Aline Desjardins: Une vie au service de l’information et du féminisme

Par Emma Gobeil, Coline Ecourtemer, Delphine Morasse et Lorie-Michèle Fréchette

Aline Desjardins est une figure importante du journalisme québécois, ayant marqué l’histoire des médias par son audace et son engagement. C’est la première femme annonceuse à la radio de CKBM et elle a gravi les échelons pour devenir une voix essentielle de l’information, notamment à travers l’émission Femme d’aujourd’hui. Elle s’est battue pour l’équité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail et au sein de la société. Aujourd’hui âgée de 92 ans, son héritage est une source d’inspiration pour les générations futures.

Partie 1 : Biographie d’Aline Desjardins

Ses débuts

Née dans la petite ville de Saint-Pascal-de-Kamouraska, elle grandit dans une famille nombreuse, étant la benjamine de onze enfants. La mère d’Aline vivait une vie traditionnelle, dédiée aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants, comme c’était souvent le cas pour les femmes de l’époque. 

Bien que les possibilités de carrière pour les femmes s’étaient élargies lorsqu’il fut le temps pour Aline d’entrer sur le marché du travail, elles restaient limitées. Ayant de grandes aspirations, mais peu de choix, elle avait opté pour des études en enseignement. Cependant, ses projets changèrent lorsqu’elle rendit visite à sa sœur aînée, Marcelle, sur son lieu de travail. Marcelle travaillait pour une station de radio locale. En observant sa sœur, Aline eut un véritable coup de foudre et sut immédiatement que ce métier était destiné pour elle. 

À 20 ans, après avoir fini ses études, elle part pour Montmagny et devient la première femme annonceuse pour la station CKBM. Comme il s’agissait d’une petite station, elle se contentait d’ouvrir le micro et de parler, sans avoir de plan défini. L’année suivante, elle part pour Sherbrooke, où elle a travaillé pendant sept ans à CHLT-TV. Elle adorait ce travail, qui lui offrait la liberté de choisir ses invités et d’explorer une grande variété de sujets du quotidien. En 1962, elle gagne le trophée de la meilleure émission d’information, faisant d’elle la première femme à recevoir cette distinction (Gouvernement du Québec, 2025).

Femme d’aujourd’hui : le point tournant de sa carrière

Capture écran de la vidéo Montage d’archives : L’émission «Femme d’aujourd’hui» de 1965 à 1982, Radio-Canada Archives, Youtube. 

Aline décide ensuite de se lancer dans la télévision et auditionne pour la chaîne CFCM, la première station de télévision privée au Québec, aujourd’hui renommée TVA. Elle est sélectionnée en 1964 et part à Québec pour entamer sa carrière dans cette nouvelle branche du journalisme, une voie dans laquelle elle découvre une véritable passion. Elle avait toujours rêvé de travailler à Montréal, et ce rêve s’est concrétisé en 1966, lorsque Radio-Canada est venue la repêcher, marquant un grand tournant dans sa carrière.

Aline s’est retrouvée à la tête de l’émission Femme d’aujourd’hui, succédant à l’animatrice Lizette Gervais. Créée l’année précédente dans le contexte de la Révolution tranquille, une période marquée par la montée du féminisme au Québec, cette émission avait pour objectif de donner la parole aux femmes dans un milieu encore largement dominé par les hommes.

Lors d’une entrevue avec La Gazette des Femmes en 2024, Aline a exprimé son enthousiasme d’avoir obtenu ce poste, qui allait véritablement propulser sa carrière de journaliste. Cependant, elle a confié que les thèmes abordés dans l’émission, comme le tricot et la cuisine, ne l’intéressaient guère. Elle a profité du manque d’intérêt de ses supérieurs pour cette émission pour y introduire des sujets plus féministes, avec l’aide de recherchistes. 

