jeune carrière de Marie-Maude est que le meilleur journalisme ne s’exerce pas entre les quatre murs d’un bureau. « Le journalisme, ce n’est pas la recherche pour la beauté de la recherche. C’est une recherche appliquée à un enjeu d’intérêt public qui touche des vraies personnes. »
L’animatrice d’Enquête multiplie les conseils pour réussir à se frayer un chemin dans le monde du journalisme. « Comment on se trouve un travail ? On prend n’importe quoi. On se présente. On est motivé, mais on est à sa place. On regarde. On se fait aimer des plus vieux. On est humble », soutient-elle.
« Ceux qui m’ont le plus aidé dans ma vie, ce sont des journalistes qui étaient extrêmement compétents et humbles. Ils étaient amoureux du métier et voulaient transmettre [cet amour] », raconte la journaliste. « Repérer ces gens-là, ils vont vous faire faire des pas de géant », conseille Marie-Maude à l’endroit des aspirants journalistes.
Conclusion
À travers son parcours et ses enquêtes, Marie-Maude Denis constitue un excellent exemple de détermination. Elle démontre aux futures générations qu’avec beaucoup de persévérance et de rigueur, il est possible d’exercer le métier de journaliste et d’exceller. Bien que sa carrière continuera d’évoluer dans les prochaines décennies, elle léguera assurément un amour profond de l’enquête.
D’ailleurs, grâce à l’émission Enquête, Marie-Maude a su exposer la vérité en révélant des histoires et des faits cachés ou peu connus sur des sujets d’intérêt public. Son combat en cour est aussi une preuve de son dévouement pour son métier. Sa victoire restera gravée dans les mémoires. En outre, c’est une journaliste qui est extrêmement respectée, ses nombreux prix en témoignent. Marie-Maude est marquante dans l’histoire du Québec, également parce qu’elle a contribué avec son équipe à la création d’une des plus importantes commissions d’enquête de la province, soit la commission Charbonneau.
Elle est partie de rien, elle a réussi à gravir les échelons et c’est maintenant une figure de proue du journalisme québécois. Elle est une source d’inspiration pour plusieurs femmes. Sa générosité, son franc-parler et sa transparence en font une personne remarquable. Elle n’a d’ailleurs pas hésité à jouer le rôle de mentore pour l’émission Les Stagiaires parce que donner au suivant fait partie de sa nature. Marie-Maude a su illustrer les débats et les préoccupations de son époque à travers ses différents reportages et elle continue de le faire aujourd’hui.