27 mars 2025 - Par Brassard, Benjamin - Catégorie : International
Entre son rôle clé au sein de l’empire médiatique Québecor, ses changements éditoriaux, ses adaptations technologiques et son conflit de travail de deux ans – le plus long de l’histoire de la presse écrite au Canada – le Journal de Montréal a certainement marqué le paysage médiatique québécois. Depuis sa fondation en 1964 jusqu’à aujourd’hui, il s’est imposé comme pilier incontournable du journalisme populaire au Québec.
Par Perlina Rossi-Brown, Laetitia Marey, Benjamin Brassard et Antoine Lafontaine-Mesa
Son évolution, de sa création à aujourd’hui, reflète les changements sociaux, technologiques et culturels de notre Belle Province. Grâce à une stratégie que certains qualifieraient d’audacieuse et des innovations qui ont marqué les médias québécois, le quotidien a su s’adapter aux défis des différentes époques et fidéliser une large base de lecteurs.
La fondation et son contexte
Profitant du conflit de travail qui touchait La Presse au début des années soixante, Pierre Péladeau fonde le JDM, qui va rapidement s’établir sur le marché des journaux québécois (surtout montréalais) en s’inspirant de tabloïds anglais et en mettant l’accent sur les sujets populaires, les faits divers et les sports, ce qui touche un lectorat plus large et plus varié.
Crédit photo: 50 ans d’histoire : le Journal de Montréal, 1964-2014, 46 pages.
Dès son lancement, le JDM connaît, grâce au vide médiatique temporaire laissé par La Presse, un tirage plus que satisfaisant. Cependant, avec la résolution du conflit de son concurrent en 1965, le quotidien a dû redoubler d’efforts pour conserver sa base de lecteur. Dans ce contexte, Péladeau a alors misé sur une optimisation des processus d’impression et une diversification de ses contenus pour renforcer l’attractivité du quotidien.
Avancées technologiques et diversification éditoriale
L’une des premières décisions stratégiques prises par le JDM est l’adoption du procédé d’impression « offset », une technologie qui se voulait innovante à l’époque, surtout en Amérique du Nord (https://www.quebecor.com/fr/la-societe/notre-histoire). Ce choix a permis non seulement une meilleure qualité d’impression, mais aussi une réduction des coûts de production et une diffusion plus rapide. Grâce à cette avancée significative, le quotidien a grandement renforcé son attractivité en plus de sa position concurrentielle.
À la même époque, le contenu éditorial du journal a subi une vague de changement. Le quotidien élargit sa ligne éditoriale en abordant des sujets de société, tout en intégrant des chroniques humoristiques, politiques et sportives. Les journalistes, durant cette période, possédaient une grande liberté éditoriale et pouvaient critiquer la droite comme la gauche sans problème.
C’est aussi à la même époque Entre son rôle clé au sein de l’empire médiatique Québecor, ses changements éditoriaux, ses adaptations technologiques et son conflit de travail de deux ans – le plus long de l’histoire de la presse écrite au Canada – le Journal de Montréal a certainement marqué le paysage médiatique québécois. Depuis sa fondation en 1964 jusqu’à aujourd’hui, il s’est imposé comme pilier incontournable du journalisme populaire au Québec.
Son évolution, de saque le quotidien adopte la fameuse règle des quatre « s » (sang, sport, sexe et spectacle). Le JDM, qui détenait déjà un budget conséquent à l’époque, compensait cette règle quelque peu sensationnaliste par une couverture médiatique rigoureuse et sérieuse.
La création d’une édition du dimanche a également marqué une étape importante dans le développement du journal, témoignant de l’ambition du JDM d’occuper une place centrale dans l’univers médiatique québécois. En parallèle, Péladeau lance le Journal de Québec en 1967, consolidant l’expansion de l’empire Québecor.
Pendant cette période, la culture populaire a occupé une place de plus en plus importante dans les pages du journal. On y retrouvait des reportages sur divers sujets qui suscitent des émotions, comme la musique, la télévision et le cinéma, ce qui plaît à un public jeune et dynamique. La diversification des sujets et de reportages a grandement contribué à solidifier sa base de lecteurs.
Affirmation et montée en puissance
Entre 1972 et 1985, le JDM a renforcé son influence en recrutant des journalistes et chroniqueurs de renom, comme Bertrand Raymond ou encore Norman Girard, ce qui lui a permis d’élargir encore plus sa base de fidèle lecteur et d’accroître son influence sur l’opinion publique québécoise.