Elle a ainsi abordé des questions sociétales, politiques et culturelles, en mettant systématiquement la femme au centre du débat. Elle estimait qu’il était essentiel que les femmes puissent se reconnaître et comprendre qu’elles n’étaient pas seules à faire face à leurs réalités. « Ce que je trouvais important, c’était de parler des sujets qui concernent les femmes qui nous regardent. C’était ça l’objectif principal. » nous a-t-elle confié.

Aline a toujours défendu les droits des femmes, ce qui ne lui a pas été sans conséquences. Elle s’est notamment exprimée en faveur de l’avortement gratuit pour toutes, une prise de position qui lui a valu des réprimandes de sa direction. Sous pression, elle a été contrainte d’adopter une approche plus neutre en invitant des militants pro-vie à participer à l’émission, une situation qui ne correspondait pas à ses convictions et qui lui déplaisait profondément. De plus, le tournage était assez éprouvant pour Aline, en grande partie en raison du changement constant de réalisateurs, qui étaient en majorité des hommes. Ces derniers n’étaient pas toujours compétents et n’étaient pas nécessairement sensibilisés aux enjeux liés à la condition des femmes avant de rejoindre l’émission. Toutefois, Aline a su surmonter ces adversités grâce à sa grande résilience. Elle a continué d’animer l’émission pendant 13 ans, de 1966 à 1979, faisant preuve d’une détermination sans faille.

Femme d’aujourd’hui a permis à Aline de devenir une figure incontournable du domaine de l’information au Québec, au point que le Montréal Star l’a surnommée « The Queen of French TV » (Gouvernement du Québec, 2025). Elle assumait une multitude de rôles, dont ceux d’animatrice, intervieweuse, modératrice de tables rondes et reporter, tout en supervisant les tournages en studio et sur le terrain. L’émission a rapidement gagné en popularité auprès des femmes québécoises, atteignant des cotes d’écoute proches du million, ce qui était exceptionnel étant donné que sa diffusion était l’après-midi, une plage horaire habituellement peu suivie.

Aline Desjardins sur le plateau de Femme d’aujourd’hui, Radio-Canada

Son parcours suite à Femme d’aujourd’hui

Après avoir quitté l’animation à Femme d’aujourd’hui, elle est passée à d’autres émissions comme Repères, une émission hebdomadaire d’information qu’elle a coanimée de 1982 à 1983. Elle apparaît aussi régulièrement dans l’émission d’information Ce soir. De 1984 à 1986, on la retrouve dans l’émission Avis de recherche qu’elle coanime avec Gaston L’Heureux. Puis, à partir de 1986, elle commence à s’intéresser au domaine de l’environnement et devient la première femme journaliste à animer occasionnellement La semaine verte, une émission agricole diffusée à Radio-Canada. Elle devient également la première femme à l’animation de l’émission radiophonique D’un soleil à l’autre, de 1987 à 1990. Elle décide par la suite de concevoir sa propre émission d’horticulture, Des jardins d’aujourd’hui, qui fut diffusée dans 80 pays jusqu’en 1995 (Gouvernement du Québec, 2025).

Tout au long de sa carrière de journaliste, elle a également porté la voix de nombreux organismes se consacrant à la cause des femmes, dont la Ligue des droits et libertés du Québec, Les Femmeuses, Vues et voix, et plusieurs autres. Elle s’est également impliquée auprès du centre d’hébergement le Carrefour pour Elle, qui aide les femmes victimes de violences conjugales.

Aline ne s’est jamais mariée et n’a pas eu d’enfants, car fonder une famille n’a jamais fait partie de ses projets. Elle a observé sa mère se démener pour élever ses onze enfants, alors qu’elle-même aurait préféré suivre un autre chemin. Elle n’a jamais pu le faire, car à l’époque, les femmes n’avaient pas la liberté de choisir leur emploi. C’est pourquoi Aline a décidé de vivre une vie libre, sans se soumettre aux attentes sociales qui imposaient aux femmes de se consacrer au foyer. Ayant maintenant 90 ans, elle profite de sa retraite tout en poursuivant son engagement en faveur des droits des femmes.

