Téhéran ou Winnipeg ? Dystopie ou utopie ? Le long métrage tant attendu de Matthew Rankin, « Une langue universelle », nous transporte dans la beauté du beige, du brutalisme et dans l’innocence de l’enfance.
Par Sebastian Herrera-Ramirez
Dans une uchronie surréaliste, cette comédie reconnecte trois cultures opposées, mais qui finissent par bien se mélanger. Le réalisateur, Matthew Rankin, raconte, à La Presse, qu’il a formé un diagramme de Venn avec le meilleur du Québec, du Manitoba et de l’Iran : « la solitude mélancolique du Québec, la folie délirante de Winnipeg et la poésie du cinéma iranien », ajoute-t-il.
Le film, qui n’a malheureusement pas réussi à se frayer un chemin parmi les cinq finalistes pour l’Oscar du meilleur film international, a tout de même laissé bonne impression sur les cinéphiles québécois et canadiens.
D’une durée de 89 minutes, le film nous transporte dans un Winnipeg où l’on parle le perse et le français. Une sorte de nouveau paradigme à la vieille excuse des « langues officielles ». La prémisse du film repose sur une anecdote de la grand-mère de Matthew Rankin et l’obsession des films iraniens pour enfants : « Cette histoire m’a fait penser aux films de l’Institut Kanoon, qui est un peu comme l’ONF en Iran. Dans les années 1970 et 1980, ils ont produit beaucoup de films pour enfants, très poétiques et très humanistes, avec des enfants qui doivent naviguer dans l’univers des adultes. J’aimais cet écho qui existait entre l’histoire de ma grand-mère et ces films de l’autre bout du monde. », raconte, à La Presse, le réalisateur.
On suit deux jeunes sœurs irano-manitobaines, Negin (Rojina Esmaeili) et Nazgol (Saba Vahedyousefi), qui trouvent, coincé dans la glace, un billet de 100 riels. Monnaie fictive à l’effigie de Louis Riel qui ajoute à la désinvolture de l’univers de Matthew Rankin. Les jeunes sœurs souhaitent acheter, avec cet argent, une nouvelle paire de lunettes à un camarade de classe qui a perdu les siennes suite à une attaque de dinde sauvage.
Captivant
M. Rankin utilise à merveille l’absurdité de son univers, il n’y a pas de moment où ça dépasse les bornes, où l’absurdité devient trop abstraite. Chaque moment est bien choisi, de l’interprétation en perse de la chanson These Eyes du groupe winnipegois The Guess Who à la transformation d’un Tim Hortons en salon de thé avec un logo en Perse. Les plans fixes sont aussi à l’honneur. Le réalisateur laisse respirer les scènes avec des plans qui illustrent le côté beige et brutaliste de son Winnipeg natal. Lorsque l’on suit le guide Massoud (Pirouz Nemati) à travers son parcours touristique, l’accent porté sur l’architecture et l’urbanisme violent de la capitale manitobaine captive l’audience et démontre que l’histoire se transporte au-delà des personnages.
Destins mélangés
En parallèle, deux autres histoires se déroulent. Un fonctionnaire manitobain souhaite retourner dans son Winnipeg natal pour être au chevet de sa mère. Le fonctionnaire nommé Matthew Rankin est joué par le réalisateur et illustre le côté beige et morose de la bureaucratie. Durant la scène de départ de Matthew, un plan fixe sur une salle morne, avec un portrait de François Legault et une fonctionnaire qui pleure en hors-champ, illustre comment les scènes désinvoltes et absurdes soutiennent le film. Bien sûr, l’histoire du guide mélancolique Massoud est toute aussi une partie prenante du long-métrage. Finalement, ces trois histoires convergent pour former un bijou loufoque, mais rempli de sens.