C’est à cette époque que l’audace éditoriale est devenue la marque de commerce du JDM qui n’hésitait jamais à aborder des sujets qui faisaient « jaser ».
Cette période fut également marquée par la montée en puissance du groupe Québecor, la société fondée par Pierre Péladeau, qui a investi massivement dans l’édition et les communications. (https://www.quebecor.com/fr/la-societe/notre-histoire) Cette expansion a conféré au quotidien une stabilité économique lui permettant de poursuivre son développement.
En parallèle, toujours entre 1972 et 1985, le quotidien a développé de nouvelles rubriques plus adaptées aux réalités contemporaines du Québec : affaires économiques, nouvelles internationales et enjeux politiques. L’accent était spécialement mis sur des formats plus interactifs, tels que les sondages et les lettres des lecteurs, leur offrant ainsi une tribune pour s’exprimer sur les enjeux de l’époque.
Changements et controverses
À partir de 1985, le journal a entrepris une diversification importante de son contenu en intégrant des chroniques spécialisées et en collaborant avec des figures connues et appréciées du grand public. La figure qui incarne bien ce changement est Solange Harvey, qui a pris en charge la rubrique du « courrier du cœur » après le décès de la figure importante, Réjeanne Desrameaux. La chronique « Le courrier de Solange » a sans doute contribué à fidéliser un lectorat attaché aux conseils et témoignages personnels.
Cependant, la période en 1985 et 1990 a aussi été marquée par des critiques croissantes à l’encontre du quotidien. Certains observateurs dénoncent déjà à l’époque son penchant pour le sensationnalisme et son approche parfois jugée trop populiste. Malgré ces controverses, le journal a réussi à conserver une audience fidèle et a continué d’occuper une place importante dans le paysage médiatique québécois.
L’arrivée de Pierre Karl Péladeau aux rênes du JDM
Lors de la fondation du Journal de Montréal, les conditions de travail au Journal de Montréal étaient assez difficiles. Or, à l’époque, Pierre Péladeau avait conclu un accord avec les employés du média, explique Richard Bousquet, journaliste au Journal de Montréal de 2001 à 2009 : si le JDM devenait le quotidien le plus lu au Québec, les employés bénéficieraient alors des meilleures conditions de travail et des meilleurs salaires dans le paysage médiatique québécois. Et, c’est effectivement ce qui est arrivé sous la direction de M. Péladeau.
« Cela n’a jamais plu à son fils, parce que lui, dans le fond, il a travaillé aussi au Journal de Montréal, mais dans des conditions moins bonnes. Le père était un peu plus dur avec ses enfants qu’avec ses employés », affirme M. Bousquet.
Après la mort de son père en 1997, Pierre Karl Péladeau prend la direction de Québecor en 1999. Dès lors, le journal a pris des positions politiques plus marquées à droite et a adopté une ligne antisyndicale, rapporte Martin Leclerc, ancien journaliste du JDM et président du syndicat du média.
De plus, les décisions éditoriales ont commencé à être influencées par les objectifs commerciaux de la société, ce qui a entraîné des cas de censure et d’autocensure. M. Leclerc cite l’exemple marquant du congédiement de Bernard Brisset, rédacteur en chef à l’époque, qui avait refusé de donner une couverture excessive à Star Académie au début des années 2000.
L’acquisition de Vidéotron et TVA par Québecor
Après les acquisitions de Sun Media en 1998, puis de Vidéotron en 2000, le fils du fondateur a commencé à s’intéresser davantage aux médias, dont le Journal de Montréal. En achetant Vidéotron, Québecor a fait passer le réseau TVA dans son giron. Pierre Karl Péladeau a introduit ainsi le concept de la convergence «comme un moyen de financer la production de contenus qu’un petit marché comme celui du Québec ne pourrait se permettre autrement». Toutefois, pour approuver l’acquisition de TVA, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a imposé plusieurs conditions à Québecor.
D’après Richard Bousquet, la première condition réclamait que Québecor conserve son adhésion à la Presse canadienne. Or, l’entreprise quittera cette agence en 2009, lors de la création de l’agence QMI (Québecor Media inc).
La deuxième condition était que Québecor devait garantir l’étanchéité entre les salles de rédaction de TVA et du Journal de Montréal, préservant ainsi l’indépendance éditoriale de chaque entité. Cependant, cette clause sera brisée lors de la création de l’agence QMI, qui permettra aux différents médias d’information de Québecor de partager leurs contenus et de les diffuser.