Participation au documentaire Les héritières 

Capture d’écran du documentaire Les héritières, Télé-Québec

En 2024, à l’occasion du 50e anniversaire du Conseil du statut de la femme, le documentaire Les héritières a été réalisé pour dresser un portrait de la situation actuelle des femmes au Québec, tout en faisant écho au passé. Présenté par la comédienne Marie-Soleil Dion, le documentaire met en lumière cinq femmes, symboles de cette lutte à travers différentes décennies. La participation d’Aline Desjardins dans ce projet illustre l’ampleur de son engagement féministe, tant au cours de sa carrière professionnelle dans les médias que dans sa vie personnelle. 

La productrice Marie-France Bazzo et la présidente du Conseil du statut de la femme, Me Louise Cordeau, ont toutes deux témoigné de la place qu’Aline a occupée dans leur enfance, puisque leurs mères écoutaient régulièrement Femme d’aujourd’hui. Marie-France Bazzo estime par ailleurs que l’apport d’Aline est souvent sous-estimé « Elle a fait un travail de fond absolument magistral. », souligne-t-elle  (La Gazette des Femmes, 2023).

Le documentaire explore les diverses luttes menées par les femmes au cours des dernières décennies. Aline Desjardins y évoque les combats qu’elle a soutenus tout au long de sa vie, notamment ceux pour le droit à l’avortement et l’équité salariale.

Aline Desjardins accompagnée de Marie-Soleil Dion, Me Louise Cordeau, Julie Blackburn et Marie-France Bazzo lors de la première du documentaire Les héritières, La Gazette des Femmes

Sa position sur l’état actuel des causes féministes 

Ayant défendu les causes des femmes avec ferveur, elle s’indigne de constater que certaines d’entre elles n’ont pas progressé autant qu’elles le devraient. Elle, qui militait pour l’avortement libre et gratuit dans les années 70, peine à croire que cette question soit encore débattue aujourd’hui. 

Malgré les avancées du féminisme des dernières années, Aline dit ne rien prendre pour acquis. Cependant, elle reste optimiste quant à l’avenir, convaincue que les femmes finiront par prendre pleinement leur place. Elle souligne que malgré qu’il nous reste du chemin à parcourir, les mouvements féministes récents, tels que le mouvement #MeToo ont grandement contribué à faire avancer la cause féministe (La Gazette des Femmes, 2024).

Équité salariale

Pour Aline, l’indépendance financière est essentielle à la dignité des femmes. Tout au long de sa carrière, elle a dénoncé les inégalités salariales entre les femmes et les hommes dans les médias, une problématique qui persiste encore aujourd’hui. 

Elle met en garde les femmes travaillant dans ce secteur, leur rappelant qu’elles doivent s’assurer que leur salaire est équitable par rapport à celui de leurs collègues masculins. La passion ne doit pas les aveugler, et chacune doit se questionner sur la parité salariale.

Elle reconnaît qu’elle-même a mal négocié son salaire par le passé, ce qui l’a poussée à prendre position sur le sujet. Elle a raison de le faire, d’autant plus que l’écart salarial dans le domaine des arts et de la culture était encore de 9% en 2021 (Institut de la statistique du Québec, 2021). 

Son impact

En 2024, la carrière journalistique d’Aline a été pleinement reconnue et récompensée. Elle a été nommée officière de l’Ordre national du Québec, la plus haute distinction décernée par le gouvernement québécois. Lors de la remise du prix, le premier ministre François Legault a déclaré : « Si le Québec est aujourd’hui devenu l’une des nations les plus égalitaires au monde, c’est beaucoup grâce à des femmes courageuses comme vous. » (Radio-Canada Archives, 19 juin 2024). Elle a également été honorée par le prix René-Lévesque, la plus prestigieuse distinction en journalisme au Québec.

Aline Desjardins et François Legault lors de la cérémonie de l’Ordre national du Québec en 2024, Radio-Canada

Malgré la reconnaissance qu’elle reçoit aujourd’hui, Aline nous a expliqué que Femme d’aujourd’hui n’a pas été pleinement appréciée lors de sa diffusion. Ce n’est que plusieurs années plus tard, avec du recul, que l’émission a été reconnue pour son impact dans la cause féministe. Elle se souvient qu’après avoir animé l’émission, elle était constamment accostée par des femmes qui la remerciaient pour son travail, ce qui la remplissait de bonheur.

Aline Desjardins fut une véritable pionnière dans son domaine, et a joué un rôle essentiel dans l’histoire du Québec. Par son travail et son engagement, elle a ouvert des voies qui ont permis aux générations de femmes qui l’ont suivie de s’affirmer dans le monde des médias. Son influence va bien au-delà de ses réalisations professionnelles, puisqu’elle a contribué à redéfinir la place des femmes dans la société québécoise, en leur donnant une voix et en abordant des sujets souvent négligés. Son parcours a inspiré de nombreuses autres femmes québécoises à prendre leur place dans des domaines traditionnellement masculins.

Partie 2 : L’impact de Femmes d’aujourd’hui

Comme mentionné précédemment, Aline Desjardins s’est fait connaître en grande partie pour son animation pendant treize saisons de l’émission Femme d’aujourd’hui. Cette émission quotidienne destinée aux femmes était diffusée en fin d’après-midi comme les femmes étaient supposément toutes à la maison. Aline a animé 2733 des 3000 émissions.

Diffusée à partir du 6 septembre 1965 jusqu’en 1982, le contenu de ce magazine télévisé changera. À ses débuts, l’émission aborde des sujets pour la femme au foyer, tels que la danse, le tricot et la cuisine. Vers les années 70, l’émission aborde désormais les femmes au sens large avec tous les enjeux qui les caractérisent.

À l’aide de débats, de tables rondes et de micro-trottoir sur le sujet, l’émission aborde différents tabous liés à la femme. Les sujets qui suivent les changements sociaux permettront à l’émission de prendre une place importante dans le féminisme. Femme d’aujourd’hui aborde désormais l’avortement, l’indépendance des femmes, le divorce, la violence conjugale, l’égalité des sexes et le travail hors de la maison, tout comme l’importance de reconnaitre celui dans la maison.

 « À l’époque, la télévision était très masculine. Les femmes étaient souvent des faires valoir, quasiment des objets de décoration. Ce n’était pas des femmes qui avaient une voix et qui étaient au centre des décisions. Tandis que là, ça changeait. Cette émission, Femme d’aujourd’hui, a été un phare pour beaucoup de femmes, même des femmes qui ne connaissaient rien au féminisme. Elles se rappelaient ou elles écoutaient ces sujets qui les concernaient », affirme Pascale Navarro, journaliste et membre du Laboratoire en études féministes.

Un des enjeux principaux abordé dans l’émission concernait les questions liées au corps de la femme. Ce terme général a été décortiqué plusieurs fois avec des sous-thèmes plus précis. L’importance de l’avortement a été un débat abordé plusieurs fois à Femme d’aujourd’hui, qui touchait également à des thèmes comme la puberté et la ménopause. Aucune tranche d’âge n’était ciblée précisément. Le but était vraiment de rejoindre toutes les femmes en faisant une émission sur elles, et pour elles.

L’important est de donner une tribune à la voix des femmes en abordant différentes facettes du quotidien. L’émission a insisté sur la différence d’opinions, n’hésitant pas à accueillir des femmes qui n’ont pas ou très peu de place dans les autres journaux et téléjournaux, comme des femmes homosexuelles, monoparentales et de minorité ethnique au Québec.

L’émission couvre différents évènements concernant les droits des femmes, permettant aux femmes qui restent à la maison de se tenir informées. Ils ont notamment abordé la Commission Bird à diverses reprises. Aussi connue sous le nom de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, la Commission Bird a été instituée le 3 février 1967 et a entendu plus de 900 personnes en audience publique au cours de six mois. Le rapport du 7 décembre 1970 contient 167 recommandations sur les inégalités entre les sexes au Canada.