Enfin, la troisième demande posée par le CRTC était l’engagement des médias de Québecor au Conseil de presse du Québec (CPQ). « Jusque-là, le Journal de Montréal n’avait jamais adhéré au conseil de presse, parce que le financement du conseil de presse se fait selon les tirages des journaux, mais comme le Journal de Montréal avait le plus grand tirage, le père Péladeau disait à l’époque que ce n’était pas des conditions équitables », explique M. Bousquet.
Quelques années plus tard, en juin 2010, les médias de Québecor, y compris le Journal de Montréal, finiront par quitter le Conseil de presse du Québec (CPQ). S’en suivra un conflit de plus de 10 ans entre l’entreprise et le CPQ. Québecor demandait que les plaintes concernant ses médias, reçues par le CPQ, ne soient plus prises en compte et réclamait plus de 400 000 $ en dommages pour atteinte à sa réputation. Cependant, en février 2023, la Cour supérieure a rejeté la requête de la société, concluant que le CPQ avait le droit de traiter ces plaintes malgré le retrait de Québecor de l’organisme. (https://www.lapresse.ca/affaires/medias/2023-02-17/cour-superieure-du-quebec/le-journal-de-montreal-et-tva-perdent-face-au-conseil-de-presse.php).
Les années 2000: L’essor des investigations
Le Journal de Montréal est reconnu pour les reportages exclusifs et les infiltrations de son équipe d’enquête, qui ont connu un essor durant les années 2000. La plus célèbre enquête du média demeure celle faite en 2003 dans la secte de Raël : la journaliste Brigitte McCann et la photographe Chantal Poirier du Journal de Montréal se sont infiltrées dans les réunions de la secte de Claude Vorilhon, durant 9 mois. Cette investigation vaudra au Journal de Montréal son tout premier prix Judith-Jasmin.
Selon le Journal de Montréal, ce reportage a révélé plusieurs informations qui ont éloigné du Québec les adeptes raëliens et mis en évidence les abus sexuels dont étaient victimes certaines femmes au sein de la secte. L’enquête a également mis en lumière l’imposture de Clonaid, une organisation de la secte qui affirmait à tort avoir orchestré la naissance du premier bébé cloné de l’humanité.
Mme McCann est restée une figure emblématique du journalisme d’investigation au sein du groupe Québecor jusqu’à sa retraite du Journal de Montréal en 2008. Elle a notamment mené une enquête intitulée Vos enfants sont traqués sur Internet en 2007, en collaboration avec deux collègues du Journal de Montréal. Ce reportage, qui révèle des aspects troublants de la cyberpédophilie et l’importance de la vigilance parentale concernant l’utilisation d’Internet par les enfants, lui vaudra un deuxième prix Judith-Jasmin pour l’enquête de l’année au Québec (le troisième de l’histoire du Journal de Montréal).
Un autre pionnier du journalisme d’enquête qui a évolué au sein du Journal de Montréal est Michel Auger. Il était reconnu pour sa couverture des conflits entre les bandes de motards au Québec, comme les Hells Angels. Le 13 septembre 2000, M. Auger a été victime d’une tentative d’assassinat en pleine rue de Montréal. Un assaillant lui a tiré six balles dans le dos. Malgré ses blessures, Michel Auger a survécu et s’est rétabli. Bien que les soupçons se soient portés sur des membres des groupes criminels qu’il suivait, aucun assaillant n’a été officiellement identifié ou arrêté.
Dès lors, M. Auger est devenu un symbole de la liberté de la presse et de la résilience face aux menaces contre les journalistes. « L’ensemble des journalistes de tous les médias ont manifesté dans les rues de Montréal suite à cet événement», se souvient Richard Bousquet.
Suite à cela, des pressions publiques et médiatiques sur le gouvernement ont entraîné l’instauration de lois antigang plus sévères. Ces mesures plus strictes contre le crime organisé ont même mené à l’arrestation de Maurice «Mom» Boucher, chef des Hells Angels, ainsi qu’à l’affaiblissement de son organisation.
Bref, le Journal de Montréal a sensibilisé le public québécois à des enjeux de taille à travers bon nombre de reportages et d’infiltrations chocs à travers le temps. Il continue de le faire de nos jours, comme en témoigne sa nouvelle enquête menée au cœur du plus grand cartel mexicain, publiée en février 2025.