Femme d’aujourd’hui a couvert ce sujet, notamment le 9 février 1967, quelques jours après l’annonce, avec Florence Bird qui est commissaire de l’enquête, le 31 décembre 1978 avec le commissaire Henripin sur les avancées du rapport, le 8 décembre 1970 pour le rapport final, et même le 24 mars 1975 avec la sociologue Monique Bégin pour les impacts que le rapport a eus.

Différents responsables  

Michelle Lasnier, directrice de l’information télévisée à Radio-Canada, s’occupe de l’émission de 1966 à 1981 et a participé grandement à la transition des sujets. La rupture entre les sujets plus traditionnels de femmes au foyer et ceux dits féministes s’opèrent beaucoup à son arrivée.   

Plusieurs réalisatrices et réalisateurs se sont succédé durant les dix-sept années de l’émission. Les recherchistes ont également eu une partie prenante dans cette rupture qui a mené aux sujets témoins de l’ère du temps. Les personnes qui se sont enchaînées à la tête de l’émission ont toutes suivi les vagues de changements sociaux. Femme d’aujourd’hui a rapidement cessé d’offrir le même genre de contenu que les autres émissions féminines pour suivre la vague du féminisme.

Aline Desjardins confie que l’émission était très exigeante à animer. Elle a connu certains réalisateurs qui lui donnaient des livres à aborder, quelques minutes avant d’entrer en onde, sans lui en avoir parlé au préalable. Il y a eu une succession importante de réalisateurs sur le plateau, ce qui demandait aux animateurs de toujours s’habituer à de nouvelles manières de diriger. 

« Ce n’était pas simple du tout. C’était très exigeant. Parce que tous ces réalisateurs n’étaient pas d’égales compétences, non plus. Il y avait beaucoup de femmes, mais il y avait beaucoup d’hommes aussi. Je pense qu’il y a eu quinze réalisateurs. Ils n’étaient pas tous sensibles à la condition des femmes avant d’être parachutés (dans l’émission). Alors, c’était du travail. »

Un pan d’histoire importante pour Radio-Canada 

Femme d’aujourd’hui fut une émission importante pour l’histoire de Radio-Canada. Dans le cadre des 50 ans à la télévision de la société, un extrait de l’émission a été publié sur la chaîne de Radio-Canada info. 

En 2015, Radio-Canada a remis l’émission de l’avant avec une exposition au pavillon Bonenfant de l’Université Laval. L’exposition Être femme aujourd’hui, Femme d’aujourd’hui a été présentée d’octobre 2015 au 18 mars 2016. 

« À travers des extraits vidéo de l’émission, des photographies, des magazines et des tableaux explicatifs, l’exposition Être femme aujourd’hui, Femme d’aujourd’hui fait état de la contribution de Femme d’aujourd’hui à la diffusion du mouvement féministe au Québec. »  (Radio-Canada, 2015). 

Dans l’article Moments d’histoire de la société de Radio-Canada, Femme d’aujourd’hui est décrite comme suit : « Diffusée de 1965 à 1982, Femme d’aujourd’hui devient une tribune télévisuelle pour les femmes francophones du Canada et pour des communicatrices de talent telles que Minou Petrowski, Françoise Faucher et Aline Desjardins. »

Un dernier article exhaustif, Reflets de Femme d’aujourd’hui, sur l’émission publiée le 10 juin 2019, mis à jour le 2 mars 2021, explique à travers les archives de Radio-Canada l’évolution de l’émission Femme d’aujourd’hui. 

L’exposition et ces articles initiés par Radio-Canada des décennies suivant la diffusion de l’émission démontre son importance pour la société qui a diffusé cette émission quotidienne unique à son époque. 