Le Journal de Montréal avant la crise
Au milieu des années 2000, le Journal de Montréal était l’un des quotidiens les plus lus au Québec, avec une présence marquante dans la presse populaire. Cependant, des tensions internes commençaient à apparaître en raison des restructurations menées par Québecor, qui possédait le journal depuis 1987.
L’achat de Vidéotron et du Groupe TVA par Québecor en 2001 accentuera, dans un futur proche, la convergence des médias. En effet, selon Richard Bousquet, ce phénomène est réellement apparu vers 2004, alors qu’il travaillait aux pages Arts et Spectacles du Journal de Montréal, souvent en tant que chef de pupitre. « On avait la section de musique, la section de théâtre, la section de cinéma, etc., les plus importantes de tous les médias au Québec », s’exclame-t-il.
Le Journal de Montréal était de plus en plus utilisé comme un outil de promotion pour les productions de TVA avec des émissions comme Star Académie ou Occupation Double, ce qui a suscité des critiques tant chez les journalistes que dans le public. D’après M. Bousquet, la convergence n’empêchait pas les journalistes d’avoir une grande marge de manœuvre et beaucoup d’espace pour traiter de culture. Cela dit, l’équipe de rédaction du Journal de Montréal estimait que « la priorité était quand même mise sur ces émissions de télévision en termes des premières pages et en termes du nombre de pages. »
Plusieurs employés ont donc dénoncé une perte de rigueur journalistique au profit du marketing interne de Québecor. Certains journalistes ont exprimé leur frustration face à cette situation, affirmant que la couverture médiatique des émissions de télé-réalité prenait une place disproportionnée par rapport aux sujets d’actualité plus sérieux. Cette orientation a également divisé le lectorat : certains y voyaient une modernisation du journal, tandis que d’autres regrettaient un contenu moins axé sur l’information indépendante, avec une couverture surdimensionnée des émissions de TVA.
Par ailleurs, le journal poursuivait son modèle éditorial basé sur les « 4 S » : sport, sexe, sang et spectacle. Cette approche sensationnaliste lui assurait un large lectorat, mais renforçait également son image de média populiste. Malgré cela, il conservait une certaine diversité de contenu, incluant des chroniques politiques et économiques respectées. De plus, la direction imposait des mesures pour réduire les coûts, augmentant la précarité de l’emploi dans la salle de rédaction. Le recours à des pigistes s’est intensifié, et plusieurs journalistes d’expérience ont vu leurs rôles diminuer au profit d’un contenu plus rapide et moins coûteux à produire. Cette situation a créé un climat de tension entre les journalistes et la direction, préfigurant le conflit majeur qui allait éclater en 2009.
Témoignage de Martin Leclerc : une transformation inquiétante
L’ex-journaliste Martin Leclerc offre un regard critique sur cette période. Il décrit un média qui, autrefois un lieu de débat et d’expression libre, est progressivement devenu un instrument de convergence médiatique sous la gouverne d’une nouvelle ligne éditoriale : « Il y avait un réel esprit de camaraderie et de solidarité au Journal de Montréal, mais ce sentiment est parti avec le changement de ligne éditoriale. Les pressions pour couvrir uniquement certains sujets se sont intensifiées et nous n’avions plus du tout la même liberté qu’à l’époque », explique-t-il.
Le lock-out de 2009-2011
Le 24 janvier 2009, Québecor déclenche un lock-out mettant à pied 253 employés du Journal de Montréal. L’entreprise cherchait à imposer une nouvelle convention collective favorisant davantage de pigistes et de contenu externe au détriment des journalistes permanents.
Face à cette situation, les journalistes en lock-out décident de lancer leur propre média en ligne : Rue Frontenac. Rapidement, le site connaît un succès notable, atteignant des milliers de lecteurs quotidiens et proposant un journalisme d’enquête de qualité : « Nous avons prouvé que les lecteurs québécois avaient soif d’un journalisme indépendant et rigoureux », explique Richard Bousquet, ancien journaliste au Journal de Montréal et coordinateur de Rue Frontenac. Ce nouveau média a également attiré l’attention des journaux à l’international, démontrant la capacité des journalistes en lock-out à maintenir une couverture pertinente malgré l’absence de soutien institutionnel. Ce site devient rapidement une référence en journalisme d’enquête et de reportages approfondis. Selon Richard Bousquet, les journalistes ont retrouvé une liberté éditoriale qu’ils n’avaient plus au sein du Journal de Montréal : « Pour la première fois en des années, nous pouvions décider nous-mêmes des sujets à traiter sans aucune pression extérieure. Cela a été un vent de fraîcheur », affirme-t-il.
En parallèle, Québecor a commencé à réorganiser la production du journal en utilisant des agences de presse et en centralisant la production des contenus via l’agence QMI. Cette restructuration a permis au Journal de Montréal de continuer à être publié malgré l’absence de sa salle de rédaction, mais avec un contenu largement remanié et une réduction notable de la couverture locale et d’enquête.
Le lock-out a duré plus de deux ans, se terminant le 26 février 2011 après des négociations tendues entre Québecor et le syndicat des employés. Il s’agit du plus long conflit de travail dans l’histoire de la presse écrite au Canada. (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1148841/site-rue-frontenac-journal-montreal-lock-out-quebecor-archive) L’accord final a entériné la mise en place d’un modèle de production de contenu plus centralisé, intégrant pleinement l’agence QMI. Seuls 40 postes de journalistes ont été conservés sur les 150 existants avant le conflit, et plusieurs journalistes en lock-out ont refusé de réintégrer le journal, dénonçant une perte d’indépendance éditoriale. De plus, l’entente a entraîné, éventuellement, la « fermeture » du site Rue Frontenac, puisque le site a perdu la majorité de son personnel en avril 2011, peu après le règlement du conflit : « En mai, le journal en ligne s’était placé sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, espérant en arriver à une entente avec un nouvel employeur ». (https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/quebec/evenements/23968) En juillet 2011, les 45 employés restants quittent Rue Frontenac et retirent leurs textes et articles du site après une mésentente avec le nouvel employeur, Marcel Boisvert.
Témoignage de Richard Bousquet : les coulisses du lock-out et ses conséquences
Richard Bousquet, ancien chef de pupitre, explique que le lock-out a été un tournant crucial orchestré par Québecor pour casser la structure syndicale du journal : « Québecor ne voulait plus d’un journal indépendant. Ils voulaient une machine bien huilée, qui produisait du contenu rapidement et efficacement, sans avoir à négocier avec des journalistes trop exigeants », affirme-t-il.
Selon lui, cette stratégie a permis à Québecor d’intégrer pleinement l’agence QMI et de modifier la manière dont l’information était produite, en mettant l’accent sur le volume et la rapidité plutôt que sur la profondeur et la rigueur : « L’objectif n’était plus d’informer le public, mais de générer du contenu au moindre coût », ajoute-t-il.
Post lock-out
Dans les années suivant le lock-out, le Journal de Montréal s’est restructuré en mettant l’accent sur le numérique et la convergence avec TVA et l’agence QMI. Le journal a également renforcé sa présence en ligne en adoptant un modèle d’abonnement pour certains contenus, suivant l’exemple de La Presse+ et d’autres médias numériques. Toutefois, le Journal de Montréal a maintenu une forte présence dans sa version papier, s’appuyant sur un lectorat fidèle.
Dans le cadre de cette transition, l’agence QMI a joué un rôle clé en fournissant du contenu centralisé pour plusieurs plateformes du groupe Québecor. Cette intégration a permis une production d’articles plus rapide, mais a aussi suscité des critiques sur l’uniformisation des nouvelles et la perte de diversité dans la couverture médiatique. Certains journalistes ont dénoncé une diminution des ressources consacrées aux reportages d’enquête, remplacés par du contenu plus léger et du journalisme d’opinion.
En parallèle, le Journal de Montréal a lancé plusieurs initiatives numériques pour s’adapter aux nouvelles habitudes des lecteurs. En 2014, une version numérique optimisée a été développée, accompagnée d’une application mobile pour permettre un accès facilité aux articles en ligne. Le journal a également investi dans des formats multimédias, tels que les vidéos et les infographies, dans le but d’élargir son audience.
Par ailleurs, la section opinion du journal a pris plus d’importance, donnant une place accrue aux chroniqueurs et aux éditorialistes aux tendances plus marquées. Ce virage a contribué à l’image de plus en plus polarisée du journal, qui a été critiqué pour ses positions conservatrices sur certaines questions sociales et politiques. Certains lecteurs y voyaient une évolution nécessaire pour conserver un lectorat engagé, tandis que d’autres regrettaient une dérive vers un journalisme plus partisan.