L’éveil féministe d’Aline Desjardins

C’est Femme d’aujourd’hui qui a permis à Aline Desjardins de se sensibiliser à la cause féministe. Préparer ses textes sur les différents enjeux touchant les femmes lui a permis de découvrir les inégalités et les enjeux auxquels elles devaient faire face quotidiennement.

 « C’est là que j’ai compris où menait le féminisme et pourquoi on avait besoin d’être féministe absolument » (Aline Desjardins sur Femme d’aujourd’hui, RDI Archive, 2019).

Si la direction de Radio-Canada n’a pas eu de problème avec la majorité des sujets abordés dans Femme d’aujourd’hui, il en a été autrement lorsque Aline Desjardins a révélé être en faveur de l’avortement libre et gratuit. Pour Aline, il est primordial d’offrir les ressources pour que les femmes puissent choisir les options les plus sécuritaires à leur situation.

 « On a fait une lutte sur l’avortement. Moi, personnellement, je voulais l’avortement libre et gratuit. On est encore en train d’en parler aujourd’hui. Je trouve ça terrible qu’on soit encore à parler du ba-be-bi-bo-bu de la contraception », indique Aline. 


Impacts de l’émission pour Aline

« Les femmes nous ont dit qu’elles se sont reconnues, qu’elles sont sorties de l’isolement. Parce qu’elles pensaient toutes qu’elles étaient la seule à vivre ça, cette situation d’isolement. Et là, elles se sont rendu compte que plein d’autres femmes le vivaient. Alors, ça a fait une certaine unité »  témoigne Aline, à propos des commentaires reçus suivant l’émission.

Aujourd’hui, l’impact d’Aline Desjardins à l’animation de l’émission demeure. Des femmes viennent encore lui témoigner l’importance que l’émission a eue dans leurs vies. Certaines lui disent comment Femme d’aujourd’hui les a fait évoluer et les a aidées à se sentir reconnues. Des immigrantes lui ont aussi révélé comment l’émission leur aidait à comprendre la vie et la réalité des femmes québécoises. 

« Il y avait aussi des immigrantes qui disaient que ça avait ouvert leurs yeux sur la façon dont vivaient les femmes québécoises, où en était rendue la société québécoise. Tout ça, c’est très précieux en fin de compte. De recevoir ces témoignages, là. Ça faisait mon bonheur », se remémore Aline. 

Malgré qu’Aline Desjardins ne fut pas la seule à la barre de l’émission, elle reste une des figures emblématiques de celle-ci. Elle, qui a rejoint le duo d’animateurs initiaux composés de Yoland Guérard et Lizette Gervais en 1966, a vu sa réputation se forger durant l’émission. Lors de sa dernière année, Aline a partagé l’animation de la saison 78-79 avec Louise Arcand. 

Son animation lui a même valu d’être nommée une des femmes importantes des années 60 selon le Conseil du statut de la femme. Il la décrit comme une « féministe engagée à la barre de l’émission Femme d’aujourd’hui de 1966 à 1976 ».

Toutefois, la renommée de l’émission et son importance dans les changements n’ont été reconnus qu’après sa diffusion. Aline mentionne que, durant sa diffusion, Femme d’aujourd’hui n’était pas reconnue à sa juste valeur. Ce n’est que plus tard que la société a réalisé l’impact que cette quotidienne a eu sur la condition des femmes au Québec. Aline Desjardins a défendu plusieurs sujets durant les treize années de son animation. Elle a accueilli plusieurs femmes auparavant absente de la sphère médiatique dans ces espaces de discussions créées par Femme d’aujourd’hui.

« Ce que je trouvais important, c’était de parler des sujets qui concernent les femmes qui nous regardent. Alors, c’est pour ça qu’on avait une variété incroyable de sujets. On est passé de l’inceste, à l’avortement…» témoigne le visage de Femme d’aujourd’hui

Les femmes dans les médias au 20e siècle

Au début du 20e siècle, les femmes présentes dans les médias ne sont que de rares exceptions. Les femmes sont encore perçues comme celles qui s’occupent de la maison. Les rares sujets qui leur sont destinés portent sur des activités ménagères, comme la cuisine, le ménage, ou la couture.

L’émergence du féminisme et des revendications sociales dans les années 60 a ouvert la porte à plusieurs femmes dans le domaine. Femme d’aujourd’hui est l’une des productions qui ont permis de diversifier les représentations des femmes pour ne plus seulement les restreindre au foyer. Aline Desjardins a donc commencé sa carrière dans ce monde médiatique en changement. Femme d’aujourd’hui est un témoin de cette évolution ayant été en onde dans les années phares du féministe au Québec.

« En 1975, il y a eu une avancée majeure parce qu’il y a eu l’année internationale des femmes et la décennie des femmes jusqu’en 1985, ce qui a suscité beaucoup de reportages. C’était dans l’air. À l’époque, c’était très populaire. C’était un sujet qui suscitait vraiment de l’intérêt. Donc, quand il y a un intérêt pour un sujet public, les médias s’en emparent. »,  explique Pascale Navarro sur l’importance des enjeux féministes dans les médias.

Années de changementsL’émission a pris place dans une société en évolution, marquée par de grands changements sociaux. Les femmes ont acquis plus de droits qui ont donné l’indépendance aux femmes mariées. S’installant dans la Révolution tranquille, qui a mené à une laïcisation de l’État et à un plus grand accès au marché du travail pour les femmes, Femme d’aujourd’hui a été témoin de diverses batailles que les femmes menaient au 20e siècle. 

Femme d’aujourd’hui prend part dans ce qui est désigné comme la seconde vague du féminisme, soit les mouvements féministes de 1960 à 1985. À cette époque, les revendications féministes ont permis plusieurs changements importants dans plusieurs sphères. Un meilleur accès à l’éducation et plus de diversification dans les emplois disponibles aux femmes ont été atteints. Les femmes ont également gagné plus d’autonomie corporelle et ont commencé à prendre plus de place dans les assemblées législatives. 

Faits marquants dans la lutte des femmes au 20e siècle

25 avril 1940 : Le droit des votes aux femmes

1960 : Première pilule contraceptive

1964 : Adoption de la Loi sur la capacité juridique de la femme mariée. Les femmes mariées ont désormais le droit de disposer de leurs propres biens.

1969 : Décriminalisation de l’avortement

1975 : La Charte québécoise des droits et libertés de la personne reconnaît officiellement l’égalité entre l’épouse et l’époux. Prohibition de la signature du mari obligatoire dans toutes les institutions.  

1989 : Le Code civil permet un partage égal du patrimoine familial lorsqu’une union est dissoute.

Bientôt soixante ans après sa mise en ondes, Femme d’aujourd’hui rappelle que les luttes féministes ne proviennent pas d’une réalité si lointaine. Des enjeux sont toujours d’actualité, comme l’accessibilité à l’avortement. Ces sujets qui sont toujours actifs dans la société ne sont que des rappels de la fragilité des acquis.

Une personnalité qui demeure dans l’histoire Si Aline Desjardins s’est fait connaître avec Femme d’aujourd’hui, sa carrière ne s’est pas arrêtée là. Sa carrière d’animation et de journaliste a continué en enchaînant les projets. Son engagement dans la cause des femmes à travers les décennies a fait d’elle un symbole fort de cette lutte au Québec. Plusieurs médias témoignent de son héritage, dont le documentaire Les héritières, divers articles dans La Gazette des Femmes, Le Soleil ou le journal Le Placoteux.

Les témoignages actuels d’Aline rappellent que les luttes pour les droits des femmes ne sont pas encore toutes gagnées, puisque certaines batailles qui avaient lieu au début de sa carrière persistent encore.

Nous vous invitons à consulter votre courriel pour visionner notre court-documentaire sur l’impact et le parcours médiatique d’Aline, accompagné d’un résumé de Pascale Navarro, journaliste et membre du Laboratoire en études féministes, ainsi que d’un témoignage d’Aline elle-même.