Répercussions du lock-out sur le contenu éditorial
L’un des impacts majeurs du lock-out a été la restructuration de la ligne éditoriale du journal. L’ancien modèle, qui comprenait une plus grande diversité de voix et d’opinions, a progressivement laissé place à un contenu plus uniformisé et aligné sur les priorités de Québecor. Plusieurs s’accordent à dire que cette nouvelle approche a réduit l’indépendance des journalistes et la qualité du journalisme d’enquête.
Cette période a aussi vu une réduction significative du nombre de journalistes d’expérience au sein de la rédaction. Plusieurs ont quitté le Journal de Montréal pour rejoindre d’autres médias ou se reconvertir dans des secteurs connexes, laissant place à une nouvelle génération de journalistes opérant dans un contexte de précarité plus accrue et sous une pression constante pour produire du contenu à un rythme accéléré.
Le Journal de Montréal aujourd’hui
Depuis 2017, le journal a consolidé sa présence en ligne tout en continuant à susciter des débats sur son orientation éditoriale. Par exemple, sa couverture de la pandémie de COVID-19 a été critiquée pour son ton parfois alarmiste, tandis que certains observateurs ont salué son engagement à dénoncer les lacunes du système de santé québécois. De plus, sa ligne éditoriale sur des enjeux comme l’immigration et la gestion gouvernementale a provoqué des réactions contrastées, certains dénonçant une approche populiste, tandis que d’autres y voyaient une voix nécessaire contre le consensus médiatique dominant. Plusieurs critiques pointent son virage conservateur et sensationnaliste, notamment dans sa couverture des questions politiques et sociales. En 2021, le Journal de Montréal et le Journal de Québec ont publié une première page qui a créé une vague de critiques de toute part après avoir illustré l’arrivée du variant indien au Canada avec une photo du premier ministre Justin Trudeau en tenue traditionnelle indienne. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont réagi avec consternation : certains croyant à une blague, tandis que d’autres ont dénoncé des amalgames contribuant à des idées reçues et le racisme envers certaines communautés ethniques. « Même s’il y a 200 plaintes, Québecor reste toujours indifférent aux décisions du Conseil de presse », avait lancé Marc-François Bernier, professeur titulaire au Département de communication de l’Université d’Ottawa et journaliste pendant près de 20 ans.
L’essor du numérique a poussé le Journal de Montréal à intégrer de nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle et les algorithmes de recommandation de contenu. Le journal a également mis en place des stratégies de marketing agressives pour capter un lectorat plus jeune sur les réseaux sociaux. Le recours à l’intelligence artificielle et à des pigistes internationaux pour produire du contenu économique a également suscité des interrogations sur la qualité de l’information diffusée. Certains analystes estiment que cette évolution a affaibli la rigueur journalistique du quotidien, au profit d’une logique de rentabilité immédiate.
Conclusion
Le Journal de Montréal a connu des mutations profondes depuis sa création en 1967, passant d’un journal populaire, mais diversifié à un outil central de l’empire Québecor. Le changement éditorial en 1997 ou même le lock-out de 2009-2011 ont marqué une rupture définitive, et, aujourd’hui, son avenir repose sur sa capacité à s’adapter aux réalités du numérique tout en conservant sa place dans l’espace médiatique québécois.
Dans un contexte où les habitudes de consommation de l’information évoluent rapidement, le journal devra relever plusieurs défis majeurs. L’essor des plateformes numériques et des médias sociaux oblige le Journal de Montréal à innover pour capter un lectorat plus jeune, tout en maintenant son audience traditionnelle attachée à l’édition papier. La diversification des formats, notamment la vidéo courte et les balados, pourrait jouer un rôle clé dans cette adaptation.
Par ailleurs, la crédibilité du journal est régulièrement mise à l’épreuve, notamment en raison de son orientation éditoriale perçue par certains comme trop partisane. Il lui faudra trouver un équilibre entre engagement éditorial et rigueur journalistique pour conserver la confiance du public. De plus, la montée de l’intelligence artificielle dans la production de contenu soulève des questions sur l’avenir du métier de journaliste et la qualité de l’information diffusée.
Enfin, le défi financier demeure crucial : avec la baisse des revenus publicitaires traditionnels, le journal devra explorer de nouveaux modèles économiques, comme les abonnements numériques et les partenariats stratégiques. Son avenir dépendra de sa capacité à concilier rentabilité et indépendance journalistique dans un paysage médiatique en pleine transformation.
Crédit photo: 50 ans d’histoire : le Journal de Montréal, 1964-2014, 46 pages.